Tranches de vie : La compétence, une approche qui se décline au quotidien...

En racontant des histoires vécues, Guy Jayne illustre une dynamique qui conduit à la réussite. Regroupées dans un livre, elles s’adressent à tous ceux qui sont concernés par la sortie de crise. Guy Jayne nous invite avec ces 5 tranches de vie à faire un pari sur l’Homme et ses potentialités, à se donner les moyens de le gagner par la mise en œuvre de la logique compétence...

Guy Jayne, en tant qu’opérationnel et animateur dans la métallurgie et la sidérurgie, a été un acteur de la mise en œuvre de ce nouveau type de management qu’est la démarche compétence. En France, en Europe et sur d’autres continents, il a transmis son expérience à de nombreuses entreprises qui se sont inspirées de cette dynamique. Il a présenté celle-ci dans son livre : « organisation et logique compétence » (Les Editions de l’Atelier, 2012)

1 Des hommes qui valent de l’or.

C’est une aciérie d’environ 600 personnes. Les pontiers qui assurent la manutention sont en grève et de ce fait, toute l’usine est bloquée. Nous sommes une trentaine, la salle est presque pleine et l’atmosphère tendue. Tous attendent nerveusement que la direction fasse des propositions. Bernard, le directeur du site, m’a demandé de les aider.

– Moi je suis pocheur, nous dit Marcel.

Il répond à cette question inattendue que j’avais suggérée à Yves, son chef de service : « D’après vous, quel est votre métier ? »

« pocheur ? Ce n’est pas un métier, rétorquent aussitôt 

en rigolant ses camarades d’atelier. Si tu racontes ça chez toi, dans ta famille, à ta belle-sœur, à tes amis, à tes enfants, à des journalistes, etc. pour qui vont-ils te prendre ? Pour quelqu’un qui passe sa vie au boulot les mains dans les poches ? Pocheur, ce n’est pas un métier », reprennent-ils à la fois inquiets et goguenards. C’est le premier virage dans cette déjà longue discussion.

Je sens que Marcel n’est pas très à l’aise. Pourquoi a-t-il pris la parole ? Il est là avec ses camarades, le chef de service et le chef d’atelier, autour de la table, pour trouver une solution à la grève des conducteurs de ponts roulants. Les pontiers, ouvriers d’un faible niveau de qualification, assurent la manutention dans les ateliers de l’aciérie. Ce n’est pas son problème à lui, Marcel. Mais la question est si simple et la réponse si évidente pour lui qu’elle a jailli spontanément. Son poste, c’est « pocheur ». Il lui faut maintenant reprendre la parole.

– Ben les gars, c’est bien mon métier. La « poche », c’est bien mon boulot. Et puis d’ailleurs ce n’est pas évident. Avec mes 250 tonnes de métal liquide quand elle est pleine, suspendue au bout du crochet du pont roulant… Vous voyez le travail si elle perce… Une fuite de métal liquide tombant en pluie sur vos têtes ! La contrôler, la réparer, la reconstruire avec des briques réfractaires impeccables, c’est bien mon boulot non ?

Ses camarades sont bien d’accord avec lui. Son poste c’est bien la poche et ce n’est pas rien. De la qualité de son travail dépend leur sécurité et aussi la qualité du métal fondu transporté à plus de 1 600 degrés, à 20 mètres de hauteur.

– Mais tu ne peux pas raconter ça à l’extérieur de l’usine. Pocheur, ça ne veut rien dire pour eux. C’est ton boulot, d’accord, mais pour eux, ce n’est pas un métier.

Excédé par la descente en flammes du travail qui fait sa fierté, Marcel réplique vivement :

– Et vous donc, qu’est-ce que vous faites comme métier alors ? AODiste ? Pontier ? Oxycoupeur ? Pupitreur ? Qu’est-ce que vous racontez chez vous ?

La question est véhémente et pertinente. Quel est donc leur métier ? La réponse ne vient pas immédiatement. Il y a même un temps de silence assez long pendant lequel les regards se croisent. Qui va répondre ? Finalement Pierre, le pupitreur, propose, comme si c’était une évidence :

Aciéristes. Nous, nous sommes des aciéristes.

Et tous de reprendre en chœur :

Ah ben oui, aciéristes. Ça, on peut le dire à l’extérieur de l’usine, dans nos familles, à nos amis. Aciéristes, ça ils peuvent comprendre.

Marcel, le petit pocheur, ne semble pas complètement convaincu. Il paraît même plutôt inquiet.

Aciéristes, aciéristes, d’accord, ça fait bien. Mais si on dit que nous sommes aciéristes, cela voudrait dire que nous savons tout faire dans l’aciérie. Il faudrait être au moins ingénieur pour y arriver.

Ne t’inquiète pas, reprend aussitôt Jacques avec un peu de malice, c’est les seuls qui n’y arriveront jamais !

Les cadres, semble-t-il, ne sont pas vus comme des hommes de terrain proches de leurs problèmes.

L’ambiance commence à se détendre. Un sourire prudent se dessine au coin des lèvres d’Yves, le chef de service, et de son chef d’atelier, Christian. Ils commencent à se sentir plus à l’aise. Mais comment vont-ils sortir de cette grève à répétition ? 

L’aciérie comprend trois grands ateliers organisés de façon très rationnelle en différents postes de travail. Dans le premier atelier, vaste parc de matières premières de différentes qualités, on prépare les charges de métal brut comprenant des ferrailles recyclées et des métaux purs. Dans le second, l’atelier d’élaboration, la fusion des matières premières se fait dans d’énormes fours électriques. Après élimination des impuretés par traitement chimique et évaporation sous vide, le métal liquide à plus de 1 600 degrés, une fois sa composition bien réglée, passe dans le troisième atelier, où on le coule sous forme de brames, énormes barres de section rectangulaire, qui sortent comme par enchantement et sans interruption de la coulée continue.

Dans chacun de ces ateliers, un pont roulant de plus de 300 tonnes, conduit par un pontier, assure la manutention aérienne des charges de ferrailles, puis des poches de métal liquide, et enfin des brames fraîchement solidifiées mais encore brûlantes. On aura compris que ces auxiliaires du processus de fabrication ont un rôle capital car ils assurent le transport des différents produits dans chaque atelier et d’un atelier à l’autre. L’arrêt des ponts signifie l’arrêt de toute la fabrication.

Cette aciérie fonctionne en continu, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Cinq équipes d’ouvriers se relaient nuit et jour pour assurer la production. Les brames ainsi produites sont livrées à des usines qui les transforment par laminage à chaud, puis à froid, en grandes couronnes de tôles brillantes pour devenir enfin casseroles, tambours de machine à laver, éviers de cuisine, panneaux d’ascenseur ou grandes cuves de camions rutilants, à moins qu’elles ne deviennent aiguilles de seringues hypodermiques. L’aciérie est ainsi le point de départ d’un long processus pour fabriquer de beaux produits que tout le monde connaît bien. Les hommes des aciéries ont toujours été fiers de cette activité mythique, ancestrale et difficile.

Mais les pontiers, manifestement, ne sont pas contents. Tous les ans, voire tous les six mois, ils descendent de leurs ponts roulants et bloquent les trois ateliers Quinze personnes seulement, correspondant aux cinq équipes de trois pontiers, immobilisent la totalité de l’aciérie. La direction, bien qu’agacée par ce qu’elle qualifie d’abus de pouvoir, s’est toujours empressée néanmoins de les remettre au travail en leur accordant quelque augmentation de salaire, prime de « travail en hauteur » ou autre petit avantage. Elle a chaque fois espéré que ce serait la dernière grève.

La réunion au cours de laquelle Marcel, le petit pocheur, fait preuve de tant de bon sens et de courage a pour but de trouver enfin une solution durable voire, si possible, définitive. À mon instigation, Yves et Christian s’étaient demandés quelles pouvaient être les motivations au travail de leurs pontiers. Leur diagnostic était sévère. Ils les jugeaient sans motivation et incapables d’évolution. Rien ne les intéressait dans l’aciérie. « Ils sont au taquet, ils sont incapables de faire autre chose », disaient-ils. Et pourtant ils étaient indispensables. Yves et Christian estimaient même qu’il leur fallait un certain doigté qui n’était pas donné à tout le monde et qu’il leur fallait l’exercer régulièrement pour ne pas le perdre. Ce savoir-faire, ils l’avaient acquis pour la plupart d’entre eux en plus de quinze ans et ils en avaient encore peut-être pour dix ans, jusqu’à la retraite, si rien ne changeait d’ici là. Ils prirent subitement conscience que leurs pontiers manutentionnaires ne pouvaient pas se motiver pour un travail aussi monotone.

Il fallait donc créer pour ces éternels mécontents d’autres motifs d’action qui les incitent plus à travailler qu’à se mettre en grève. Mais comment ? Pouvait-on imaginer, au moins pour certains d’entre eux, des activités complémentaires qui permettent de justifier une légère évolution professionnelle ? Pouvait-on, ne serait-ce que modestement, faire évoluer leur façon de travailler pour sortir de cette logique de poste qui jusqu’à ce jour n’avait jamais été remise en cause, et qui, d’ailleurs, avait fait ses preuves ?

Yves et Christian ne voyaient pas bien comment s’en sortir. « Nous avons divisé logiquement notre aciérie en postes de travail. Comme à chaque trou il faut une cheville, il faut bien qu’à chaque poste il y ait une personne compétente », disaient-ils, non sans raison.

Ils sentaient bien qu’ils devaient inventer une nouvelle façon de travailler, socialement plus acceptable et aussi industriellement plus efficace car la concurrence était de plus en plus pressante. Ils avaient bien pensé enrichir les postes avec des activités annexes comme de petits travaux d’entretien. Ils avaient pensé aussi développer la polyvalence de certains opérateurs. Mais seraient-ils capables d’être polyvalents ? De plus, les possibilités étaient limitées, tout au moins avec l’organisation du travail telle qu’ils l’avaient maintenue jusqu’à présent.

C’est sur la base de ces réflexions qu’Yves et Christian eurent envie d’en parler ouvertement avec les pontiers grévistes, en ma présence mais également avec tous leurs camarades non grévistes qui attendaient, comme d’habitude, que les chefs trouvent la solution pour reprendre le travail. Il fallait aussi consulter les partenaires sociaux, dont certains cherchaient honnêtement une solution plus originale que la classique et insuffisante augmentation de salaire. C’est ainsi que commença l’histoire de Marcel le petit pocheur qui n’avait rien demandé à personne.

Oui, c’est bien vrai, nous pourrions dire que nous sommes des aciéristes, mais il faudrait pouvoir justifier cette appellation.

Mais comment ? se demande le petit pocheur. C’est à ce moment que l’un des pontiers grévistes, Lionel, s’adressant à Marcel, lui dit, très sérieux : « Moi j’aimerais bien apprendre ce que tu fais avec ta poche ».

Nous abordons là, à cet instant de la réunion, un second virage. Avant que Marcel n’ait le temps de lui répondre, Marius, l’un des AODistes, poste alors le plus qualifié dans l’aciérie, lance, rigolard, à Lionel le pontier : « Eh bien, ça te ferait bien du bien de descendre de ton pont pour voir comment ça se passe sur le plancher ! »

Mais aussitôt Jean le reprend : « Oui, d’accord, c’est bien beau qu’il descende sur le plancher, mais qui conduira le pont pendant ce temps ? »

Marius, dans sa rapidité narquoise d’opérateur surdoué, n’y a pas réfléchi. « Heu… et bien… c’est nous qui prendrons sa place pendant le temps où il sera sur le plancher en train d’apprendre le maniement de la poche ».

« C’est une bonne idée », reprend Marcel. « Et toi, Marius, tu m’apprendras ton boulot, ça me changera un peu de ma routine ».

Nous venons d’aborder le troisième virage qui va nous conduire à la bonne solution. Les opérateurs viennent de suggérer qu’ils pourraient tous, quel que soit leur niveau, changer de poste entre eux pour se former mutuellement. Si Yves et Christian sont d’accord, et ils le sont, tous ces postes de travail pourraient progressivement se fondre dans un seul et vrai métier, celui d’aciériste. Cela suppose d’aller bien au-delà d’une simple addition de compétences techniques. Il faudra s’organiser entre opérateurs. Il faudra être capable de former les camarades. Il faudra aussi, bien sûr, que l’aciérie marche au moins aussi bien qu’avant. Si seulement il pouvait ne plus y avoir de grève, ce serait déjà ça de gagné ! Le quatrième virage, avant la dernière ligne droite, sera négocié dans la foulée avec la direction et les partenaires sociaux du site pour la mise en œuvre du plan d’action.

Un an après 

Me revoilà pour analyser avec tous les acteurs les résultats de ce changement profond d’organisation et de gestion des ressources humaines consécutifs à la dernière grève des pontiers. La rencontre avec Marcel, Marius, Lionel, Jacques, Jean, Pierre et quelques autres, hors de la présence de leur hiérarchie, donne à peu près ceci :

« Alors, cette nouvelle organisation, qu’en pensez-vous ? »

– Eh bien, ce n’est pas si mal… C’est même très bien.

– Au début, certains ont eu peur qu’on leur demande de tout apprendre, tout de suite, et que s’ils n’y arrivaient pas on les mette sur la touche. En fait chacun va à son rythme et il n’y a pas trop de problèmes.

– Il faut dire aussi que le travail est moins monotone. On peut changer de poste. Nous discutons entre nous. Nous nous passons mutuellement nos savoir-faire, nos trucs. On apprend à apprendre. On comprend mieux les contraintes des autres. Chacun se forme et forme les copains. Nous parlons d’ailleurs de moins en moins de postes, mais plutôt d’emplois ou de fonctions d’aciériste. Nous faisons aussi la maintenance de premier niveau de nos installations avec des agents de maintenance qui font maintenant partie intégrante de nos équipes. En plus de nos compétences individuelles nous avons une véritable compétence de groupe.

– Et puis avec l’accroissement des compétences et l’évolution de l’organisation du travail, dans l’ensemble, le salaire a suivi. Les chefs ont tenu leur promesse. Il y en a même qui ont changé de classification, en particulier d’anciens pontiers. Il n’y a plus besoin d’attendre qu’il y en ait un qui parte à la retraite ou qui casse sa pipe pour avoir une promotion.

– Il faut dire aussi que ça arrange bien notre hiérarchie cette nouvelle façon de travailler. Ils passent moins de temps sur notre dos. Il y a beaucoup de questions que nous réglons tout seuls. 

Tout cela n’est-il pas un peu trop beau. La hiérarchie n’a-t-elle pas été un peu laxiste pour acheter la paix sociale ? Je demande : Alors, certains d’entre vous sont capables de tenir correctement plusieurs postes de travail ?

– Oui, bien sûr, répond Marcel le petit pocheur. J’ai appris le maniement de la poche à Lionel, le pontier. Moi j’apprends à conduire l’AOD ; enfin ça c’est un peu plus compliqué. Mais Marius connaît bien son boulot et ça lui plaît bien de m’apprendre. Lui je crois qu’il travaille aussi avec un technicien et Christian, le chef d’atelier, pour améliorer la productivité de l’AOD.

– Mais comment faites-vous pour garder vos compétences ? Il faut que vous alliez régulièrement sur tous les postes de travail que vous avez appris à tenir. Il n’y en a pas qui se réservent les meilleurs postes, en laissant les moins intéressants aux autres, aux plus jeunes ou aux moins entreprenants ?

– Vous, on voit bien que vous avez été patron. Au début le chef d’atelier faisait des tableaux de rotation pour nous obliger à changer de poste toutes les semaines pour que chacun de nous garde la main sur tous les outils qu’il a appris à conduire. Mais ça, c’est dépassé, on ne parle plus de postes mais d’outils, et nous nous débrouillons tout seuls. Même pour prendre nos congés, nous nous organisons sans le chef. Et puis nous tenons notre tableau de bord grâce à l’ordinateur mis à notre disposition.

Je suis heureux de voir que cette usine semble bien quitter progressivement la logique de poste pour se mettre sur la voie de la logique compétence, alliant performance, fiabilité humaine et sociale. Mais il faut creuser encore un peu pour m’en assurer. Je vais en parler avec Christian, le chef d’atelier :

– Dites donc, vos gars ont l’air contents de la nouvelle organisation. Et vous, qu’en pensez-vous ?

– Au début j’ai bien cru que j’allais disjoncter. À la place de toutes les fiches d’analyse de poste que nous avions, qui d’ailleurs n’étaient jamais à jour, nous avons rédigé avec les opérateurs un seul référentiel de compétences. Il m’a fallu rencontrer tous mes gars, un par un, pour faire le point avec eux, savoir ce qu’ils avaient fait depuis le début de leur vie professionnelle, éventuellement hors de l’entreprise – et j’ai fait des découvertes –, ce qu’ils avaient envie de faire, programmer des formations, imaginer comment mettre des opérateurs en double pour qu’ils se forment mutuellement. Il a fallu répondre à leurs questions sur les coûts des matières premières, des énergies, des pannes, des accidents, sur la constitution des coûts salariaux. Ils m’ont obligé à aller bien au-delà de mes compétences techniques qui étaient l’essentiel de mon job. Et puis, je ne pouvais pas mettre tout le monde en formation. Il y en avait aussi qui avaient peur, d’autres qui de toute façon ont peu de moyens. Comment ne pas les décourager, leur redonner confiance ? Et tout ça tout en assurant la production, en qualité, en quantité et aussi, bien sûr, en coût. Heureusement qu’Yves, le chef de service, et Anne, la responsable des ressources humaines, m’ont bien aidé. Je fais régulièrement le point avec eux. J’ai même pu avoir un petit sureffectif pendant quelques mois… malgré les réticences du directeur.

– Et maintenant ?

– Maintenant, je suis le plus heureux des chefs d’atelier, reprend Christian. Même, avec moins de personnes j’ai moins de problèmes qu’avec l’ancienne organisation. Mes gars sont contents, enfin la plupart. Nous avons formé de vraies équipes solidaires, plus responsables et beaucoup plus autonomes. On a créé un véritable plus collectif. Tenez, un petit détail encore. J’ai plusieurs chasseurs dans mes équipes. Eh bien c’est la première année qu’ils font l’ouverture ensemble. Ce ne sont pas des poly compétents que j’ai, mais bien des aciéristes ! La pluricompétence, en fait, l’approche globale du métier donne de la souplesse. Je n’ai plus de problème pour trouver des remplaçants quand il y a des absents ; ils s’arrangent entre eux.

– Et la production ?

– Il y a eu quelques loupés au départ, mais c’est bien reparti. Nous avons de plus en plus de groupes de progrès qui utilisent les outils de la qualité totale. Ils font d’excellentes propositions. Nous avons même battu notre record de production cette année. Ce qui est bien, c’est que, au-delà de l’impact financier sur les rémunérations, notre directeur a marqué le coup. Tout le personnel a eu une cocotte-minute en cadeau. C’est sympa, mais c’est aussi un petit clin d’œil pour tout le monde. La cocotte est fabriquée avec notre métal. La fierté !

– Mais alors, vous, en tant que chef d’atelier, vous n’avez plus grand-chose à faire. Vous n’avez pas peur pour votre emploi ?

– Oh que non ! Pour moi aussi le contenu de ma fonction a changé. Je fais moins de technique mais je passe beaucoup plus de temps à m’occuper de mes gars. Comment leur permettre de faire ce qu’ils savent faire, comment les faire grandir (plus qu’un bon technicien, Christian était aussi un fin psychologue). Je travaille aussi beaucoup plus avec mon chef de service et mes techniciens pour préparer l’avenir. Et comme vous le savez, notre avenir n’est pas garanti. J’ai une meilleure connaissance des coûts. Je suis plus manager que technicien. J’ai le sentiment de faire partie d’une équipe de direction locale dans mon atelier avec mon chef de service, mes techniciens. J’y fais participer mes gars en fonction des sujets traités et de leurs compétences. 

Sur le chemin du retour, en allant vers le parking, je vois Marcel le petit pocheur :

– Bonsoir Marcel, à un de ces jours. Au fait, quel est votre métier maintenant ?

– Aciériste ! répond-il dans un grand éclat de rire, avec la même spontanéité qu’il avait répondu « pocheur » quelques mois plus tôt.

Cette histoire, souvent racontée, résume une expérience vécue en 1991, un an après la signature au niveau national de l’accord Acap 2000 avec la CFDT, la CGT-FO, la CFTC et la CFE-CGC. Cette aciérie a vécu bien d’autres péripéties mais ses performances se sont régulièrement améliorées, et pendant plus de dix ans, elle n’a plus connu de grève des pontiers. Le poste, d’ailleurs, en tant que tel, a disparu, les ponts ne sont que des outils parmi d’autres. Les compétences correspondantes font partie de l’ensemble des compétences requises par le métier d’aciériste. Le référentiel des compétences qui a été rédigé avec les opérateurs a ouvert de larges possibilités d’évolution. Au-delà des compétences techniques habituelles, d’autres ont été mises en œuvre : compétences relatives à tout ce qui touche aux relations entre personnes, aux coûts de production, à l’organisation du travail, à la sécurité des personnes, à la qualité, aux actions de progrès, à l’environnement. La plupart des opérateurs se sont trouvés mieux armés pour évoluer et affronter l’avenir, dans ou hors de leur entreprise, par choix personnel ou par nécessité

15 ans après

Grâce aux records de production battus régulièrement chaque année, la fermeture de ce site a été différée pendant plus de dix ans. Néanmoins, mal placé géographiquement et non intégré dans un ensemble industriel plus complet, cet établissement a dû être finalement arrêté. Mais préparée avec le personnel et ses représentants, la fermeture s’est effectuée sans heurt majeur, chacun à sa place jouant son rôle. Dans ce cas extrême la logique compétence a été un atout certain par rapport à la logique de poste, socialement pour le personnel et économiquement pour l’entreprise. L’augmentation et la diversification des compétences des salariés ont amélioré grandement l’employabilité des personnes qui, de ce fait, sauf exception, n’ont pas eu de problème important de réemploi.

2 Comment faire évoluer l’organisation. Des mécaniciens qui deviennent des garagistes.

Les services administratifs ne sont pas toujours pressés quand il s’agit de changer leurs habitudes. Lors de la mise en place de la logique compétence dans les établissements d’Usinor, la plupart, dubitatifs, sont restés au balcon en attendant que les idées viennent à eux ou qu’on les provoque à la réflexion. « Quel type d’organisation pourrions-nous mettre en œuvre alors que nous sommes contraints par des procédures qui, la plupart du temps, ne dépendent pas de nous ? », disaient-ils en espérant se faire oublier. Ce n’est pas le cas de Daniel. Lui a envie de se lancer dans l’aventure, l’accord Acap 2000 lui plaît et il lui semble qu’en l’appliquant il pourra rendre son service plus efficace, ses agents plus épanouis, et en tirer lui-même profit.

Daniel est responsable du service logistique dans une grande usine située au pied des Alpes dans laquelle une aciérie et un laminoir à chaud produisent de grandes bobines de plusieurs tonnes de fil d’acier inoxydable de 5 mm à 9 mm de diamètre, pour les livrer à des tréfileries. Les clients sont nombreux, en France et à l’étranger. La réputation de cet établissement tient à la qualité de son fil machine, due à des outils sophistiqués et à des chercheurs qui inventent sans cesse de nouvelles nuances d’acier et mettent au point des procédés métallurgiques astucieux pour les élaborer et les transformer.

Il faut reconnaître que la notoriété de cet établissement ne dépend pas des agents de l’obscur service dont Daniel est le patron, encore que… S’il faut fondre, couler, laminer, parachever, contrôler, emballer les produits commandés par les clients, il y a d’autres opérations, moins glorieuses assurément, mais tout aussi nécessaires pour que l’ensemble fonctionne et satisfasse ceux qui ont passé commande. Ainsi le service logistique doit administrer les commandes d’un bout à l’autre du processus : réception de la commande, élaboration d’un bon de commande, rédaction de la gamme de fabrication, accusé de réception, suivi de l’avancement des produits dans les ateliers, information des agences commerciales et des clients, contrôle de sortie des couronnes de métal, avis d’expédition, facturation, transport, déclaration légale. Ce n’est pas rien ! Et pourtant ces travailleurs de l’ombre sont rarement valorisés ; plus décourageant encore, ils sont soumis à des contraintes difficiles à gérer et font donc plus souvent l’objet de reproches que de félicitations. Ne pourrait-on pas profiter des innovations permises par la logique compétence pour travailler autrement, se dit Daniel qui a l’esprit d’entreprise ?

Le service logistique est scindé en trois équipes dans trois bureaux implantés dans trois endroits différents. Dans le premier, installé dans les bâtiments administratifs, une petite équipe contrôle les bons de commande, rédige les gammes de fabrication et établit les accusés de réception. Dans le second, situé dans les locaux de la fabrication, on suit l’avancement des produits, on informe les agences commerciales et les clients sur l’état d’avancement des commandes et on effectue le contrôle de sortie des ateliers. Dans le troisième, près du service expédition, on rédige l’avis d’expédition et la facture, on déclenche le transport en clientèle et on remplit les déclarations administratives légales. Vous avez compris qu’il n’est pas facile pour Daniel de coordonner un service aussi éclaté géographiquement, dont les activités séquentielles sont interrompues par le transfert des documents, avec pour conséquence un allongement des délais et parfois même des pertes de dossiers.

Quand un client demande où en est sa commande, il n’est jamais possible de lui répondre sur le champ, il faut passer plusieurs coups de téléphone pour savoir dans quelles mains elle se trouve. S’il y a une erreur sur une fiche il faut retourner au bureau précédent pour la faire corriger. Si un produit est bloqué dans un atelier on répond facilement que c’est la faute du service logistique qui n’a pas dû transmettre le bon papier ou que ce dernier est incomplet…

Cette organisation très parcellisée a aussi l’inconvénient d’offrir très peu de possibilités d’évolution pour les agents qui y travaillent, souvent depuis de nombreuses années, sans promotion. L’ambiance de travail n’y est pas excellente. S’ils sont critiqués, de leur côté ces pauvres persécutés disent eux aussi beaucoup de mal de ces opérationnels qui ne comprennent rien aux exigences du client, qui ne savent ni lire ni interpréter correctement les documents qu’on leur envoie, à qui il faut tout mâcher pour qu’ils travaillent convenablement.

Daniel m’avait informé de son problème et de ses envies de secouer ces vieilles pratiques. Je l’avais encouragé à en parler autour de lui, avec ses gars mais aussi avec les responsables des services clients pour lesquels il travaillait. Il lui vint assez rapidement l’idée, tout à fait saugrenue pour ses collègues et ses agents, de réunir tout le monde en un même bureau et de rassembler les trois activités en un seul métier. S’il avait émis cette idée sans précaution, c’eût été une levée de boucliers, tant de la part des ateliers que de ses propres agents. Dans un premier temps il se contenta donc prudemment d’en parler à sa direction et au responsable des ressources humaines du site. Il leur expliqua tous les inconvénients de cette organisation taylorienne, très parcellisée et géographiquement éclatée. Il mit en valeur tous les avantages que pourrait apporter une organisation où les métiers seraient recomposés et enrichis. Jouant la stratégie des alliés il finit par convaincre sa haute hiérarchie.

Une équipe projet est maintenant constituée avec des agents des trois bureaux, des représentants des services clients (ateliers, transports, comptabilité). Ils vont cheminer ainsi ensemble pendant un an. Daniel fait de la maïeutique : il invite chacun à comparer l’idée qu’il se fait de l’exécution de sa propre tâche avec la réalité, il fait lister les points forts et les points faibles, propose d’oublier les contraintes dites insurmontables, et l’équipe finit par accoucher d’un projet d’organisation proche de ce qu’il avait initialement imaginé. Une véritable innovation, pour ne pas dire révolution ! La direction, sentant qu’on peut relier cette opération aux objectifs de la qualité totale avec le slogan « priorité au client » se met à soutenir fortement la démarche et veut même l’accélérer, au risque de la faire capoter.

Finalement la décision est prise : tous les agents seront rassemblés dans un même bureau, propre, fonctionnel et bien équipé ; une équipe traitera les commandes destinées aux clients français, une autre sera affectée aux clients étrangers. Tous les agents qui le souhaiteront seront formés afin de pouvoir traiter de A à Z toutes les étapes de la vie d’une commande et un budget formation est prévu à cet effet.

Deux ans plus tard on peut clairement parler de succès. Les clients sont renseignés immédiatement sur l’état d’avancement de leur commande ; tous les documents d’une même commande étant rédigés par une seule personne ou par un même groupe de personnes il y a moins d’erreurs ; les responsables d’atelier ayant exprimé leurs besoins, on en a tenu compte et ils en sont satisfaits ; les délais de fabrication, d’expédition et de facturation sont significativement réduits car les documents sont là, au bon moment et complets. L’image de marque du service a complètement changé.

Ce changement d’organisation fut réalisé sans consultant extérieur. Daniel suivit une méthode simple mais rigoureuse qui fut souvent reprise dans son site et ailleurs. Elle fit par ailleurs l’objet d’un mémoire qui permit à Dominique, chef d’atelier des parachèvements, d’obtenir le statut de cadre. 

3 La formation professionnelle permanente. La métamorphose de l’Ours.

Dans ce site de 400 personnes environ, à l’est de la France, j’ai la mission d’expliquer à l’encadrement le contenu de l’accord que nous venons de signer au niveau national. Tous les cadres et les chefs d’atelier sont là. Marc, le directeur local, est partant pour cette démarche à condition que je vienne sur place expliquer en direct cette logique compétence qui lui fait un peu peur.

C’est le soir. Ils sont une vingtaine de cadres, de chefs d’atelier et d’agents de maîtrise, tous très attentifs, plutôt bienveillants. Mon exposé se veut clair, encourageant, convainquant, mais je ne cherche pas à faire croire que ça sera facile. Je parle d’organisation, de formation, d’entretien professionnel. J’explique que nous avons pris l’engagement de donner à tous les salariés la possibilité de progresser en compétence, en classification et en rémunération. Il leur faudra donc rencontrer leurs collaborateurs et trouver avec eux de nouvelles façons de travailler au plus près du terrain pour améliorer les performances de leur usine, qui d’ailleurs en a sérieusement besoin.

À la fin de la présentation je sens une certaine perplexité qui se manifeste par un silence pesant. Marc, le directeur, est le premier à prendre la parole, mais pour la refiler, plutôt embarrassé, à ses cadres et chefs d’atelier. C’est alors qu’un chef d’atelier, le visage sévère et renfrogné, prend la parole. L’assistance, manifestement, est inquiète. André n’a pas l’air d’être un rigolo.

– Tout ce que vous venez de nous dire, moi je suis complètement d’accord. Discuter avec mes gars, les faire progresser, trouver une façon de travailler plus intelligente pour que le boulot soit plus intéressant et plus efficace pour l’usine, pourquoi pas ? Mais voilà, moi je suis le responsable de la manutention dans cette usine. J’ai une vingtaine de personnes qui conduisent des ponts, des chariots élévateurs, qui déplacent, empilent, dépilent, entassent des couronnes de métal, des paquets, des colis, qui chargent et déchargent des camions à longueur de journée. Et il faut que ça saute car tout le monde est pressé… Et avec qui je fais ce boulot ?… J’ai des gars qui ont un handicap physique, d’autres qui savent tout juste lire et écrire, certains sont alcooliques, d’autres encore seraient peut-être capables de faire quelque chose mais ils ont une tête de cochon, insupportables pour mes collègues, certains cumulent même plusieurs handicaps. En fait, je gère le rebut de l’usine… Les autres services n’en veulent plus, c’est moi qui me les farcis. Je passe mon temps à courir dans toute l’usine pour éviter qu’ils fassent des conneries ou qu’ils se blessent. Que voulez-vous que je fasse pour aller dans le sens que vous me demandez ?

Je devine chez cet homme une grande souffrance intérieure, une sincérité qui m’émeut. Exagère-t-il ? Que dire ? Ma réponse, un peu gênée, ressemble à de l’humour noir :

– Écoutez, dans la situation où vous vous trouvez, je ne vois que deux solutions. Ou vous licenciez tous vos gars ou vous vous retroussez les manches.

Cette réponse jette manifestement un froid. André me regarde fixement. Quelques longues secondes s’écoulent.

– J’ai compris, me dit-il, je vais me retrousser les manches… Mais j’ai besoin qu’on m’aide.

Marc me regarde, les yeux ronds et, se tournant vers son chef d’atelier, lui dit : « D’accord, on va vous aider », et se tournant vers moi : « Moi aussi je demande de l’aide ».

Et nous voilà partis pour une longue expédition qui va nous conduire avec Aliette, la DRH du site, Florence et Jocelyne ses adjointes, à des transformations dont personne n’imagine encore qu’elles soient possibles.

André, le chef d’atelier de la manutention surnommé l’Ours, était toujours en train de râler après ses gars, après ses collègues qui se débarrassaient de leurs mauvais éléments en le regardant de haut, mais qui ne transigeaient pas sur la rapidité ni la qualité des manutentions quand ils en avaient besoin.

André commence à rencontrer individuellement tous ses ouvriers pour découvrir avec eux tout ce qu’ils ont fait dans leur vie professionnelle et éventuellement hors de l’entreprise. Ce premier entretien baptisé « entretien rencontre » change tout. Avec Aliette, André et un organisme spécialisé nous montons un module de formation particulier qui durera un an, à raison d’une semaine par mois.

Marc veut montrer son engagement vis-à-vis de cette formation que certains considèrent bien inutile pour des gens qui, à leurs yeux, n’en valent pas la peine. Pour eux, c’est du gaspillage dans cette usine qui doit par ailleurs faire de grosses réductions de coûts. Trois groupes de sept à huit personnes sont formés pour suivre cette « formation action ». Il est convenu qu’après chaque semaine de formation les opérateurs mettront immédiatement en application ce qu’ils ont appris les jours précédents. C’est l’engagement d’André qui s’investit à fond dans cette opération.

Cette formation s’est déroulée dans un lieu tout à fait inattendu et symbolique : Marc, pour marquer le coup, avait décidé de mettre la salle de réunion de la direction à disposition de ces opérateurs jusqu’ici délaissés.

Trois mois plus tard, je suis invité à assister à la séance de démarrage. Le directeur, très fier de montrer qu’il met le paquet, leur demande, en introduction, de profiter de ma présence pour dire ce qu’ils pensent de tout ce qu’on fait pour eux. Hélas, tous ces hommes, le nez dans leurs documents, restent muets. Le directeur, très gêné, réitère son invitation, sans succès. Suivant la technique qu’il a déjà utilisée lors de mon intervention devant ses cadres et chefs d’atelier, il me passe brusquement la parole.

Bien embarrassé, je regarde tous ces manutentionnaires, paralysés par la timidité. Après quelques secondes de silence et d’immobilité, je m’adresse à Michel, dont le nom est écrit sur un carton posé devant lui :

– Michel, à quand remonte votre dernière formation ?

Michel lève les yeux pour articuler vaguement :

– Heu… heu…

– Combien ? Un an ? Deux ans ?

– Heu… heu…

– Combien ? À peu près ?… Cinq ans ?

– Bof, je sais pas.

– Dix ans ?… Jamais ?

– Jamais monsieur.

Je continue mon tour de table, nommant chacun par son prénom, et recueille des réponses toutes aussi navrantes que la première. Marc ne sait plus où se mettre. Le choc est néanmoins salutaire car il prend conscience qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le mode de gestion des salariés de son usine.

Une autre fois, le directeur et Aliette m’invitent à rencontrer le groupe en formation, justement dans le couloir pour la pause, croissants et tasses de café à la main. Je les salue et m’approche de Francis qui, silencieux, se tient à l’écart. Je lui dis qu’il me semble que la formation qu’il suit devrait lui permettre de faire un boulot de plus en plus intéressant dans cette usine, mais peut-être fait-il des choses encore plus intéressantes chez lui, dans ce pays de lait et de fromages ? Aussitôt le voila parti dans une longue dissertation sur la fabrication des fromages qu’il pratique depuis toujours, chez lui à la campagne. L’exposé passionnant qu’il me fait sur tous les tours de main, les parfums, les risques, la qualité qu’il lui faut toujours améliorer, dure au moins un quart d’heure. Pendant le déjeuner, la formatrice, Aliette et Florence, son adjointe, me déclarent avec un grand sourire :

– Nous avons, ce matin, assisté à un miracle.

– Ah bon ?

– Oui, le Francis, à la pause, c’est la première fois que nous le voyons s’exprimer comme ça. D’habitude il ne parle jamais, à personne.

Ce fut l’occasion d’insister à nouveau sur la nécessité de mieux connaître ceux que nous qualifions de BNQ ; hors de l’usine ils ont parfois des activités, des responsabilités, des engagements bien plus riches que ce que nous leur confions professionnellement.

Ces faits, certes, sont tout petits, mais ils peuvent marquer le début de plus grandes choses. La performance de l’entreprise commence parfois par un changement de regard, une confiance donnée qui souvent est rendue au centuple. André, le râleur taciturne, s’est métamorphosé. L’Ours n’est plus le même. Il a été sollicité pour aider ses collègues afin qu’ils réussissent eux aussi leur propre révolution culturelle. Très vite certains de ses ouvriers ont eu une promotion dans des secteurs plus techniques que la manutention. La mobilité des personnes entre les services et la manutention s’est inversée. La façon de travailler a été complètement modifiée. Un groupe de progrès issu de la manutention a gagné le prix annuel dans le cadre de notre programme d’amélioration de la qualité baptisé : qualité totale. La récompense, un voyage d’étude dans l’une de nos filiales américaines, a été un vrai rêve d’enfant pour ces oubliés du management qui n’étaient jamais sortis de leur petite ville de province.

Finalement, l’organisation globale du site a conduit chaque service à intégrer dans son activité sa propre manutention. Chacun de ces exclus a trouvé un job plus gratifiant que celui de manutentionnaire à la botte des autres.

4 Taylor est mort, pas le taylorisme. La burette qui restait dans sa case.

Je visite dans un grand site au sud de la France les sous-sols d’une très grosse installation de plus de 100 mètres de long conduite par une dizaine d’ouvriers qui s’affairent en permanence dessus et dessous. Il y a des tuyaux et de l’électronique partout, des moteurs, des écrans de télévision et des tableaux signalétiques dans tous les coins. La minute d’arrêt sur ces grosses machines, pour panne ou pour changer d’outil, coûte une fortune. Avant même d’avoir lancé la logique compétence dans cet atelier hypersophistiqué, on y a introduit, pour améliorer le taux de marche des outils et la qualité des produits, toutes les démarches de la qualité totale. J’ai moi-même, dans les années 1980, lancé ces méthodes dans le site qui est à l’origine de la logique compétence. Je viens donc voir comment marier ces deux approches complémentaires : qualité totale et logique compétence.

Mis au point au Japon, les outils de la qualité totale sont déjà bien rodés dans cet atelier modèle  : les célèbres cercles de qualité utilisant les méthodes de résolution de problème avec le fameux diagramme en arêtes de poisson (et ses cinq M : matière, matériel, méthode, milieu, main-d’œuvre) dit de Pareto qui ont débouché sur bien des progrès ; le SMED, qui réduit fortement les temps de changement d’outils ; l’Amdec, qui détecte tous les risques de défaillance ; le SPC, qui maintient la qualité au niveau convenable. La fameuse roue du progrès de Deming y est bien connue. Mais l’outil le plus génial de la qualité totale, c’est la TPM, dont nous sommes devenus les champions et que nous avons baptisée « topo-maintenance » (maintenance de terrain). Il s’agit de faire de l’auto-maintenance tout en travaillant ou pendant les brefs arrêts de la machine entre deux opérations de fabrication. C’est le personnel qui effectue le contrôle et les actions de maintenance simples mais efficaces. On réduit ainsi de façon très importante les arrêts pour panne et l’on travaille dans un environnement nécessairement bien rangé et très propre. Le personnel responsable s’approprie l’outil et évolue dans un environnement nettement plus plaisant. Nous avons vu au Japon des ouvriers travailler en gants blancs là où les nôtres se déplaçaient encore sur des sols maculés d’huiles et parfois encombrés par des déchets.

Je visite donc cet immense sous-sol impeccable, accompagné par un opérateur fier de montrer à l’expert de la qualité que je suis encore l’excellence de leurs progrès. Je ne me contente pas de me promener en curieux décontracté, je m’intéresse vraiment à leurs résultats et aux compétences qu’ils mettent en œuvre, j’examine les fiches de relevés, je regarde les jauges à huile, les cadrans, la propreté des recoins. Je me comporte comme un vrai professionnel de la qualité et gagne ainsi progressivement l’estime de ces hommes de terrain qui voient rarement un responsable venant du siège, harnaché de tous les moyens de protection de sécurité, crapahuter dans les sous-sols de leur atelier. Tout est impeccable, néanmoins je remarque que chacun est rivé à un point particulier de l’installation, réalisant un travail précis, ou attendant sans bouger que la machine lui impose de régler un paramètre. Mon attention est attirée par une jauge sur laquelle une fiche est accrochée : elle mentionne qu’il manque un peu d’huile et qu’il faut donc en rajouter. Une burette, dans un casier bien propre tout proche, semble attendre qu’on l’utilise pour rehausser le niveau défaillant. Me tournant vers mon guide je lui montre, interrogatif, cette fiche et le réservoir mal rempli. Il me fait remarquer avec un grand sourire que la TPM, c’est vraiment formidable et qu’un si petit dysfonctionnement a bien été repéré et noté. Je lui demande alors :

– Pourquoi ne pas rajouter tout de suite un peu d’huile ?

La réponse me surprend, mais qu’à moitié :

– L’ouvrier qui est chargé de mettre de l’huile n’est pas là aujourd’hui.

– La burette est là dans le casier, pourquoi ne le faites-vous pas vous-même ?

– Ce n’est pas mon boulot, la procédure ne le prévoit pas.

– Mais seriez-vous capable de le faire ?

– Bien sûr, mais je n’en ai pas le droit.

Cette malencontreuse coïncidence montre, mais je le sais déjà, que le taylorisme peut digérer de façon apparemment heureuse les meilleurs outils de management tout en montrant néanmoins ses limites. Les résultats produits par la TPM s’amélioreront encore quand ce magnifique outil s’enrichira de ses « huit piliers » issus du JIPM (Japan Institute of Plant Management), mais la réussite de la topo-maintenance ne sera jamais aussi éclatante que lorsqu’elle se mariera harmonieusement avec la logique compétence. Ce grand site qui a aussi une longue expérience de la participation a souvent été visité pour la qualité de ses produits et de son management, même les Japonais sont venus l’admirer, ce qui me vaut de vous raconter ce complément d’anecdote.

Suite à une longue mission que nous avions accomplie dans une douzaine d’usines sidérurgiques au Japon pour étudier la mise en œuvre des outils de la qualité totale, des membres de l’encadrement japonais furent à leur tour invités dans nos établissements. Ils n’ont rien appris sur la qualité totale mais furent assez étonnés par la mise en œuvre de la logique compétence et le mariage judicieux que nous avions fait de ces deux approches. Cette visite dans le Sud de la France était la dernière, en quelque sorte l’apothéose d’un long périple, et nous leur offrîmes un bon repas à la française avec ce qu’il faut de cérémonial, mais suffisamment de décontraction pour pouvoir parler librement. Quand le café fut servi, l’atmosphère étant bien détendue, je me hasardais à leur demander :

– Avez-vous été intéressés par ce que vous avez vu et par les échanges que vous avez eus avec les personnes rencontrées dans les ateliers. Je pense que nous avons encore un peu de retard sur vous en matière de management.

Malgré le mauvais anglais qui nous servait d’espéranto, nous nous comprenions très bien. La réponse nous laissa perplexes :

– Vous êtes allés beaucoup plus loin que nous. Nous, nous faisons des cercles de qualité pendant lesquels les opérateurs s’expriment librement et font preuve d’intelligence, mais ensuite ils retournent au travail comme avant, suivant le principe du taylorisme. Nous avons peut-être une meilleure pratique des outils de la qualité totale, mais nous avons un temps de retard sur votre façon de travailler dans vos ateliers.

Ce raccourci était peut-être exagéré mais n’était pas complètement faux, c’était bien l’impression que j’avais eue dans les usines sidérurgiques que j’avais visitées au Japon. Et que dire de l’écart très important entre « l’excellence » des grands établissements japonais et la misère de leurs sous-traitants, comme nous l’avait expliqué André L’Hénoret, prêtre-ouvrier pendant vingt ans dans ces petites usines assez terribles.

Ces rencontres croisées ont été riches d’enseignement pour les deux parties et ont montré que la logique compétence n’est pas toujours évidente à mettre en œuvre mais permet des progrès qui sautent aux yeux quand elle est bien assimilée.

5 L’encadrement, une fonction complète. Un directeur à l’écoute.

Cette usine de 200 personnes, dans une petite ville de l’intérieur de la France, sur un plateau à 1 000 mètres d’altitude, fabrique des aciers très spéciaux pour la construction de moteurs électriques. Bien que fierté de sa région elle est un peu oubliée dans notre grande maison. Ce petit Poucet a néanmoins de l’ambition et son savoir-faire mérite qu’on y prête attention. Ses clients sont fidèles malgré une concurrence croissante. C’est comme on dit une « niche » dans la famille des sidérurgistes, et il nous paraît judicieux de la bichonner. Malgré son isolement géographique et ses fabrications marginales, ce site est lui aussi concerné par la logique compétence.

Me voilà donc faisant un exposé détaillé sur la logique compétence que notre accord sous-tendait. Robert, le directeur, la DRH, les cadres, les chefs d’atelier et tous les agents de maîtrise sont là, une vingtaine de personnes tout au plus, attentifs et ouverts. Le directeur est particulièrement enthousiaste et souhaite que je sois explicite et convaincant afin d’entraîner avec lui tous ses responsables d’encadrement dans l’aventure. Quelques questions techniques sont posées par des cadres, bons élèves, qui montrent ainsi leur intérêt pour une démarche dont ils pensent pouvoir tirer parti, ce site devant fortement augmenter sa production. Les agents de maîtrise et les chefs d’ateliers, eux, semblent perplexes. Après quelques minutes de silence interrogatif, un chef d’atelier, Maurice, enfant du cru, prend la parole avec un accent local teinté d’émotion qui laisse transparaître un certain désarroi :

– Comment voulez-vous que nous nous engagions dans cette affaire avec tout le travail que nous avons déjà ? Tout ça c’est bien beau, nous aimerions bien y aller, discuter avec nos gars, les faire évoluer, améliorer la productivité, etc. qui n’est d’ailleurs pas si mauvaise que ça ! Encore des réunions… C’est impossible, surtout dans un petit site comme le nôtre où il n’y a pas beaucoup de moyens !

En guise de réponse, prudent, je me tourne vers leur directeur avec une petite moue interrogative et finis par lui dire :

– Je ne crois pas qu’on puisse répondre qu’ils n’ont qu’à mieux s’organiser. Ce serait peut-être un peu rapide. Il ne faut pas botter en touche. Qu’en pensez-vous ?

Robert, manifestement un peu déçu par la réaction de sa maîtrise, n’élude pas la question et dit :

– Vous êtes d’accord avec ce qu’on vient de vous dire, mais vous avez besoin d’aide pour dégager du temps pour vous engager dans cette démarche, compte tenu de tout ce que vous avez à faire aujourd’hui ?

– Oui, oui, cette logique, dite « compétence », nous va bien. D’ailleurs ce serait une bonne occasion pour résoudre quelques questions de management dans cette usine. Tout le monde court à droite et à gauche… Et puis, vous savez bien, il y a des problèmes sur les classifications… Et les absents, il y en a beaucoup et on ne sait jamais comment les remplacer. Mais nous, comme nous fonctionnons, nous sommes saturés…

Le ton étant monté d’un cran, avec Robert nous sentons qu’il y a de la bonne volonté mais qu’il faut analyser la situation de plus près avant de nous lancer dans la grande aventure que je viens de proposer.

Courageusement leur directeur suggère que nous étudions ensemble, avec les agents de maîtrise et les chefs d’atelier, le contenu de leur fonction. Que font-ils exactement des trop nombreuses heures qu’ils passent chaque jour dans cette usine ? Pour cela, un consultant local qui connaît bien l’établissement les accompagnera.

L’étude va durer un an à raison d’une journée au vert par mois. Tous les membres de l’encadrement vont y participer à tour de rôle. Et me voilà invité à nouveau, cette fois pour la présentation de cette analyse. Le travail a été minutieux et le compte rendu d’une centaine de pages est complet, bien argumenté et très clair. La conclusion est d’une limpidité brutale et se résume en quelques mots :

– Pour nous agents de maîtrise, notre fonction peut s’analyser globalement de la façon suivante : nous passons un tiers du temps à faire notre travail d’agent de maîtrise, un tiers du temps à faire le boulot des absents et un tiers du temps à être la boniche de nos gars !

Le deuxième tiers, « remplacer les absents » ne m’étonne pas mais le troisième me fait sursauter :

– Comment ça, la boniche de vos gars ?

– Oui, c’est nous qui leur apportons les documents de travail, qui les corrigeons quand ils sont mal rédigés, qui allons chercher la clef à molette ou tout autre outil quand ils en ont besoin. C’est nous qui les aidons à mettre les machines en route et à les régler, qui les obligeons à mettre le casque de protection ou les lunettes de sécurité quand il ne faut pas aller les leur chercher lorsqu’ils ne sont pas à côté d’eux… Vous trouvez ça normal ?

Le ton est plutôt véhément et légèrement revendicatif, mais il semble dire :

– Nous, on fait bien notre travail compte tenu des circonstances, alors reconnaissez honnêtement ce que nous faisons, et pourquoi pas, payez-nous un peu mieux !

Et en cette circonstance, je suis en quelque sorte pris à témoin. Je garde respectueusement le silence, laissant à leur directeur le soin de la réponse. Néanmoins, pour donner un peu de temps à Robert, que je devine légèrement embarrassé, je glisse cette petite question perfide à Maurice:

– Vous soulevez là un vrai problème, mais dites-moi, franchement, qu’est-ce qui est plus facile pour vous, passer une heure sur un chariot élévateur ou passer un quart d’heure à votre bureau pour écrire dix lignes sur ce qu’il faudrait faire dans quinze jours ?

Il n’hésite pas longtemps.

– Vous avez raison, il est plus facile de passer une heure à conduire le chariot élévateur.

Robert reprend :

– Écoutez, la boniche, ce n’est vraiment pas normal, et même, remplacer les absents ce n’est pas normal non plus. Il faudrait voir ensemble comment changer ces façons de travailler. C’est peut-être, comme on nous l’a dit, une question d’organisation du fonctionnement de l’usine.

– Et, se tournant vers ses cadres : « Je vous propose qu’on étudie cela de plus près.

Cette fois encore, Robert a le bon réflexe. Pas de « y a qu’à, faut qu’on », mais « regardons ensemble ». Les agents de maîtrise sentent qu’ils viennent d’ouvrir une voie à laquelle ils n’avaient jamais pensé : « Pouvons-nous travailler autrement ? » Les cadres comprennent, et certains le souhaitaient depuis longtemps, qu’ils allaient enfin élargir leur fonction au-delà de la seule technique en abordant les problèmes humains et l’organisation du travail.

Jusque-là, l’organisation était classique. Chaque ouvrier était rivé à son poste. Il faut, et c’est pesant, s’occuper des opérateurs comme on s’occupe des installations. Par exemple, un salarié ne peut être commandé que par son chef direct. J’en ai été témoin en visitant l’usine avec Maurice, chef d’atelier de production : comme un salarié de l’entretien y travaillait sans casque de sécurité, il fallut appeler le chef d’atelier de l’entretien. Tous les salariés avaient à peu près le même coefficient de classification. Les rémunérations étaient plutôt anarchiques, vaguement fonction des postes occupés, mais pratiquement sans corrélation avec les coefficients des ouvriers. Les cadres laissaient leur directeur et la DRH, Jean-Claude, puis Gilles et Marc, s’occuper directement de la gestion du personnel avec la maîtrise. Les agents de maîtrise administratifs, méthodes, contrôle, entretien, travaillaient à la journée. Ceux de la production faisaient les trois postes et fonctionnaient par paire. Les postés voyaient rarement et connaissaient peu ceux de la journée. C’est ce dont avait hérité Robert en prenant la direction de cette usine à l’organisation vieillotte, au demeurant fort sympathique et plutôt bon enfant.

Donc, après plusieurs mois de réflexion, ils ont imaginé un autre type d’organisation et, d’une certaine façon, le résultat fait maintenant la gloire de ce petit site qu’on vient souvent voir fonctionner pour y prendre des idées. La satisfaction du personnel, encadrement, techniciens et ouvriers, est bonne et, tout en améliorant la qualité, nous avons très fortement augmenté le volume de production à effectif constant.

Deux ans plus tard, j’organise une visite avec une douzaine de directeurs de différentes usines, petites, moyennes et grandes. Pour éviter les laïus bien ficelés que l’on présente habituellement dans la moquette des « grands bureaux », nous avons prévu, avec l’accord de Robert, une visite de nuit, de 1 heure à 4 heures du matin, afin de discuter sur place avec les ouvriers de la façon dont ils vivent la nouvelle organisation.

La tournée dans les ateliers sera précédée d’un dîner succinct, histoire de faire un peu connaissance et de créer des liens. Les directeurs que j’ai invités, certains intéressés, d’autres plutôt dubitatifs, attendent avec impatience la visite d’usine tout à fait inédite, en pleine nuit, dans un site qu’ils ne connaissent pas, type de visite que certains n’ont peut-être jamais faite dans leur propre établissement. Mais auparavant ce sont les cadres eux-mêmes, aidés par Gilles et Marc, qui leur expliquent, en présence de quelques agents de maîtrise, ouvriers, et même syndicalistes, tous ces changements :

« Après l’analyse de leur emploi du temps, les agents de maîtrise ont continué à se rencontrer avec leur consultant favori. Un certain nombre d’ouvriers ont été associés à la réflexion, les syndicats signataires de notre accord ont été consultés et un plan d’action mis en place par les cadres. Un programme de formation, en salle ou sur le tas, a été établi pour les ouvriers afin d’élargir leurs compétences techniques, mais aussi dans d’autres domaines comme les coûts, le travail en groupe, la sécurité, la qualité, la résolution de problèmes, la sécurité, l’environnement. Il y a eu aussi des formations “connaissance de l’entreprise” pour les salariés et une opération “portes ouvertes” pour leurs familles. On a décidé que tous les agents de maîtrise, y compris ceux qui étaient à la journée, passeraient à tour de rôle en poste de nuit et que tous les agents de maîtrise anciennement postés passeraient à tour de rôle à la journée. Les agents de maîtrise de la production, en passant régulièrement dans un emploi de jour se sont sentis beaucoup mieux intégrés à la marche de l’entreprise, la plupart des décisions étant en effet prises par les hommes qui travaillaient à la journée comme les cadres et le directeur que jusqu’alors ils ne voyaient pas souvent. Grâce à l’apport des compétences et de l’expérience de chacun dans les fonctions qui n’étaient pas habituellement les siennes, il y a eu beaucoup d’actions de progrès. Par la formation et la préparation psychologique, les ouvriers ont élargi leur domaine de compétences et leur capacité à travailler en groupe de façon plus responsable et plus autonome. Cela a conduit à ne mettre plus qu’un seul agent de maîtrise par poste là où jusqu’alors il y en avait deux, y compris la nuit. Un programme pluriannuel a été établi pour rendre plus cohérents les classifications et les salaires en fonction des compétences validées et mises en œuvre à la suite d’entretiens professionnels menés en bonne et due forme avec des référentiels de compétences assez simplement rédigés mais tout à fait opérationnels… »

Après cet exposé qui suscite de nombreuses questions, nous prenons le chemin tant attendu des ateliers dans lesquels nous allons rencontrer beaucoup d’opérateurs. Dans les ateliers, tout fonctionne sans problème et apparemment sans stress. Nous demandons plusieurs fois :

– Et maintenant que vous n’avez plus qu’un seul agent de maîtrise, qu’est-ce que ça vous fait ?

Les réponses sont toujours semblables :

– Pas de problème, on se débrouille.

Jusqu’au moment où nous arrivons devant un gros laminoir dont on effectue le changement des cylindres. Cette opération compliquée et délicate nécessite beaucoup de manœuvres et un certain nombre de personnes. Après quelque hésitation, par peur de déranger, nous finissons par nous approcher de ce qui ressemble à une fourmilière. Après quelques instants d’observation silencieuse l’un d’entre nous pose une fois de plus la question qui amorce la courte discussion que voici, sans commentaire :

– Et maintenant que vous n’avez plus qu’un seul agent de maîtrise, qu’est-ce que ça vous fait ?

– Pas de problème, répondent-ils, on se débrouille… mais, tout de même… avant, l’agent de maîtrise nous aidait quand nous faisions le changement de cylindres… plus maintenant.

– Qu’est-ce qu’il faisait pour vous aider ?

– Eh bien… c’est lui qui conduisait le pont roulant pour faire la manutention.

– Et maintenant, qui conduit le pont roulant ?

– C’est un collègue de la ligne de recuit qui vient de l’atelier d’à côté… celui à qui nous livrons les tôles que nous laminons.

– Et avant qu’est-ce qu’il faisait cet opérateur de l’atelier d’à côté ?

– Eh bien… il nous regardait…

Mots-clés: FORMATiON, REFORME, APPRENTISSAGE, COMPETENCES, MagRH5, TEMOIGNAGE, GPEC, PROSPECTIVE

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