Fonction RH : 3 raisons pour investir le champ de l’analytique RH

Dans la continuité du HR bashing auquel les praticien·nes RH sont régulièrement confronté·es, il n’est pas rare qu’on affuble la fonction RH (FRH) aussi d’un complexe, notamment par comparaison avec la fonction financière, celui du «chiffre». On pourrait presque y déceler les traces des oppositions binaires dont les commentateurs·trices en tout genre sont souvent friand·es : le chiffre viendrait imposer sa rigueur là où le verbe brillerait par son imprécision, les sciences que d’aucun·es aiment à qualifier de «dures» supplanteraient les approximations des dites «molles», l’apparence scientifique des cases d’Excel rassureraient les esprits cartésiens face au flou artistique des planches de Powerpoint... Pour peu, on opposerait presque l’indicateur à ce qui lui donne sens, l’économique au social, la norme face à la vie... Non ! La crédibilité de la fonction RH ne vient pas de sa capacité à brandir le chiffre, et son efficience non plus ! Ce serait simpliste et trop simple.

Est-ce à dire pourtant que la réification de ses concepts, le pilotage de ses décisions ou l’efficacité de la pédagogie de ses actions peuvent l’affranchir d’une utilisation pertinente de techniques statistiques pour «faire parler» les données en sa possession ? La réponse est tout aussi évidemment non !

Les raisons qui doivent pousser les praticien·nes de la FRH à investir le champ de l’analyse des données plus qu’ils·elles l’ont peut-être fait par le passé sont bien sûr nombreuses et il est difficile d’en établir une liste exhaustive. Trois d’entre elles doivent toutefois être soulignées :

  1. Bénéficier d’une meilleure compréhension de la ressource humaine et des principes qui la régissent ;
  2. Permettre un meilleur pilotage des politiques et actions menées par la FRH ;
  3. Appuyer les orientations et les choix de la FRH sur un «discours de preuves».

Comprendre la ressource et ses mécanismes

La raison principale pour explorer plus avant les bénéfices de l’analytique RH réside dans la mission même de la FRH : mieux connaître le capital humain de l’entreprise. Cela commence bien sûr par la connaître au sens purement «descriptif» du terme, ce qui consiste à étudier finement les caractéristiques de la population dont la FRH doit assurer la gestion. Cela peut paraître aussi simple qu’évident et pourtant l’observation de la pratique montre à quel point la FRH reste finalement assez démunie sur ce point : même la production d’un bilan social légal, au demeurant bien pauvre en termes d’analyse, reste un pensum dans bon nombre d’entreprises. Une capacité descriptive avancée, réelle et régulière dans le temps, notamment grâce à des indicateurs objectifs, constitue finalement le point de départ de la mission RH et de ses décisions : «savoir précisément qui on est !».

Une utilisation plus poussée des techniques statistiques offrirait par ailleurs aux praticien·nes de la FRH une meilleure capacité à «comprendre» les mécanismes qui président à la performance de cette ressource, souvent éclatée dans son identité, dans ses statuts et ses intérêts. Dans cette optique, le domaine des «statistiques explicatives» - bien connu depuis longtemps des professionnel·les du marketing avec l’utilisation de régressions multiples, analyses factorielles des correspondances, etc. - ouvre un champ encore très peu exploité en RH alors qu’il aiderait grandement à cerner des relations de causes à effets. Certes, toute corrélation n’est pas la preuve d’une relation de cause à effet, mais elle invite à exercer le discernement des professionnel·les et leur indique «où creuser».

Un outil de pilotage et d’aide à la décision

Le deuxième grand bénéfice de l’analytique RH est de constituer un outil de pilotage et d’aide à la décision. Il permet en effet de consolider les processus de décisions opérationnelles grâce aux éclairages des analyses menées avec des éléments tangibles. La démarche analytique ne se substitue nullement à l’expérience d’un·e professionnel·le aguerri·e mais vient au contraire l’enrichir en l’aidant à confirmer ou infirmer les hypothèses que son expérience l’incite à formuler.

Ceci est d’autant plus utile que les représentations simplistes sont très insuffisantes pour qualifier et comprendre la complexité des situations qu’ils·elles rencontrent régulièrement. La «pâte» humaine échappe en effet bien souvent aux modélisations caricaturales, et c’est peut-être même ce qui en fait l’un des charmes. Par ailleurs, si cette complexité demande à enrichir des représentations trop simplificatrices, il faut alors les questionner, ce à quoi contribue aussi l’exposition aux analyses des données.

En résumé, l’analytique RH permet de disposer d’une meilleure description des phénomènes observés, d’identifier des pistes quant à leur explication et de faciliter le pilotage des actions qui en résultent.

Appuyer les décisions RH sur un «discours de preuve»

Dans son ouvrage la «rhétorique», Aristote distinguait deux types de preuve : celles qui dépendent de l’orateur et celles qui n’en dépendent pas, les preuves «externes». La capacité de conviction de tout «discours» dépend en effet d’abord de la qualité de l’argumentation. Il ne faut donc pas affirmer mais bien démontrer, en s’appuyant sur des arguments le plus irréfutables possible, pour être crédible, et cela vaut pour la FRH autant que pour toute autre.

C’est aussi là un des apports importants de l’analytique RH : étayer l’argumentation de la fonction RH en faisant «parler des données» qui permettent de construire un «discours de preuve» qui renforce sa pédagogie auprès de ses différents interlocuteurs.

Ainsi, la démarche analytique RH permet de crédibiliser ce qu’affirment les praticien·nes de la fonction, et ce, de deux manières.

Elle contribue d’abord à apporter la preuve de l’existence d’un fait dont les partenaires de la RH pourraient douter. C’est en quelque sorte la preuve au sens «juridique» du terme. Comme le rappelle Mahé Bossu à propos de la diversité : «Les KPI constituent alors un outil utile à celles et ceux qui étaient déjà conscient·es de la situation pour argumenter auprès de celles et ceux qui ont tendance à l’occulter»

Par ailleurs, la démarche analytique RH contribue à démontrer la pertinence de ce que les praticien·nes RH «affirment» sur une situation ou un sujet donné. C’est la preuve au sens de «l’argument rhétorique». Comme le rappelle Patrick Bouvard à propos de l’argumentation : «L’argumentation est une discipline rigoureuse, dans laquelle la spontanéité d’une intention droite et d’une bonne volonté sont souvent loin de suffire : convaincre, ce n’est ni vaincre, ni avoir raison !»

Lorsque la FRH se plaint de ne pas être suffisamment prise en compte ou écoutée, l’analytique RH lui offre un apport certain auprès d’opérationnel·les plus rassuré·es par la «preuve extrinsèque» dont il est porteur que par la force de conviction de discours enflammés, quand bien même soient-ils justes.

Patrick STORHAYE

Président de Flexity
Professeur Associé au CNAM
fondateur de RH info

Notes

  1. Bossu M. (2020) «Des KPI de la diversité : pour quoi faire ?» RH info, 17 janvier 2020 https://www.rhinfo.com/thematiques/strategie-rh/marque-employeur/des-kpi-de-la-diversite-pour-quoi-faire
  2. Pertinant G., Richard S. & Storhaye P. (2017) «Analytique RH : démarche, bénéfices et limites» EMS, février 2017

 

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