RSE et citoyenneté : la future donne du dialogue social ?

Par Gabriel Artero, Président de la CFE-CGC Métallurgie

Présent aux États-Unis depuis la fin des années 1950, le concept de la RSE (Responsabilité Sociétale - ou Sociale - de l’Entreprise) se définit en 2001, sous l’impulsion de la Commission européenne, comme un engagement volontaire des entreprises visant à satisfaire pleinement aux obligations juridiques en vigueur mais aussi aux fins d’investir davantage dans le capital humain et l’environnement. Il ne s’est véritablement développé dans les entreprises en France que depuis une petite décennie.

Replacer l’entreprise dans son environnement, pour lui rappeler ses obligations envers ses salariés, ses clients, ses fournisseurs, les communautés locales, plus largement, l’ensemble des parties prenante demeure une vaste ambition !

Bousculer les formes du dialogue social et même sa gouvernance, au sein de l’entreprise, comme en dehors avec pour objectif de dépasser un dialogue social très (trop ?) focalisé sur les conditions de travail et la rémunération pourrait être l’objectif. La RSE ouvrirait le champ des revendications sur d’autres domaines comme le respect de l’environnement ou le sens et les conséquences des actions de l’entreprise. En réorientant le débat de la responsabilité de l’entreprise dans l’ensemble de sa chaîne de sous-traitants et fournisseurs, la RSE pose aussi la question à l’avenir, de la responsabilité de l’encadrement.

RSE : une stratégie d’entreprise moderne et performante

Dans une société de plus en plus exigeante confrontée à la mondialisation économique, le développement durable, la préservation des ressources de la planète ainsi que la considération apportée aux salariés sont devenues les clés d’entrée des entreprises sur les nouveaux marchés. 

Ces enjeux sont systémiques tant les activités sont interdépendantes les unes des autres

Avec une sensibilité accrue à l’urgence climatique, environnementale, à la biodiversité, les plus jeunes, à la fois clients (consommateurs) et prescripteurs, exercent une pression croissante sur le modèle économique dominant. Mieux encore, cette génération représente le futur des salariés de ces entreprises en recherche de talents. Et le choix d’une entreprise « labellisée RSE », du moins en Occident, deviendra un des critères de choix de leur futur emploi. 

Même si à première vue l’entreprise n’a pas d’intérêt économique immédiat à améliorer la société, les derniers baromètres montrent que plus de 60% des dirigeants sont fortement impliqués dans la prise en charge des questions environnementales dans l’entreprise, plus particulièrement sur les actions ou mesures intégrées dans une stratégie globale. Plus d’un dirigeant sur deux se dit prêt à modifier son organisation pour mieux intégrer les enjeux environnementaux, afin de capitaliser sur cette tendance de long terme. Et dans les faits ?

Bien-être et performances au diapason ?

Force est de constater que le monde de l’entreprise, des dirigeants aux salariés, évolue rapidement vers une nouvelle optique de l’économie réelle, « supportable, durable et responsable ». Ainsi, bien-être et performances semblent de plus en plus aller de pair. Désormais, l’entreprise s’autorise à penser développement durable, écologie, éthique, préservation des ressources naturelles, respect des droits et bien-être au travail. Et c’est tant mieux !

Pour des raisons variées et parfois contradictoires, le concept de RSE devient La voie à emprunter par une majorité des entreprises, des grands groupes internationaux aux start-up en passant par les PME-PMI. Un nouveau modèle de performance économique tente de percer à travers le monde dans les pays en voie de développement. Il repose sur le lien essentiel que joue l’entreprise dans la vie sociale et économique. La question de la place de l’Homme dans l’économie, dans l’entreprise, se veut de plus en plus souvent traitée au plus haut niveau du management des entreprises, du moins dans le discours.

Ainsi, l’entreprise ne devrait plus être tournée seulement vers la performance financière comme elle l’est depuis des décennies. Elle voudrait désormais se transformer en un lieu « plus citoyen ». Mais, pour exister et se développer, cette dernière a besoin de ressources, financières en tout premier lieu. La question suivante sera donc : existe-t-il une finance durable ? Le secteur financier dans son ensemble migre-t-il également vers une plus grande responsabilité sociale et environnementale ? Rien n’est moins sûr !

Il n’est pas un grand secret que de révéler, dans les roadshow annuels des grands groupes, que performance financière et commerciale laissent peu de place à la RSE. Les investisseurs semblent avoir une oreille insuffisamment sensible à cette belle harmonie. Le chant de l’EBIT et du cashflow parait encore une bien douce mélodie.  

Néanmoins, la recherche du label ISO 26000, norme d’application volontaire, définissant la responsabilité d’une organisation vis-à-vis des impacts de ses décisions et activités sur la société et sur l’environnement, devient un incontournable. C’est déjà ça !

Performance économique globale de l’entreprise

Le rapport public au gouvernement (juin 2013) « Responsabilité et performance des entreprises » de Lydia Brovelli, Xavier Drago et Eric Molinié pointait déjà les propositions permettant d’assurer une mesure fiable et pertinente de la performance globale des entreprises et des organisations. Eric Molinié, membre du Collège des Directeurs de Développement Durable(C3D) retenait quatre idées parmi toutes celles proposées : une démarche RSE doit impliquer tous les échelons de l’entreprise à commencer par le management, une démarche RSE passe par le dialogue social, l’État doit être exemplaire car il ne peut exiger des entreprises des engagements qu’il ne s’applique pas lui-même, la RSE doit investir les PME-PMI. 

Le rapport pointait par ailleurs quelques propositions pour que les critères RSE soient pris en compte dans les grands appels d’offres internationaux et que les crédits ne soient octroyés que si les projets répondaient aux questions RSE qu’ils se posent afin de permettre un développement équilibré. Et l’Etat est-il devenu vertueux ? Particulièrement quand il est actionnaire ? Avec la gestion et le traitement de dossiers industriels récents ou en cours, je vous laisse juge. 2013, cinq ans déjà !

La RSE : la tentation du miroir aux alouettes

Le mouvement semble enclenché et irréversible, c’est la bonne nouvelle. Chaque entreprise quelle que soit sa taille veut se lancer aujourd’hui dans la RSE : nombre d’entre elles en toute sincérité par conviction citoyenne, d’autres par pure nécessité, pour continuer à attirer certains investisseurs. En matière de RSE, les entreprises sont loin d’avoir le même niveau de maturité. Celles qui ont intégré les principes de la RSE comme levier pour définir et réaliser leur propre stratégie de développement ont certainement atteint le plus haut degré de maturité, et ce ne sont pas nécessairement les plus grandes ni les plus anciennes. 

Les accords négociés avec les partenaires sociaux ne sont pas légion dans le champ professionnel qui est le mien. Certains, tel ce grand constructeur automobile, contractualise des partenariats pour faciliter l’accès à l’apprentissage de la conduite, à la mobilité, sensibiliser à la sécurité routière dans les pays où il est implanté. Nous pouvons parler là d’actions RSE, mais sans accord ad hoc. Néanmoins, nous avons signé avec lui un accord cadre mondial posant en quelque sorte, comme socle commun à tous ses établissements dans le monde, les directives de l’OIT, un grand accord « QVT » mondial. Et c’est déjà fondamental du point de vue des salariés concernés. 

À l’autre bout du spectre, il y a celles qui, dans l’urgence de devoir faire bonne figure, ont puisé tous azimuts dans leurs activités déjà existantes : aides aux associations, préservation de forêts, j’en passe et des meilleurs… et les ont baptisés RSE. Là se cache du Green washing et du whitewash dans le but de se donner une belle image écologique, à défaut d’avoir bonne conscience. Un bon window dressing à l’ancienne ! Cela ressemble à de la RSE, cela pétille comme la RSE mais ce n’est crédible pour personne. Une RSE Canada Dry en quelque sorte.

Il convient donc de rester vigilant quant à l’usage fait de la RSE par les entreprises. La première de leurs responsabilités n’est-elle pas avant tout celle de l’embauche, du versement de salaires rémunérateurs (voire décents quand on est à l’autre bout du monde) et de l’employabilité de ses salariés ? Par pudeur pour nombre d’entre elles, je ne saurais égrainer ici la trop longue liste de celles qui, dans une actualité proche se sont assises impunément sur leurs beaux discours. 

Et c’est par nécessité que des entreprises en vertu du principe d’extraterritorialité, n’ayant pas leur siège dans le pays concerné, comme les USA avec son Foreign Corrupt Practices Act (FCPA), musclent en urgence leur département « compliance ». La désastreuse mésaventure d’Alstom dans ce pays a soudainement éclairé d’un jour nouveau les risques encourus.

Pour la population que représente la CFE-CGC, un point de débat peut se faire jour et concerne la supply-chain et RSE et les risques encourus par l’encadrement, notamment quand il y a délégation de pouvoir ? Dans deux affaires (Areva et Total), des juridictions ont, en droit, reconnu la responsabilité de la société-mère pour les actes d’une de ses filiales. Ces décisions ne sont pas neutres pour l’encadrement car celui-ci est porteur de la responsabilité dans l’entreprise. Dans ce contexte, que devient la responsabilité personnelle des cadres d’une entreprise vis-à-vis des pratiques de ses sous-traitants ? Pourra-t-on sanctionner voire licencier purement et simplement un encadrant pour une faute commise par un sous-traitant entrant dans la chaîne logistique dont il a la charge ? 

La responsabilité de l’encadrant sera-t-elle engagée au titre de la RSE, alors même que l’encadrement n’a pas toujours les moyens d’appliquer les engagements RSE des directions générales dans l’ensemble de la chaîne de la valeur ? Alors que des propositions de lois vont dans le sens de la pénalisation du donneur d’ordre pour des fautes commises par tout sous-traitant de sa chaîne d’approvisionnement, la question reste ouverte car peu s’en soucient. 

La CFE-CGC promeut dans ses négociations relatives à l’évolution du dispositif conventionnel dans la branche de la Métallurgie, un droit d’alerte individuel (à caractère critique) voire un droit de retrait des salariés de l’encadrement face à des situations dont ils auraient la responsabilité sans avoir les moyens de les assumer. Et c’est peu dire que la représentation employeurs goûte peu nos demandes. Mais nous sommes pugnaces. 

La loi PACTE avec sa « raison d’être » nouveau statut juridique voulu par le législateur, accélérera-t-elle le mouvement ? Nous pouvons l’espérer, soyons optimistes. Mais on voit combien les avis divergent quand il s’agit par exemple d’augmenter le nombre d’administrateurs salariés et d’étendre leur présence dans les conseils.

Quoi qu’il en soit, les salariés, partie prenante souvent oubliée par les « penseurs » de la RSE sont bien les principaux acteurs de ces changements. Les syndicats, en tant « qu’ONG » représentant les salariés sont, de fait, légitimes et incontournables dans les réflexions et actions de l’entreprise en matière de RSE. Alors, pour le futur du dialogue social, à toi futur Chief Officer-RSE, à toi DRH, j’aimerais tant que tu te souviennes !

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    Mots-clés: RSE, MagRH8, SYNDICAT

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