Réglementées notamment par le code du travail et le code de la sécurité sociale, les pénalités sociales constituent des amendes financières applicables aux entreprises en cas de non-respect des dispositions légales. Comme toute “sanction”, elles répondent à un objectif d’incitation au respect des règles sociales et à un objectif de répression des manquements à ces dernières par la “politique de la carotte et du bâton”. Les pénalités sociales sont, à tout le moins, un moyen de rappeler à l’employeur ses obligations. Et nombreuses sont ces obligations dans une matière aussi complexe et évolutive que le droit social dans laquelle les textes tendent à se multiplier, rendant complexe l’appréhension de la réglementation applicable...
De plus en plus importantes tant en nombre qu’en termes de coût – fini les pénalités au caractère hypothétique qui ne visent qu’une somme dérisoire –, les pénalités sociales sont désormais très coûteuses pour l’employeur.
Coûteuses en termes financiers comme réputationnels puisque le prononcé d’une pénalité sociale peut avoir un véritable impact sur la valeur et l’attractivité de l’entreprise en cas de vente ou d’entrée en bourse…
Les entreprises, de la plus petite à la plus grande, ne pouvant plus se montrer négligentes, n’ont plus d’autre choix que de veiller au respect des règles légales et réglementaires afin de limiter ces coûts.
Enumérer l’ensemble des pénalités sociales pouvant être prononcées à l’encontre de l’employeur est une tâche impossible tellement ces dernières sont nombreuses et variées : pour illustration, certaines ne visent qu’à faciliter la gestion des entreprises et des salariés par les organismes sociaux tandis que d’autres sont beaucoup plus ambitieuses en ce qu’elles ont un véritable objectif sociétal.
Pour ne citer que quelques exemples des différents domaines où l’attention de l’employeur est attendue, au risque de devoir verser des sommes importantes :
Les pénalités venant sanctionner les manquements de l’employeur aux obligations purement déclaratives :
La déclaration sociale et nominative (DSN) : (articles R. 133-13 et R. 133-14 du code de la sécurité sociale)
Instaurée par la loi du 22 mars 2012, mise en œuvre depuis 2017 et généralisée depuis le 1er janvier 2019, la DSN est un fichier mensuel destiné à communiquer aux organismes concernés les informations nécessaires à la gestion de diverses données sociales pour les salariés. Il permet notamment d’effectuer les déclarations nécessaires à la collecte des données qui serviront au recouvrement des cotisations, des contributions sociales et de certaines impositions (cette liste n’étant pas exhaustive).
Le défaut de production de la DSN dans les délais prescrits ou l’omission de salariés entraîne l’application d’une pénalité de 1,5 % du plafond mensuel de sécurité sociale (soit 51,42 euros à ce jour), par salarié, pour chaque mois ou fraction de mois de retard, plafonnée à 150 % du plafond mensuel de sécurité sociale en cas de retard n’excédant pas 5 jours (plafond applicable une seule fois par année civile).
L’inexactitude des rémunérations déclarées ayant pour effet de minorer le montant des cotisations dues entraîne une pénalité de 1 % du plafond mensuel de sécurité sociale (soit 34,28 euros à ce jour) par salarié.
Déclaration préalable à l’embauche (DPAE) : (articles L. 1221-10 et R. 1227-1 du code du travail)
Pour toute embauche d’un salarié, l’employeur doit effectuer une déclaration nominative qui permet d’accomplir en une seule démarche toutes les formalités obligatoires liées à l’embauche auprès de l’URSSAF : déclaration de première embauche dans un établissement ; immatriculation de l’employeur au régime général de sécurité sociale et au régime d’assurance chômage ; demande d’immatriculation du salarié à la CPAM ; adhésion de l’employeur à un service de santé au travail ; pré-établissement de la déclaration annuelle des données sociales.
Le défaut de DPAE est sanctionné du versement d’une pénalité égale à 300 fois le taux horaire du minimum garanti (soit 3,65 euros à ce jour), outre une contravention de 5ème classe pouvant aller jusqu’à 1 500 euros et, en cas de récidive, 3 000 euros (ou respectivement 7 500 euros et 15 000 euros si la responsabilité de la société en tant que personne morale est recherchée).
Les pénalités venant sanctionner les manquements de l’employeur à l’objectif sociétal imposé par le législateur :
En matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes : (articles L. 1142-10, L. 2242-8 et R. 2242-2 à R. 2242-11 du code du travail)
L’égalité entre les femmes et les hommes dans le travail implique le respect de plusieurs principes par l’employeur : interdiction des discriminations, obligation de négociation, obligation de prendre des mesures visant à supprimer les écarts de rémunération,…
Les entreprises d’au moins 50 salariés sont soumises à une pénalité de 1 % sur les rémunérations soumises aux cotisations à la charge de l’employeur :
lorsqu’elles ne sont pas couvertes par un accord relatif à l’égalité professionnelle portant notamment sur les mesures visant à supprimer les écarts de rémunération et la qualité de vie au travail ou, à défaut, par un plan d’action annuel destiné à assurer l’égalité professionnelle ;
en l’absence de publication des informations relatives à l’index “écarts de rémunération” entre les femmes et les hommes ou en l’absence de mesures correctrices de ces écarts.
Une pénalité vient également sanctionner les écarts de salaires persistants, pendant au moins trois ans, en deçà de la note globale de l’entreprise fixée à 75 points sur 100 (cette note ressortant de l’index sus-évoqué).
En matière de handicap : (articles L. 5212-1 à L. 5212-17, R. 5212-1 à R. 5212-31 et D. 5212-20 à D. 5212-25 du code du travail)
Toute entreprise d’au moins 20 salariés doit employer des travailleurs handicapés dans une proportion de 6 % de son effectif total. Afin de justifier le respect de cette obligation, l’employeur doit déclarer chaque année le nombre d’emplois occupés par un travailleur handicapé par le biais de la DSN. Si l’employeur n’atteint pas ce nombre, la loi offre d’autres possibilités pour s’acquitter de son obligation en matière de handicap. A titre d’exemple, l’employeur peut verser une contribution annuelle destinée à l’Association de gestion du fonds pour l’insertion des personnes handicapées (AGEFIPH) (ou, pour le secteur public, au Fonds pour l’insertion des personnes handicapées dans la fonction publique (FIPHFP)), d’un montant compris entre 400 et 600 fois le salaire horaire minimum de croissance (soit entre 4 060 euros et 6 090 euros à ce jour), en fonction de la taille de l’entreprise, pour chaque bénéficiaire de l’obligation d’emploi manquant.
Le manquement à l’obligation légale (ou le défaut de déclaration qui lui est assimilé) entraîne le versement d’une pénalité égale au montant de la contribution due à l’AGEFIPH (ou au FIPHFP), majorée de 25 %.
En matière de formation professionnelle : (article R. 6323-3 du code du travail)
A défaut d’organisation, au bénéfice du salarié, durant les six ans qui précèdent l’entretien récapitulatif de son parcours professionnel, d’un entretien professionnel tous les deux ans, et d’au moins une formation autre que celle mentionnée à l’article L. 6321-2 du code du travail (formation conditionnant “l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et règlementaires”), l’employeur doit abonder le compte personnel de formation du salarié concerné à hauteur de 3 000 euros.
En matière de négociation sur les salaires effectifs : (article L. 2242-7 et articles D. 2242-12 à D. 2242-16 du code du travail)
Dans les entreprises où sont constituées une ou plusieurs sections syndicales d’organisations représentatives, l’employeur qui n’a pas rempli l’obligation de négociation sur les salaires effectifs est soumis à une pénalité plafonnée à un montant équivalent à 10 % des exonérations de cotisations sociales au titre des rémunérations versées chaque année où le manquement est constaté, sur une période ne pouvant excéder trois années consécutives à compter de l’année précédant le contrôle.
Les manquements aux obligations sociales donnant lieu au prononcé de pénalités sociales sont également une source grandissante de contentieux susceptibles d’être particulièrement coûteux pour l’employeur en cas de condamnation : redressement URSSAF à la suite d’un contrôle de l’entreprise, saisine des juridictions par les salariés ou les organisations syndicales en vue de condamner la société au paiement de diverses indemnités et dommages-intérêts, poursuites pénales,…
Pour illustration, l’omission de la DPAE peut constituer, si le caractère intentionnel de l’omission est démontré, l’infraction de travail dissimulé par dissimulation d’emploi salarié (article L. 8221-5 du code du travail ; Cass. crim., 5 février 2013, n°12-81.383) pouvant être sanctionnée :
- devant le conseil de prud’hommes saisi par le salarié concerné : du versement de diverses indemnités à titre, notamment, d’indemnité de travail dissimulé ;
- devant les juridictions répressives : d’une peine de trois ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende pour les personnes physiques / 225 000 euros pour les personnes morales (articles L. 8221-1 et L. 8224-1 du code du travail ; article 131-38 du code pénal) ainsi que d’éventuelles peines complémentaires (article L. 8224-3 du code du travail) ;
- dans le cadre d’un contrôle de l’URSSAF : d’un rappel de diverses cotisations et contributions sociales effectué, à défaut de preuve contraire en termes de durée effective d’emploi et de rémunération versée, sur une base forfaitaire égale à un montant correspondant à 25 % du plafond annuel de la sécurité sociale (soit 10 284 euros à ce jour) (article L. 242-1-2 du code de la sécurité sociale) ;
- de sanctions administratives prononcées par la DIRECCTE (par exemple : la suppression pendant une durée maximale de 5 ans de certaines aides publiques en matière d’emploi, de formation professionnelle et de culture,…) (articles L. 8272-1 et suivants et D. 8272-1 du code du travail).
Au-delà de ces coûts fixes, l’employeur ne doit pas nier le risque résultant, par exemple, d’un contentieux individuel d’un salarié. Ce dernier pourrait, au titre des manquements de l’employeur, si cela lui a causé un préjudice, solliciter le versement de dommages-intérêts. Cela peut, par exemple, être le cas en l’absence d’action de formation sur plusieurs années consécutives (Cass. soc., 12 septembre 2018, n° 17-14.257). L’évaluation de ce coût apparaît aléatoire, conditionnée au préjudice démontré par le salarié et à l’appréciation des juridictions.
Dans le cadre d’une introduction en bourse de la société ou d’une éventuelle succession, vente, fusion (ou autre) de l’entreprise, pour lesquelles un audit social est réalisé, le respect des obligations sociales dont la violation entraîne le prononcé de pénalités sociales ou un risque de condamnations judiciaires est scrupuleusement vérifié.
En effet, l’audit social est un contrôle qui permet de vérifier la conformité des pratiques sociales de l’entreprise par rapport à des référentiels d’ordre normatif, légal, réglementaire et/ou conventionnel. Il a pour objectif de déterminer les risques et leurs conséquences financières et sociales pour l’entreprise en cas de contrôle (URSSAF, inspection du travail, médecine du travail, etc.).
Or, si des manquements à ces obligations sont relevés, les risques financiers et judiciaires y étant attachés sont, dans la mesure du possible, quantifiés et chiffrés afin, à terme, d’être pris en compte dans l’évaluation de la situation sociale de l’entreprise et le calcul de son attractivité. Par exemple, un redressement URSSAF peut aisément coûter des millions d’euros à un employeur…
En conséquence, en pratique, un nombre trop important de manquements aux obligations sociales – et des risques liés – peut devenir dissuasif pour un investisseur. De la même façon, un repreneur réfléchira à deux fois avant d’acquérir une entreprise traînant un bagage financier si important...
Il convient donc, pour le DRH, d’être particulièrement vigilant au respect des nombreuses et diverses obligations sociales qui pèsent sur l’entreprise. Sa négligence pouvant, dans un futur proche, coûter à l’entreprise bien plus cher qu’une simple amende.
Uriel SANSY, Lucas CHED’HOMME et Siham YAKHOU