En février dernier, Focus RH me faisait l’honneur de publier une tribune qui allait annoncer le thème de notre dossier. Alors que nous avions prévu un titre de dossier de type : Le DRH et les Chiffres, j’avais voulu étendre le sujet par le titre plus évocateur des Hommes et des Chiffres. Je vous soumets cette lecture, mais en fin d’article, vous proposerai une piste différente.
Je réclame un cessez le feu ! Pourquoi faut-il systématiquement opposer l’Humain et le Capital ? Il est indispensable de s’offrir le temps de la réflexion sans idéologie invasive, pour tenter de valider une simple hypothèse : le Chiffre peut servir l’Humain et l’Humain a besoin de Chiffes pour justifier sa valeur ajoutée.
Les DRH prisonniers d’une injonction de choix …
Avec tout l’aspect réducteur d’une telle affirmation : une partie des DRH se placent spontanément dans un clan qui regroupe : la QVT, la bienveillance, le «bien-être», le développement des compétences et des soft-skills, le télétravail, la RSE, les applications type serious game, le mobil learning… et les autres : le contrôle de gestion sociale, la paie, le comp&ben, l’évaluation de la formation, la performance RH, l’évaluation du capital immatériel, la quantification des opérations RH, la financiarisation de la RSE, les prévisions des écarts d’effectif, l’absentéisme,… alors bien entendu, on évite de dire qu’un DRH «normal» doit agir sur les deux volets, mais inconsciemment il y a les «gentils humanistes», les premiers, et les «méchants comptables», les seconds. Et maintenant, choisi ton camp, camarade !
Dans les filières d’enseignements supérieurs RH, une majorité des étudiants bascule spontanément là encore, vers le premier groupe, alors que le second n’est pas d’une attractivité manifeste. Et lorsque vous tentez de faire comprendre qu’il faut avoir ses deux jambes pour marcher longtemps, je ne suis pas persuadé que l’on vous accorde une confiance a priori. Mais il n’y a pas que les étudiants qui tentent de prendre position, avec l’excuse d’une certaine naïveté. Les «experts» aussi ne semblent guère ouverts au compromis. On s’attache à démontrer que «la comptabilité RH» (l’insulte suprême) est d’un autre siècle, que ça n’a jamais réellement fonctionné, que même l’adoption d’un terme «bilan» accolé au «social» n’est guère probant. Quand ce n’est pas le refus «politique» de parler de Capital Humain.
Alors tâchons de remettre les éléments dans l’ordre.
Premièrement ne mélangeons les objectifs et les outils
On peut certainement se mettre d’accord sur la raison d’être de l’entreprise, ou plutôt des entreprises… de la structure capitalistique classique à la société «sociale et solidaire». On peut aussi se mettre d’accord sur la nature des relations «humaines» et «sociales» dans l’entreprise. A chacun ses méthodes, ses techniques mais globalement les fondamentaux sont souvent les mêmes lorsque l’on cherche à atteindre les bonnes pratiques.
En revanche, je sais que l’entreprise est là aussi pour faire de l’argent, (rien n’empêche de se poser la question politique de la répartition ensuite, mais on n’en n’est pas là.) Pour faire du business et de l’argent et pour que la communauté économique le reconnaisse, il faut un «bilan» propre et prometteur. Et c’est là que les choses se compliquent. Les hommes et femmes qui composent la réelle valeur ajoutée et productive de l’entreprise sont comptablement des «charges». A partir de ce moment, des variables d’ajustement de premier plan… alors que …
Si nos outils autorisent une quantification de la valeur humaine…
… tout est permis. L’entreprise «reconnait» et fait reconnaitre aux éventuels investisseurs que si elle est si performante, c’est à son «capital humain» qu’elle le doit.
Prenons deux exemples :
- Depuis que la RSE existe et qu’on imagine y intégrer le «social», les bonnes pratiques «valorisent» la société par l’intermédiaire des annexes extra comptables. Mais la quantification financière est en route avec les obligations européennes et ce n’est pas pour autant que la qualité de l’approche RSE a baissé, bien au contraire.
- Autre exemple, la formation. Depuis des années des guerres de tranchées opposent les partisans d’une valorisation des dépenses de formation dans les investissements et non dans les charges aux gardiens du temple des experts des normes comptables mais aussi de quelques DRH qui, me semblent-ils, sont souvent les mêmes qui ne trouvent pas judicieux les évaluations à froid des actions de formation. Le discours est souvent le même : c’est trop compliqué, et on ne peut pas faire avec les humains ce qu’on fait avec les machines…
Oui c’est compliqué, les machines nous appartiennent, les hommes, non. Mais d’un autre côté les machines sans les hommes ne fonctionnent pas… alors peut-on faire au moins pour les hommes ce qu’on fait pour les machines ? Et en plus, ce n’est pas limitatif. On investit dans une machine et on prend soin de prendre un contrat de maintenance pour allonger sa durée de vie… pour un homme, on investit dans un recrutement et on engage des situations «apprenantes», des formations…pour qu’il poursuive son développement et donc le nôtre !
D’ailleurs l’Autorité des Normes Comptables a fait ces derniers jours un bout de chemin en admettant que les formations liées à un investissement matériel et qui sont effectuées par un tiers peuvent entrer dans la colonne des investissements amortissables.
Alors, on peut rêver et imaginer que la brèche ouverte laissera passer d’autres initiatives.
Les Chiffres sont au service des hommes et du collectif de travail
Ce sont des outils et que des outils, mais ils permettent de créer des indicateurs objectifs (comme l’IBET par exemple dans le domaine du bien-être au travail) , ils permettent de se doter d’objectifs d’amélioration, que ce soit à titre individuel ou mieux encore à titre collectif.
Ils permettent aussi de ne pas être écartés de la réussite économique, mais aussi être «dédouanés» en cas de difficultés liées à des erreurs de vision stratégiques.
La «comptabilité humaine» au fond, n’est peut-être pas un gros mot si elle ne fonctionne pas en finalité mais uniquement en moyen. Excellent moyen de ne pas laisser au seul DAF la crédibilité d’un CODIR mais d’intégrer grâce à un jargon commun un cénacle réellement décisionnaire puisque capable de générer de la valeur. Et ça non plus, ce n’est pas un gros mot !
Alors cette piste ?
Et si nous étions victimes de notre inefficacité ? Ou alors de notre positionnement trop modeste…Regardez les grandes transformations liées aux nouveaux outils et en particulier l’arrivée de l’IA dans des secteurs entiers de l’économie : les banques, les assurances, les «portails», la maintenance, l’énergie, les télécoms … Nul doute, ce sont des transformations radicales des métiers et des façons de faire et des modes de production. Peut-on trouver un seul DRH qui soit partenaire des réflexions en amont ? Est-il co constructeur de l’introduction de l’IA dans l’organisation ? Il semble bien que non, n’est-ce pas… Pour des raisons de crédibilité technique ? de non-éligibilité à la numérisation ? d’incapacité à manier la prospective stratégique ? Je vous laisse le soin de répondre… Mais dès lors, analysons les conséquences … Dans cette situation, le DRH ne peut être que dans du curatif et non dans du préventif… et même s’il doit anticiper les impacts sur les effectifs et les compétences de ces modifications fondamentales, ça reste du curatif… par rapport aux options de l’organisation. Il ne quantifie pas les hypothèses.
Deux comportements s’en suivent : je veux savoir combien de lits je dois ouvrir dans mon établissement devenu pratiquement hospitalier ? combien je dois investir en formation, en accompagnement de plan social ?
Ou alors je déclenche les opérations de coaching, de traitements bienveillants, de QVT… Voire les deux en même-temps… mais qui va oser tenter de remonter dans le team organisationnel ? Et pourtant… les vrais chiffres sont là, et les vrais hommes vont en subir les conséquences…c’est bien là qu’il faut-être : les nouveaux traitements par l’IA vont amener quel avantage concurrentiel ? Le jeu en vaut-il la chandelle ? Entre la suppression des agences et l’ubérisation des métiers de conseillers financiers, la banque change-t-elle de raison d’être ?
Le milliard et demi que ce grand groupe des télécoms va mettre en formation d’accompagnement, est-ce le nouveau nom donné à «restructuration» ? Si je me pose la question c’est certainement qu’il manque un DRH quelque part… mais où ?
André PERRET
MagRH
Focus RH : http://dpmassocies.over-blog.com/2020/02/ma-tribune-sur-focus-rh.des-rh-et-des-chiffres.html