Les chiffres au service de la diversité ?

Quantifier, indiquer, mesurer, sont autant de moyens de partager une vision commune, basée sur des faits réels et ainsi tenir à l’écart les représentations biaisées que nous pouvons avoir d’une situation donnée. En cela, les indicateurs qui permettent “de mesurer une situation et de provoquer une réaction (comprenant celle de ne rien faire)” (Zannad, 2009) sont des outils indispensables à toute conduite du changement et donc plus spécifiquement à toute politique de diversité.

Cependant, lorsque l’on parle de diversité et de chiffres, de quoi parle-t-on ?

Un suivi chiffré imposé par la loi :

L’Etat français légifère pour lutter contre les discriminations en entreprise. Plusieurs lois existent pour promouvoir l’égalité professionnelle et utilisent le “chiffre” comme moteur pour faire évoluer les mentalités.

Citons par exemple ces trois obligations :

  1. Les travailleurs handicapés doivent représenter 6% de l’effectif total d’une entreprise d’au moins 20 salarié•es (Obligation d’emploi des travailleurs handicapés)
  2. Les conseils d’administration doivent être représentés à 40% par des femmes, pour les entreprises de plus de 250 salarié•es et de plus de 50M€ de chiffre d’affaire. (Loi Copé-Zimmerman)
  3. Les entreprises de plus de 50 salarié•es doivent publier chaque année leur index égalité, qui n’est autre qu’une mesure des écarts salariaux (comprenant la rémunération, le taux d’augmentation, les promotions effectives...) entre les femmes et les hommes en entreprise.

La mesure semble alors être utilisée par le législateur pour mener l’évolution sociale souhaitée. En effet, “un indicateur constitue donc un élément central de toute politique et de toute action qui vise à modifier une situation existante.” (Zannad & Stone, 2010).

Cependant en matière de diversité, tout n’est pas mesurable :

Les identités sont fluides et n’impliquent pas d’exclusivité (Kerter & Arel, 2011). Or en statistique, il est important que les contours de ce que l’on étudie soient clairs et exclusifs. En d’autres termes, les statistiques impliquent d’établir des cases ce qui conduit forcément à des approximations lorsque ces cases sont appliquées à la complexité humaine. La mesure n’est donc pas toujours évidente.

De plus, pour certains aspects de la diversité, cette mesure est même considérée comme anti-républicaine. C’est le cas, par exemple, de la question ethno-raciale où le recensement - nécessaire à l’étude statistique - fait écho à une sombre période de la République Française : la collaboration sous le régime Vichy.

Alors que la diversité ethnique est à l’origine de l’émergence des politiques de diversité en entreprise

  • avec la charte de la diversité (Sabeg & Méhaignerie, 2004)
  • la question ethno-raciale se retrouve invisibilisée (Doytcheva, 2009)

et ne figure que très rarement parmi les priorités des politiques diversité des entreprises (Bereni, 2011).

Le chiffre doit rester un moyen et non une finalité :

Quand bien même nous puissions établir des mesures, ce qui est le cas dans d’autres pays, nous ne savons pas dire ce que serait un “bon” niveau de diversité (Zannad, 2009). Faut-il viser la parité absolue ? Faut-il viser une représentation la plus juste possible de ce qu’est la société civile ? Existe-t-il un minimum à atteindre en terme de diversité ?

La réponse, même partielle, à ces questions conduit bien souvent à la volonté de mettre en place des quotas. Les quotas peuvent être un moyen de “compenser des inégalités en créant des discriminations paradoxalement redistributrices d’égalité.” (Levade, 2004)

En revanche, cette politique de discrimination positive, ne doit pas conduire à une hypnose du chiffre nous faisant oublier qu’il s’agit seulement d’un moyen temporaire et non d’une finalité souhaitable (Montargot & Peretti, 2014).

En diversité, comme pour toute conduite du changement, le chiffre doit rester un moyen de faire évoluer les mentalités et les pratiques en s’assurant que l’on progresse vers plus d’équité et d’égalité de traitement. Promouvoir la diversité n’est pas une affaire qui se résumerait à quelques KPI mais bien une question plus vaste et plus complexe de pratiques, de normes et de culture d’entreprise (Bruna, Peretti, Yanat, 2016).

Mahé BOSSU
Consultante RH & Transformation SIA Partners

Références :

  1. Bereni, L. (2011). Le discours de la diversité en entreprise : genèse et appropriations. Sociologies pratiques
  2. Bruna, M., Peretti J. & Yanat Z. (2016). Les nouveaux défis de la diversité : totems à dépasser et paris à relever. RIMHE : Revue Interdisciplinaire Management, Homme & Entreprise
  3. Doytcheva, M. (2009). Réinterprétations et usages sélectifs de la diversité dans les politiques des entreprises. Raisons politiques
  4. Kerter D. & Arel D. (2001) Censuses, identity formation, and the struggle for political power
  5. Levade (2004), Discrimination positive et principe d’égalité en droit français, Pouvoirs
  6. Montargot, N. & Peretti, J. (2014). Regards de responsables sur les notions d’égalité, non-discrimination et diversité. Management & Avenir
  7. Sabeg Y. & Méhaignerie L. (2004) Les oubliés de l’égalité des chances, Institut Montaigne
  8. Zannad, H. (2009). Mesurer la diversité et l’impact des actions de lutte contre la discrimination : état des lieux et pistes de réflexion. Humanisme et Entreprise
  9. Zannad, H. & Stone, P. (2010). Mesurer la diversité en entreprise : pour quoi et comment ?. Management & Avenir
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