Pour s’adapter aux transformations de la société et aux nouvelles générations d’apprenants, la formation de demain sera phygitale

Former les étudiants d’aujourd’hui, c’est les préparer à évoluer, travailler et diriger dans une société transformée en profondeur par le numérique, un monde confronté également à des mutations profondes et globales. Cette nouvelle génération d’étudiants, d’apprenants de demain ne se formera plus selon des modes d’enseignement qui pour certains n’ont guère évolué, vraiment évolué, depuis les premières universités nées au moyen-âge. En repensant les liens entre pédagogie, technologie et espace, les interactions entre apprenants et la place de l’enseignant, la formation évolue elle aussi pour devenir phygitale.

Un contexte de transformation de la société profond et rapide

Lorsque Sir Tim Berners-Lee invente le web au CERN il y a un peu plus de 25 ans, personne n’imagine la rapidité des transformations économiques et sociétales qui vont marquer le début de ce siècle.

Le numéro un des ventes de livres dans le monde est aujourd’hui Amazon. L’entreprise de Seattle n’a jamais édité ou imprimé le moindre ouvrage. Même chose avec Apple qui a transformé le marché musical sans produire un seul artiste. AirBnB ne possède aucun hôtel mais est aujourd’hui plus puissant que le groupe Accor. La société Eastman Kodak, née en 1888, a été placée en 2012 sous le régime de la protection sur les faillites pour ne pas avoir su changer de modèle économique alors qu’elle possédait les premiers brevets sur l’imagerie numérique. La mise en connexion a pris le devant sur la production dans les modèles économiques les plus performants de notre époque.

Les interactions entre les réseaux sociaux, qui n’existaient pas il y a encore 15 ans, et les sphères politiques et médiatiques n’ont jamais été aussi importantes. Aux Etats-Unis, la National Archives and Records Administration (les archives nationales) a annoncé que l’ensemble des messages sur Twitter du Président Trump constituaient des archives présidentielles. Celles-ci seront donc conservées à des fins historiques.

En même temps, la force de cette connectivité en croissance exponentielle est aussi une faiblesse et fait du numérique un profond vecteur de vulnérabilité : cybercriminalité, cyber-terrorisme, intelligence économique, souveraineté numérique, virus d’état espionnant ou attaquant d’autres états, pour ne citer que les menaces les plus courantes. L’impact environnemental du numérique est aussi à prendre en considération, l’empreinte carbone d’un e-mail stocké indéfiniment sur le cloud est bien plus lourde que celle d’une feuille de page recyclé sur lequel il est imprimé.

Des relations humaines transformées

Qui imaginait Facebook ou Google il y a 20 ans ? Les réseaux sociaux et les outils de communication globaux aplatissent les hiérarchies, permettent le développement de l’économie participative, collaborative, dématérialisent les processus des organisations, favorisent le travail en réseau, les tiers lieux, le co-working et le télétravail.

Le numérique facteur de liberté apporte aussi de nouvelles contraintes : disponibilité au travail accrue, désocialisation de certains télétravailleurs isolés, frontières de plus en plus floues entre temps personnel et temps de travail, confusion entre espace personnel et espace de travail, gestion de l’e-réputation ou de l’infobésité. Le numérique change également les relations intergénérationnelles : les générations plus âgées n’ont pas nécessairement toute d’expérience en terme de numérique alors que jusqu’ici, le savoir et l’expérience étaient supposés acquis avec l’âge. Elles doivent apprendre le numérique, tandis que les nouvelles générations sont nées avec.

Former des citoyens éclairés et préparer les dirigeants de demain

Après la génération Y, arrive aujourd’hui la génération C : C comme connecté, cloud, collaboration, communication, C comme créativité. Ils sont nés au XXIème siècle, plus jeunes que le web, ils pensent savoir gérer vie réelle et vie digitale, pratiquent la communication de masse et les réseaux sociaux, cherchent la simplicité d’usage, sont adeptes du multi-écrans, pas toujours critiques vis-à-vis des sources d’information, ils sont connectés en permanence. Une autre de leurs caractéristiques : ils ont toujours vécu dans un monde en crise.

Pour cette génération C, les modes d’apprentissages sont différents. Ils sont multitâches, à l’aise avec les échanges synchrones et asynchrones, mais leur capacité d’attention est limitée et aux longs discours ils préfèrent l’interactivité. Ils méprisent la mémorisation et les connaissances encyclopédiques, toujours incomplètes par rapport à la richesse des informations du web, dont ils distinguent mal le vrai du faux.

Leur relation au mode du travail est aussi très différente : ils choisissent un employeur s’ils partagent avec lui les mêmes valeurs La richesse ou l’impact des projets et des challenges qui leur sont proposés sont plus importants qu’un statut ou un salaire. La quête de sens est pour eux un puissant moteur.

Apprendre demain

L’éducation a su se transformer lors des révolutions de l’écriture puis de l’imprimerie et doit faire de même pour le numérique. L’externalisation des savoirs, cette " part de cerveau libre " dont parle Michel Serres dans Petite Poucette, pose la question du numérique mais aussi de la transformation des modes d’enseignements et d’apprentissage.

Au-delà d’un solide socle de connaissances scientifiques, économiques, sociales et culturelles, nos enseignants doivent fournir à nos étudiants les moyens d’acquérir les compétences nécessaires pour évoluer dans un monde en mutation et les clés de lecture pour préserver un esprit critique dans des espaces où les données sont devenues "trop” nombreuses. Nous devons ainsi les préparer pour des métiers qui n’existent pas aujourd’hui, dans lesquels ils utiliseront des technologies qui n’ont pas encore été inventées pour résoudre des problèmes que nous n’imaginons pas.

Enseigner demain va donc demander aux enseignants de repenser leur rôle, d’alterner leur posture de sachant et de personne ressource, d’aider les étudiants à rechercher une connaissance accessible en quelques clics tout en développant leur esprit critique, de jouer sur leur capacité à agir en réseau pour développer le travail collectif, mais aussi le travail multiculturel, indispensable dans notre monde globalisé.

Une formation repensée autour du triptyque pédagogie, technologie et espace

Dans ce nouveau contexte et avec ces nouveaux apprenants, salariés de demain, la formation doit elle aussi se transformer et se repenser selon une complémentarité entre trois dimensions : utiliser des pédagogies actives, facilitées par des technologies accessibles et utilisant des espaces, physiques et virtuels, adaptés.

Au sein des universités se sont développés les LearningLab. Ces laboratoires de la transformation des campus sont des lieux de rencontre entre des enseignants, des conseillers et ingénieurs pédagogiques, des étudiants, dans des espaces qui permettent de faciliter l’expérimentation de nouvelles pratiques, des espaces " capacitants ", c’est-à-dire des lieux qui incitent les usagers à agir, à développer par eux-mêmes de nouvelles compétences. Des lieux qui facilitent le changement de posture de l’enseignant et l’aident à développer de nouvelles pratiques, favorisant ainsi une démarche réflexive, des lieux de transformation et d’échange.

Un réseau né en 2014, le LearningLab Network, regroupe aujourd’hui plus d’une centaines d’universités, d’écoles de commerce et d’ingénieurs, des collèges et lycées mais aussi des universités d’entreprise et des organismes de formation, en France et à l’international.

La formation doit évoluer et aller au-delà des modèles classiques qui opposent encore parfois formation présentielle et digitale, s’inspirer des formations hybrides pour proposer des expériences apprenantes, et enseignantes, qui mélangent présence et distance, moments synchrones et asynchrones, apprentissage individuel et travail collectif, partage d’expérience au sein de communautés regroupant pairs et experts. Cette réinvention de la formation passe par la conception de nouveaux espaces physiques et virtuels d’apprentissage, offrant un continuum entre monde réel et univers numérique, une formation phygitale.

Jean-Pierre Berthet

Jean-Pierre Berthet est directeur délégué au numérique de l’Institut des compétences et de l’Innovation de Sciences Po

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    Mots-clés: FORMATiON, APPRENTISSAGE, EDUCATION

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