La Société à Responsabilité Sociale... une nouvelle forme de RSE ?

Chacun aura remarqué qu’en ces temps quelque peu tourmentés, la RSE défraye la chronique. On ne se pose plus la question de savoir si l’entreprise a une responsabilité sociale, cela est devenu une évidence.

Il faut tout de même signaler que la RSE  selon  " La plateforme de la RSE et de l’engagement durable "  est un concept destiné aux grandes entreprises et que les grandes entreprises ne sont en France que 287 sur un total d’environ 3.8 millions d’entreprises. Le discours omniprésent sur la RSE est donc à relativiser quant à son déploiement au sein de la sphère entrepreneuriale.

Il est sans doute inutile de rappeler dans ce magazine ce que l’on entend par Responsabilité sociale des entreprises ; mais revenir sur ce que l’on entend par  " entreprise" pourrait probablement avoir une certaine utilité, car il n’est pas si aisé de répondre à la question :  " qu’est-ce qu’une entreprise ? " .

En effet, lorsque l’on examine la façon dont le concept d’entreprise s’est forgé au cours du temps, on y voit des acceptions restées cachées mais toujours résidentes au travers de l’entité actuelle qu’elle représente.

L’entreprise

L’entreprise est un mot combat, mais un combat codifié. Cette notion a vu le jour au XIIe siècle pour caractériser les types d’action voués à bouleverser l’ordre du monde, en un sens l’entreprise subvertit l’ordre établi. Elle instaure un certain déterminisme, un calcul (stratégie), afin de limiter au maximum les hasards inhérents à toute forme d’action. Elle nécessite donc un engagement dans l’action en vue d’un dessein délibéré. Toute entreprise est ainsi machiavélique.

L’entreprise est un élan vers ce qui n’est pas encore achevé, un mouvement de réalisation qui tend vers un achèvement. Peter Drucker, le pape du management, promeut que  " L’entreprise est la première institution humaine qui a été conçue pour créer le changement. "  Il faut noter, point que l’on n’intègre que très rarement, que l’entreprise une fois sa fonction achevée est vouée à disparaître. La finalité de l’entreprise est donc, en fin de compte, de se dissoudre (de mourir). On pourrait convenir que la formule la plus caractéristique pour la définir est celle que propose Hélène Vérin :  " L’entreprise se définit en général comme une forme d’activité comprise entre un engagement (avance) d’argent, et sa récupération, majorée d’un profit. " 

A l’heure des responsabilités

Cela étant dit, pour en revenir au sujet qui nous occupe, c’est-à-dire avec la responsabilité sociale que l’entreprise entretient avec la société, il est cependant assez curieux que l’on ne se soit pas posé au préalable la question inverse ; car il serait sans doute intéressant de retourner la question. En effet, si l’entreprise a réellement une responsabilité à l’égard de la société, la société a-t-elle une responsabilité à l’égard de l’entreprise ? Personne jusqu’à présent n’a mis cette question à l’ordre du jour.

Pourtant  à l’heure où la société française compte 63 000 faillites par an et que 3 entreprises sur 5 ne parviennent pas à franchir le cap des 5 années d’existence, que 4 sur 5 sont créées sans salariés, et où par-dessus tout cette société compte 6 millions de chômeurs, 10 millions de pauvres, 3.2 millions de salariés exposés à des risques psychosociaux, 2 400 milliards de dettes, plus un problème écologique remettant en cause le rapport entre l’homme et la nature , ne sommes-nous pas en droit de nous interroger en retour sur les devoirs de la société à l’égard des entreprises ? Attendu que c’est bien la société qui a fait émerger de toute pièce l’entreprise telle qu’on la connaît jusqu’à présent.

Ce constat, mettant en lumière quelques point critiques devenus cruciaux, n’est certes pas objectif mais montre à quel point un tel questionnement devient incontournable. Car si l’entreprise, telle qu’elle a été instituée par la société, est en crise, c’est qu’elle est affublée d’un certain nombre de défauts et sans doute appartient-il à la société elle-même de les corriger, ce qui réclame une réflexion en surplomb.

La crise de l’entreprise classique

On pourrait se focaliser sur trois défauts majeurs qui mettent à bas le bon sens organisationnel à tel point que l’on pourrait se demander pourquoi il en fut ainsi. En effet :

Premièrement, l’opposition Capital-Travail dans les entreprises devient de plus en plus insupportable, tant pour les salariés, les dirigeants, que pour les actionnaires, attendu que leurs intérêts sont sans cesse divergents alors que l’on sait pertinemment que l’on ne pourra jamais les aligner et qu’en conséquence cela grippe considérablement le développement de l’organisation.

Deuxièmement, dans nos sociétés contemporaines qui se sont sans cesse spécialisées et normalisées, il n’y a pas de formation spécifique diplômante exigée pour diriger une entreprise. Cette carence explique sans aucun doute, au moins pour partie, le grand nombre de faillites que l’on a enregistré ces derniers temps.

Troisièmement, pour la très grande majorité d’entre-elles (les TPE et PME représentant 98% des entreprises), le manque vital de capitaux nécessaires pour satisfaire le besoin en fond de roulement est un bât qui blesse et même qui tue, sans que l’on y ait jusqu’à présent trouvé un remède.

Les vertus de l’entreprise moderne

Pour cause, en contre point de cette entreprise que l’on peut appeler  " classique " , on pourrait aisément concevoir une entreprise moderne nommée SARS (Société à responsabilité sociale) et dont les fondations reposeraient sur le trépied suivant :

Primo, dans ce nouveau cadre, plutôt que de s’opposer au Travail, le Capital fusionne avec le Travail (c’est à ce moment que l’on sort du capitalisme ) ; en agrégeant des agents économiques tous propriétaires égalitaires des moyens de production. Dans une SARS, il n’y a pas d’actionnaires qui se borneraient à ne se contenter que d’un apport financier sans implication effective dans la marche quotidienne de l’entreprise. L’actionnariat est réduit aux seuls salariés partie prenante du projet entrepreneurial. Actionnaires et salariés sont ainsi parfaitement confondus, de fait, un contrat de coopération remplace le contrat de subordination, ce qui change complètement le sort de l’implication des acteurs. Cette forme inédite de répartition du droit de propriété à l’intérieur de l’entreprise permet de déprécariser l’emploi, tout en imposant un partage équitable du profit espéré uniquement entre ceux qui l’ont produit. Cela permet en outre une augmentation des revenus des individus, et par là même d’accroître la solvabilité de la demande globale à l’égard d’une couverture générale de besoins.

Secundo, la SARS comprend en son sein un dirigeant spécifiquement diplômé, en capacité de prendre des décisions positives à l’égard d’un destin collectif partagé et solidement formé pour agir dans le cadre d’une nouvelle philosophie de management à l’intérieur d’une entreprise institutionnellement refondée. Le métier de dirigeant est devenu un exercice très spécial face aux enjeux du monde complexe des temps présents, il nécessite aujourd’hui une formation particulière dont aucune école actuellement ne possède le programme adéquat.

Tertio, pour palier à la fois au manque de fonds propres des entreprises et à la problématique du coût social du non emploi, il serait judicieux de remplacer progressivement l’allocation chômage par un  " prêt "  de type bancaire, cautionné par la Puissance publique, d’un montant estimé à 20 000 euros pour tout individu faisant partie de la population active et avide de travailler dans des conditions différentes. Ce montant que chacun serait donc potentiellement en mesure d’apporter serait uniquement destiné à être investi au capital d’une SARS et serait renouvelable en cas d’échec de l’entreprise. Ainsi, une entreprise unipersonnelle aurait un capital social de 20 000 €, une entreprise bi-personnelle un capital social 40 000 € (aide managériale mutualisée pour les petites structures), une entreprise de 10 salariés un capital social de 200 000 €, avec un effectif de 50 000 personnes, cela génèrerait un capital d’un milliard d’euros. Chacun comprend alors aisément comment il est possible de se détacher progressivement de cette économie fondée sur l’exploitation des uns par les autres, ainsi que de cette économie virtuelle échafaudée sur des spéculations menées par quelques financiers peu scrupuleux et dépourvus d’éthique sociale. Compte-tenu des contraintes budgétaires, l’utilisation du cautionnement public à cet effet est l’engagement le plus efficace, le plus sûr et le moins onéreux pour relancer la création d’emplois dans des conditions valables. Les SARS sont donc dotées d’une capitalisation puissante et dynamique. Toute entreprise existante ou en projet peut être modernisée, c’est-à-dire transformée, reprise ou se créer sous forme d’une SARS.

On dénombre plusieurs avantages concurrentiels qui émergent de cette entreprise moderne, rien que de par sa structure.

  • D’abord, le fait de rendre les agents économiques propriétaires d’une partie des moyens de production, c’est a fortiori les impliquer davantage à tous points de vue dans l’organisation et la gestion du projet d’entreprise. En effet, ceux-ci ne peuvent que se sentir concernés à un degré plus haut que s’ils n’étaient que de simples salariés. Qui plus est, ce titre de propriété les rend non licenciables, d’un point de vue économique tout du moins, ce qui n’empêche pas l’auto-exclusion au cas où le contrat de coopération ne serait pas convenablement respecté. La propriété revêt un aspect incitatif et responsabilisant. De plus, on évite ainsi tout conflit entre salariés et actionnaires.
  • La capitalisation est un point éminemment crucial dans l’essor d’une entreprise. Doter les firmes d’un capital conséquent, c’est lutter judicieusement contre le manque cruel de fonds propres si souvent dénoncé comme étant le bât qui handicape le plus la pérennité autant que le développement des firmes, surtout lorsqu’elles sont de petite ou moyenne taille.
  • La répartition égalitaires des profits, reflet d’un véritable esprit d’équipe , est un élément non négligeable à prendre en compte dans la motivation des acteurs, car le montant des profits dépend en partie de la force de cohésion du groupe à tenir les objectifs visés qu’il s’est lui-même fixé tout en faisant face de manière inventive aux aléas. Les acteurs ont plus que jamais tout intérêt à travailler en bonne intelligence.
  • Le cautionnement de la puissance publique permet en outre d’instaurer une barrière à l’entrée en ne cautionnant que des projets éthiques et écologiques.
  • La formation spécifique et diplômante du dirigeant, exigée pour administrer une SARS, est un point qui apporte un plus incontestable au niveau des avantages. En effet, dans un premier temps elle légitimise le dirigeant (attendu que ce dernier est désormais spécialement formé à cet effet et est le garant du bon usage du cautionnement public). Ensuite, il est clair que sur un plan opérationnel, l’avenir stratégique d’une firme dépend en grande partie de la compétence de celui qui a en charge la gouvernance générale de l’organisation, et s’en remettre à un individu dont le talent est reconnu pour cet exercice est de toute évidence une supériorité manifeste comparée à une firme dont le dirigeant est plus ou moins informel. Sous la houlette d’un leader charismatique et fiable, solidement formé aux enjeux entrepreneuriaux des temps présents, on présume que la motivation des agents sera encore supérieure.
  • Par ailleurs, l’absence de cotisation chômage sur la masse salariale est là encore un atout de poids permettant un avantage significatif. En effet, cette mesure abaisse considérablement le coût du travail et rend de facto l’entreprise bien plus compétitive que n’importe quelle autre organisation concurrente.
  • Ensuite, l’exonération de CET (Contribution économique territorialisée) est également un allègement de charge significatif renforçant la compétitivité structurelle .

On peut aussi fournir une liste non exhaustive de bienfaits concernant cette entreprise moderne :

  • La SARS n’est pas délocalisable.
  • Il est extrêmement difficile d’y concevoir des fraudes fiscales, abus de bien sociaux, des grèves, des vols internes, etc.
  • Le processus auto-régénérateur permet à long terme d’éteindre progressivement le travail clandestin et la contrefaçon. Développé à grande échelle, il a institutionnellement vocation à humaniser la marche de la mondialisation.
  • Le partage égalitaire de la propriété invite et initie à l’instauration d’une véritable démocratie.
  • Le temps de travail est laissé à la libre appréciation des acteurs et l’ajustement des horaires se discute en interne avec plus de lucidité au regard des potentialités du marché.
  • La SARS peut davantage viser le long terme grâce à une meilleure stabilité des acteurs (tous propriétaires du capital), ils peuvent s’y investir sans risque d’être licenciés.
  • Les SARS peuvent former entre-elles un réseau intelligent grâce à une Fédération des SARS destinée à les regrouper au sein d’un cadre collaboratif.

On pourrait aussi inciter les consommateurs en leur suggérant  " ACHETER SARS" après avoir estampiller les produits fabriqués par ces organisations  " MADE by SARS", afin de faire directement valoir les atouts socioéconomiques des entreprises modernes.

Créer un ouroboros socio-entrepreneurial

Ce statut singulier bénéficie donc d’avantages concurrentiels imparables et le pari suggéré est qu’un grand nombre de SARS en fonction dans l’économie actuelle devrait contribuer à réactiver de manière significative le processus de création d’emplois, resté plus ou moins en panne depuis la fin des Trente glorieuses. Ce genre de dispositif, déployé à grande échelle, tendrait à nous conduire potentiellement vers un plein emploi total et durable. Il est en effet essentiel de construire à présent une économie sociale pour et avec chacun d’entre nous, et un dispositif destiné à générer de multiples SARS devrait le permettre.

En développant des SARS en grand nombre, il serait donc possible de construire un monde sans chômage et sans dette publique. Il appartient ainsi à la société de se mobiliser pour moderniser l’entreprise ; de quoi promouvoir quelque vertu concernant la RSE, entendons par là : Responsabilité de la société à l’égard des entreprises ; car la RSE ne va pas sans la RSE ! 

Philippe TONOLO

Philippe TONOLO, entrepreneur, dirigeant, fondateur du Cabinet d’expertise en évolution économique (C3e) et du Mouvement des chercheurs dirigeants et entrepreneurs séniors (MCDES). Docteur en sciences économiques et auteur de la première théorie scientifique de l’histoire de la pensée économique.

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    Mots-clés: FORMATiON, RSE

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