RSE, Droit souple et droit dur…

 

Par Elisabeth Saubadu, Directrice Juridique RSE Orange

La Responsabilité Sociale d’Entreprise (RSE) permet  d’anticiper et de prévenir certains risques et d’obliger les entreprises à ne pas uniquement privilégier la croissance et les profits au détriment des droits humains et de l’environnement. Il n’y pas de définition unique de la RSE. Elle résulte d’influences multiples et repose à l’origine essentiellement sur des engagements volontaires, des initiatives et des comportements considérés et voulus comme vertueux.

Elle est classiquement définie comme l’ensemble des pratiques, stratégie et organisations mises en place par les entreprises dans le but de respecter le développement durable qui repose sur les 3 piliers, social environnemental et économique. La RSE se traduit dans les entreprises par la mise en place d’actions inscrites dans une démarche d’amélioration continue. Ces actions ont pour but d’améliorer, limiter, corriger et/ou réparer les effets néfastes. Ainsi, l’entreprise va identifier les impacts négatifs quelle peut générer sur les parties prenantes et mesurer périodiquement les actions prises.

Dans le livre vert « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises »  la Commission Européenne  en 2002  définissait la RSE comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupation sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec les parties prenantes ».

La commission européenne en 2011 a donné une nouvelle définition de la RSE comme « la responsabilité des entreprises vis à vis des effets qu’elles exercent ». Cette nouvelle définition signifie non seulement que les entreprises doivent satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables mais aussi aller au-delà et investir d’avantage dans le capital humain, l’environnement et les parties prenantes. Elle montre que la RSE relève à la fois du droit dur «  hard law » c’est-à-dire des normes juridiques ayant force obligatoire comme la loi, les décrets que de la « Soft law » ou droit souple qui renvoie à des engagements volontaires comme ceux édictés par des codes de conduite, des chartes ou l’adhésion à des conventions internationales ou à des normes internationales.

La RSE peut apparaître comme une réponse à la mondialisation et la globalisation qui se sont développées depuis plusieurs décennies et ont eu pour conséquence d’accroitre les inégalités entre les pays du Nord et du Sud et d’avoir des impacts négatifs sur les droits humains, l’environnement et le climat.

Les entreprises multinationales participent largement à ces conséquences négatives. Elles ont étendu leurs activités au-delà des frontières nationales et ont acquis un pouvoir politique et économique sans précédent. Elles agissent sur plusieurs juridictions, multiplient les filiales et les sous-traitants dans un cadre international trop imprécis et s’affranchissent ou profitent de certaines  règles dont les populations les plus vulnérables et l’environnement sont les premières victimes.

Depuis les années 1970, les ONG et mouvements sociaux se mobilisent pour demander aux états des prendre des mesures pour adopter un régime juridique international ayant vocation à rendre les entreprises multinationales responsables de leurs actes tout au long de la chaine d’approvisionnement. 

Les états membre de l’OCDE ont longtemps rejeté un tel système juridique et la tendance a été de privilégier les démarches volontaires, comme politique d’autorégulation.

Le droit souple et l’adoption de normes internationales

Durant les vingt dernières années, le développement du droit souple et l’adoption de nombreuses normes internationales ont été la réponse institutionnelle aux pressions des ONG et de la société civile. Ces normes devaient permettre de définir des standards pouvant s’appliquer quelle que soit l’implantation géographique. Le Pacte Mondial des Nations Unis adopté en 2000 fait partie de ce mouvement. Ce pacte  non contraignant propose des outils de réflexion  et de mise en œuvre aux entreprises pour diffuser les bonnes pratiques de la RSE. 

Le cadre des Nations Unies « Entreprises et droit de l’homme » adopté en 2008 pose les fondements de la RSE d’aujourd’hui  et fait suite au rapport « Protéger, Respecter et Réparer » du Professeur John Ruggie, nommé en 2005 représentant spécial pour la question des droits de l’homme, des sociétés transnationales et autres entreprises par Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies. Dans son rapport, le Professeur Ruggie fonde la régulation sur ces trois piliers (protéger, respecter réparer). Il définit la responsabilité des entreprises comme relevant d’un devoir de vigilance qui les contraints (i) à s’assurer qu’elles ne sont pas coupables ou complices de dommages environnementaux ou sociaux (ii) à mettre en place un système de due diligence composé de quatre étapes (identification des incidences négatives réelles ou potentielles, prévention, remédiation et compte-rendu des mesures de diligence prises). Ces principes ainsi que ceux de la due diligence vont servir de fondement à une série de normes telles que les principes directeurs de l’ONU adoptés à l’unanimité en 2011 par le Conseil des Droits de l’homme de l’ONU et les principes de l’OCDE à l’attention des multinationales révisés en 2011. La définition de la RSE par la Commission Européenne ainsi que la déclaration tripartite de l’Organisation International du Travail (OIT) sont alors revus pour tenir compte de ce nouveau contexte normatif. 

Ces principes sont mis en œuvre par les entreprises dans de nombreux états mais leur caractère non obligatoire et non assorti de sanctions n’est pas suffisant pour contraindre les entreprises à remédier aux incidences négative de leurs activités, les réponses apportée à ces situations se font de plus en plus à travers le développement  du droit dur qui trouve sa source d’inspiration dans le droit souple.

Adoption de législations nationales de plus en plus nombreuses et de réglementations européennes

Parallèlement au développement de ce droit souple, depuis les années 2000, les pays occidentaux multiplient les initiatives en matière de protection de l’environnement et de défense des droits de l’homme et adoptent des réglementations à portée extraterritoriale engageant la responsabilité civile voire pénale de l’entreprise et de ses dirigeants.  Nous pouvons citer à titre d’exemple la loi californienne sur la transparence dans la chaine d’approvisionnement  adoptée en 2010, la loi de 2015 sur l’esclavage Moderne au Royaume Unis et  la loi sur la diligence raisonnable contre le travail des enfants votée en mars 2019 au Pays-Bas.

L’Union Européenne qui a longtemps considéré que la RSE relevait du droit souple et d’une démarche volontaire, lui  donne un caractère plus contraignant avec la Directive européenne sur la publication d’informations non financières (2014/95 UE). L’entreprise doit donner des informations sur la manière dont elle prend en compte les conséquences sociales et environnementales de son activité et surtout ce qui est nouveau «elle doit  informer sur les principaux risques liés à ces questions en rapport avec l’activité de l’entreprise, qui sont susceptibles d’entrainer des incidences négatives et décrire les politiques appliquées par l’entreprises sur ces questions  y compris les procédures de due diligence mises en œuvre ».

La France n’est pas en reste dans ce contexte législatif.

Focus sur la réglementation française

La France est fortement pionnière dans le domaine, avec la loi relative aux Nouvelles Régulations Economiques  du 15 mai 2001 (NRE) modifiée par la loi n°2010-788 « Grenelle 2 du 12 juillet 2010 et complétée par loi du 15 août 2015 relative à la transition écologique et énergétique pour la croissance verte. Ces lois ont marqué un tournant et une sérieuse prise en compte de la RSE par les entreprises à travers des obligations de reporting de plus en plus contraignantes. 

La loi sur le devoir de vigilance du 27 mars 2017 est une nouvelle étape décisive pour l’implantation de la RSE dans les entreprises et a été adoptée en réaction à l’effondrement du Rana Plaza, un immeuble industriel qui abritait des ateliers de confection travaillant pour le compte de multinationales et qui a fait plus de 1100 morts.

Dans l’esprit des principes directeurs des Nations Unies, la loi sur le devoir de vigilance couvre tous les secteurs d’activité mais vise seulement les entreprises d’une certaine taille (plus de 5000 salariés lorsque le siège social est en France ou 10 000 salariés) en leur imposant  de mettre en œuvre de manière effective un plan de vigilance raisonnable propre à identifier et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes, l’environnement. 

Ce plan comprend cinq mesures s’inspirant  des principes de due diligence définis par les principes directeurs de l’ONU et doit couvrir l’activité de la société, des sociétés qu’elle contrôle directement ou indirectement et des fournisseurs et sous-traitants avec lesquels est établie une relation commerciale. Cette loi très novatrice en vigueur depuis 2 ans oblige les entreprises qui y sont soumises à s’organiser  et par ricochet toutes les sociétés en relation avec ces entreprises (notamment les fournisseurs et les sous-traitants)  doivent aussi s’y conformer puisque les entreprises concernées en répondent dans leur plan. Ainsi les entreprises doivent  mettre en place des procédures qui s’appliquent à tous les niveaux de leur organisation et prendre des mesures en matière de RSE effectives, sous peine d’être poursuivies ou mises en demeure. 

Les plans publiés par les entreprises sont très suivis  par toutes les parties prenantes des entreprises et plus particulièrement par les ONG et organisations syndicales. Ils font l’objet d’études et de benchmark. Les insuffisances ou les incohérences des plans sont pointés et sont devenus le fer de lance des ONG et des organisations syndicales qui n’hésitent pas à interpeller les entreprises. A ce jour, cinq mises en demeure ont été adressées à des sociétés françaises d’envergure internationale et une action en justice est en cours.

Enfin la loi relative à la croissance et la transformation des entreprises, dite loi PACTE du 22 mai 2019  marque une nouvelle étape  majeure de l’intégration de la RSE par les entreprises. Cette loi s’inspire fortement du rapport de N. Notat et de D. Sénard sur « L’entreprise : objet d’intérêt collectif » de mars 2018 et les nouvelles dispositions sont destinées à renforcer la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE), en trois paliers. Un premier stade, applicable à toutes les entreprises, modifie le code civil pour qu’elles "prennent en considération" les enjeux environnementaux et sociaux dans la gestion de leurs activités. Un deuxième stade permet aux entreprises qui le souhaitent de définir une raison d’être. Un troisième enfin, permet aux entreprises volontaires, de se transformer en société à mission.

Cette loi marque un nouveau tournant pour la RSE mais ne prévoit pas de sanction spécifique ni de nouveau régime de responsabilité, elle va cependant obliger les entreprises à mettre en place des mesures effectives et répondre aux attentes de leurs parties prenantes sous peine de voir leurs pratiques  qualifiées de green washing ou de social washing et d’engager la responsabilité de l’entreprise et de leurs dirigeants. Pour la mise en œuvre d’une politique RSE effective, Les entreprises devront être innovantes mais aussi s’appuyer sur certaines normes relevant du droit souple pour définir un cadre de référence.

La cohabitation du droit souple et du droit dur

Même si les principes de la RSE sont intégrés de plus en plus dans le droit dur, la RSE doit continuer à relever d’une démarche volontaire et la frontière entre la hard law et la soft Law ne doit pas être tracée.  Les règles de droit souple ne sont pas exemptes de sanctions, si l'on accepte de considérer la sanction médiatique et réputationnelle.  En outre, La validité des engagements unilatéraux peut être contrôlée par les juges.

La plupart des réglementations précitées s’inspire des principes directeurs de Nations Unies et/ou laissent une certaine latitude aux entreprises pour s’organiser et mettre en place les processus nécessaires pour s’assurer que les droits sociaux, sociétaux et environnementaux sont bien pris en compte à tous les niveaux de l’entreprise et de sa chaine d’approvisionnement. Ces normes favorisent l’émergence d’un consensus au niveau des standards de la conduite responsable des entreprises. Comme le dit le Professeur Marie-Ange Moreau (*) qui parlant de la relation entre hard Law et soft Law dans le droit français, indique que la « RSE crée un nouvel espace de normativité où le droit dur cohabite avec le droit souple. »

La juxtaposition des normes et des textes règlementaires  qui reposent dans la plupart des cas  sur des normes internationales font un socle de règles communes qui imposent aux entreprises un comportement plus respectueux de droits humains et  de l’environnement dans lesquels elle opèrent, en se référant à des standards communs dépassant les frontières et obligeant les entreprises à intégrer  la RSE à tous les niveaux de leur organisation et dans leur stratégie. La responsabilité des entreprises s’est peu à peu accrue et les multinationales ne peuvent plus s’affranchir de ces normes et textes réglementaires qui font écran à la mondialisation. Ainsi comme l’explique Maître Groult (**) « Cette interface complexe entre le droit souple et le droit positif et leur portée souvent extraterritoriale a créé un nouvel espace où les risques légaux sont en forte croissance ».

 

Enfin depuis 2014 ; afin d’offrir un cadre international, l’ONU travaille à l’élaboration ‘d’un instrument international juridiquement contraignant pour réglementer, dans le cadre du droit international des droits de l’homme, les activités des sociétés transnationales ». La sixième session du groupe de travail  prévue en octobre 2020 a pour objet de retravailler le projet de traité révisé et d’aboutir à un consensus. La définition d’un cadre normatif global serait une avancée majeure pour l’harmonisation des pratiques, contraignant dans la même mesure, l’ensemble des entreprises transnationales.

Pour conclure, le cadre normatif et règlementaire actuel oblige de plus en plus les entreprises à mettre en place des politiques et des mesures effectives  de prévention pour préserver l’environnement et les atteintes aux droits humains. Les nombreux scandales environnementaux et sociaux  qui résultent de violations ou manquements par des entreprises multinationales sont devenus de plus intolérables et insupportables et ont obligés les états à prendre des mesures. Cependant, même s’il y a eu depuis une période récente de grandes avancées,  ce cadre doit encore évoluer et aboutir à une harmonisation des différentes législations, concepts et normes qui s’appliquent aux entreprises transnationales pour être complètement efficace. Il existe encore de nombreuses réticences de la part de certains états et entreprises qui résistent. Cependant de nombreux facteurs comme notamment l’urgence climatique, les inégalités la raréfaction des ressources, l’information en temps réel et l’évolution réglementaire, jurisprudentielle et doctrinale devraient lever ces freins et obliger les entreprises à changer leur comportement de manière plus profonde et conduire à une harmonisation des pratiques ou tout du moins à un renforcement des politiques RSE par les entreprises.

*Professeur Marie-Ange Moreau,, Revue de droit social, n°10, octobre 2017, p792

** Maitre Groulx, Entreprise et droits humains : un domaine en pleine expansion, Journal du barreau, Octobre 2019

 

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