Suivant le même chemin que les fonctions de production et les fonctions marketing, les fonctions RH exploitent de plus en plus de données et produisent de plus en plus de reporting. Si l’on considère que le capital humain est l’actif le plus précieux de l’entreprise, pour sa performance actuelle et surtout pour sa pérennité, cette inflation des chiffres dans les activités RH ne doit étonner personne. La formation est peut-être le sujet qui a été le plus tardivement touché par cet impératif des analytics. Pour autant, le bouleversement récent qu’a représenté l’arrêt forcé de la formation présentielle et la digitalisation accélérée replace au centre du débat la question des indicateurs de performance pour les responsables L&D.
Aujourd’hui, le responsable formation ne dispose que très peu de chiffres pertinents au sujet de son activité. Il communique (aux IRP notamment) des budgets de formation exprimés en nombre d’heures et en pourcentage de la masse salariale le plus souvent. Il sait aussi décrire son activité selon les différentes modalités utilisées (digital vs présentiel)), selon les domaines de formation concernés (techniques, commerciales, etc.) et selon les prestataires sollicités (formations inter ou intra). Bref, les chiffres dont il dispose décrivent a posteriori comment a été utilisé le budget formation., C’est d’ailleurs le niveau d’exigence de reporting le plus courant au sein des entreprises concernant l’activité de formation.
La période de confinement récente a considérablement accéléré la digitalisation de la formation. Celle-ci était déjà un objectif stratégique depuis quelques années. Selon l’enquête de septembre 2019 de l’observatoire du Digital Learning du FFFOD, la part du digital Learning dans les achats de formation était inférieure à 20% pour les entreprises en France. Les efforts de poursuite de l’activité de formation au printemps 2020 ont donc été tout à fait remarquables. Avec l’accélération de la digitalisation, on peut penser que le responsable formation aura plus de chiffres à sa disposition via les plateformes de diffusion du elearning ou les Learning Management Systems. Il est vrai que celles-ci fournissent de nombreux indicateurs comparables à celles dont dispose le responsable communication avec son outil de gestion des campagnes : données de complétion, de temps passé, de taux d’inscription, etc. Pour autant, il s’agit à nouveau de données certes très précises mais purement descriptives et qui ne répondront pas aux questions essentielles : la formation a-t-elle permis une montée en compétence pour les apprenants ? La formation a-t-elle été appliquée en situation de travail ? La formation a-t-elle un impact in fine pour l’entreprise ?
Bref, les données descriptives disponibles aident certes à comprendre des comportements de formation, mais elles ne permettent pas de dire si l’objectif final de la formation, qui est d’accompagner la montée en compétences des collaborateurs est atteint ou pas.
La pandémie n’a pas seulement accéléré la digitalisation de la formation, elle souligne aussi de façon accrue son importance vitale pour les entreprises qui vont aussi devoir accélérer leur transformation pour répondre aux défis de la “nouvelle normalité”, quelle qu’elle soit. Les dirigeants demandent plus d’agilité pour réagir rapidement et s’adapter aux nouvelles conditions de marché. Lesquelles supposent également de nouvelles compétences, et pas uniquement digitales. Ce contexte donne donc une importance stratégique à la fonction formation, qui doit contribuer directement à la capacité de l’entreprise d’atteindre ses objectifs. Encore faut-il lui en donner les moyens, Or de nombreuses entreprises ont aussi entamé une période de restrictions budgétaires plus ou moins sévères selon leur situation financière et leur capacité d’investissement. Bref, il va être demandé aux responsables formation comme aux autres fonctions de l’entreprise de présenter des indicateurs de performance qui prouvent la pertinence des choix et leur efficacité, et non plus seulement des suites de données statiques décrivant a posteriori les actions de formation réalisées.
C’est donc un changement de paradigme, déjà amorcé par la réforme de la formation professionnelle en France et de son financement qui s’accentue ici : la formation n’est pas seulement une obligation pour l’employeur et un acquis social pour le salarié mais elle doit aussi apporter une contribution à la performance globale de l’entreprise. Faut-il pour autant aller jusqu’à la mesure du ROI des actions de formation au sens financier ? Ce n’est pas le plus pertinent : le calcul est toujours compliqué et rarement juste. Il faut dépasser cette vaine quête du retour sur investissement financier et oser poser la question, difficile mais saine, de la performance de l’activité de la formation, afin de démontrer sa valeur ajoutée. D’autres indicateurs non financiers peuvent être mis en place pour estimer de façon pragmatique dans quelle mesure la formation a eu un impact pour les participants et, partant de là, pour l’entreprise : mesure de l’adéquation de la formation par rapport aux attentes des participants et de leurs managers, évaluation de la mise en place de plans d’actions consécutifs à la formation, estimation du taux de transfert du contenu de la formation en situation réelle, mesure des compétences et/ou des connaissances acquises… Un faisceau d’indicateurs opérationnels concrets qui non seulement prouvent l’utilité réelle de la formation mais qui permettent également au responsable de programme de mieux piloter son offre en fonction des résultats atteints.
Les organisations les plus ambitieuses en termes d’apprentissage ont également compris que l’essentiel du développement des collaborateurs passe par d’autres moyens que celui de la formation formelle, qu’elle soit présentielle ou digitale. L’enjeu est de fournir aux collaborateurs un environnement de travail qui favorise le développement des compétences, que ce soit par la mise à disposition de ressources et de contenus de formation, par l’implication de la direction et des managers dans l’accompagnement du développement de leurs équipes, par la multiplication des opportunités de contacts et de situations nouvelles d’apprentissage, et surtout par la valorisation de l’acte d’apprentissage quel qu’il soit. Pour ces entreprises apprenantes, les indicateurs de performance de la formation devront aussi prendre en compte la mesure de la capacité de l’organisation à proposer un environnement apprenant, ce que nous appelons sa “learning culture”. Si l’on s’accorde pour dire que les organisations apprenantes sont plus performantes socialement et économiquement, alors cet indicateur de performance devrait figurer dans le tableau de bord des entreprises les plus exigeantes.