Le dialogue social et les chiffres s’associent-ils bien ensemble ?

Au Moyen-Âge, Pâques s’impose progressivement comme un jour chômé, le jour annuel non travaillé d’une France paysanne. Quand l’exode rural s’installe en réponse à la proto-industrialisation du 18e siècle, la France initie son développement social. L’idée d’un repos dominical obligatoire émerge en 1814. L’encadrement du travail des enfants commence en 1841.

Deux siècles plus tard, au 7 février 2020, le Code du travail s’est considérablement étoffé, avec plus de 10 000 articles et 3900 pages (675 de lois et 3.300 de commentaires). D’après le rapport n°653 du Sénat de juillet 2019, le contentieux aux Prud’hommes baisse fortement (-41% entre 2005 et 2018) en raison notamment de la baisse des licenciements, de l’essor des ruptures conventionnelles ou encore d’un nouvel encadrement de la procédure de licenciement et de l’introduction du plafonnement des indemnités en cas de contentieux issu de l’Ordonnance 2017-1387, dite Ordonnance Macron.

Pour continuer dans un panorama choisi de chiffres du dialogue social, le 5 décembre 2019, plusieurs centaines de milliers de personnes manifestaient contre le projet de réforme des retraites, et entraient dans une grève longue de plusieurs semaines. Le taux de personnes syndiquées en France en 2018 varie entre 8 et 12% selon les méthodes de calcul. En 2020, toutes les entreprises de plus de 11 salariés doivent posséder un Comité Social et Économique (Ordonnance 2017-1387, dite Ordonnance Macron).

Devant cette multitude de chiffres, de projections, de préjugés, de fantasmes, d’approximations ou encore d’idéologies, trois réalités s’imposent, que les indicateurs génériques du dialogue social (dont les méthodes de calcul peuvent être critiquées) montrent depuis plusieurs années (Darès, Direccte…) :

  1. plus l’engagement syndical décroît, plus les gouvernements légifèrent pour développer le dialogue social (2008, 2015, 2016, 2017) ;
  2. toutes les organisations font du dialogue social quotidiennement, pour tenter de développer des relations de travail équilibrées entre les employeurs, les employés et les représentants du personnel, obligatoirement présents ou non ;
  3. les différents acteurs du monde du travail (employeurs, salariés, représentants du personnels, gouvernement…) ont un besoin grandissant de communiquer fructueusement sur le dialogue social.

Que recouvre alors le dialogue social ?

Le dialogue social, qui désigne «à la fois le cadre dans lequel fonctionnent les instances de représentation du personnel, le rôle dévolu à ces instances dans les organisations, et les relations partenariales entre le management et ces instances» (Pennaforte et al, 2018) demeure une mission régalienne de la fonction RH. Le dialogue social n’est pas de la gestion des conflits, qui renvoie aux méthodes de résolution de problème quand le dialogue serein n’est plus. Multi-acteurs, multi partenaires, le dialogue social vise à développer la performance des organisations sur la base de négociations favorables aux intérêts de tous, individuellement et collectivement.

Dans la vie organisationnelle, loin des chiffres souvent commentés, le dialogue social est partout. Selon le bilan annuel de la convention collective (Ministère du Travail, 2019), 75 600 textes ont été signés en 2018 dont 47 700 accords entre employeurs et représentants du personnel. Dans les organisations dépourvues de représentants du personnel, notamment les TPE et PME, le dialogue social est totalement prégnant pour, en sus du cadre légal, dialoguer au quotidien sur les relations de travail, sans grands processus de gestion, sans indicateurs spécifiques et quelquefois sans connaissances fondamentales en droit social.

Pour renforcer le dialogue social, partout, le cadre légal a évolué permettant à l’ensemble des entreprises de négocier et échanger sur le cadre de travail partagé, entrainant une diversification des différents signataires d’accord. Parmi les principales évolutions du dialogue social, deux apparaissent comme centrales pour tenter de dynamiser les relations sociales dans toutes les organisations

La création du comité économique et social (CSE) qui nait de la fusion des trois précédentes instances (comité d’entreprise, délégués du personnel et Comité d’hygiène de sécurité et de conditions de travail).

La possibilité de conclure des accords collectifs en l’absence de représentation du personnel :

  • Pour les entreprises de 1 à 20 salariés, en soumettant l’accord à l’approbation des salariés lors d’une consultation.
  • Pour les entreprises de 11 à 49 salariés, en organisant un référendum ou en obtenant l’approbation des membres du CSE.

Pour accompagner cette évolution du cadre légal, des outils performants et simples existent, qui dépassent les aspects partisans des chiffres pour faire vivre les organisations. La reconduction de la prime exceptionnelle pour le pouvoir d’achat, conditionnée cette année, par la conclusion d’un accord d’intéressement en est une parfaite illustration. En 2019, la prime a été versée dans plus de 408 000 organisations dont 40% sont des entreprises de moins de 50 salariés. 5,5 millions de salariés ont obtenu une prime d’un montant moyen de 450 euros. C’est près de 2,2 milliards d’euros qui ont ainsi été versés au total entre le 10 décembre et le 31 mars 2019. Le versement de cette prime pouvait faire l’objet d’une décision unilatérale de l’employeur ou encore d’un accord visant à fixer les conditions de répartition et de versement.

En 2020, les entreprises doivent signer un accord d’intéressement. Ce qui n’est pas un exercice facile lorsque le formalisme de la négociation et de rédaction d’accord ne sont pas habituel. Comment négocier ? Sur quoi ? Que mettre dans un accord ? Quel lien entre la prime exceptionnelle et l’intéressement ? Autant de questions que se sont posés tous les chefs d’entreprise désireux de verser cette prime. En 2020, il est possible de verser la prime jusqu’au 31 juillet 2020, permettant une discussion plus longue pour arriver à un accord, entre détenteur du capital et détenteur des compétences. Toutefois, à ce jour, la prime ne semble pas trouver le même engouement que l’année dernière. Si les entreprises craignaient d’être impactées en interne par le mouvement des «gilets jaunes», le mouvement s’étant essoufflé, il semblerait que cette année soit différente. De plus, le début d’année est souvent marqué par les négociations annuelles obligatoires (négociations obligatoires mais dont l’issue n’aboutit pas nécessairement sur un accord) dont un volet important est consacré à la rémunération. Selon le cabinet Mercer (2019), 27% des répondants à son enquête annuelle envisageaient le versement d’une prime en 2020 contre 73% en 2019. 54% des sondés indiquent qu’ils ne verseront rien et 19% sont encore indécis.

A côté, d’autres outils existent, comme les modèles d’accord d’intéressement, le Code du Travail numérique, les bases de données des accords collectifs, pour aider à une réelle démocratisation du dialogue social dans toutes les organisations.

Quel avenir pour le dialogue social ?

Quand les chiffres présentés s’attardent trop souvent sur le déclin des syndicats et les grandes négociations nationales, la lumière est souvent peu axée sur les négociations aux niveaux des branches ou des entreprises, sur un dialogue social chronophage mais bénéfique pour les organisations et leurs différentes parties prenantes. Il apparaît nécessaire, pour continuer à initier un dialogue social porteur, de développer :

Les connaissances et les compétences des managers et des RH en termes de dialogue social,

La digitalisation des processus RH en se focalisant sur les outils mis à la disposition de chacune des parties prenantes pour pouvoir gérer les relations sociales. La quasi-totalité des champs de la fonction RH sont couverts par une multitude de SIRH, mais le dialogue social reste le parent pauvre. La Base de données économiques et sociales (BDES) étant bien souvent la seule fonctionnalité proposée pour encourager les échanges.

Des méthodologies et des indicateurs pertinents de gestion sociale.

L’implication des salariés, qui sont les premiers bénéficiaires des résultats du dialogue social.
Ainsi, le dialogue social relève d’une dimension RH centrale, qui, dans la vie quotidienne des organisations, se moque bien des chiffres mis en exergue en fonction des actualités sociales nationales ou locales, et vise le dessein de relations franches mais apaisées entre les partenaires sociaux, les employés et les employeurs.

Dans une telle veine, pour démocratiser le dialogue social, un premier pas serait de rendre accessible, pour tous, les chiffres dudit dialogue, qui pourrait devenir volontaire.

Vœu pieux ou invitation à s’engager ?

Antoine PENNAFORTE, Maitre de conférences, CNAM
Emmanuelle SAINT-JULIEN, Présidente, INO PARTNER
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    Mots-clés: MAGRH10, DATA RH, DIALOGUE SOCIALE

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