Le MAG RH est un magazine People d’un genre un peu particulier. On y trouve des gens importants. Des gens qui comptent dans la communauté RH, qui ont quelque chose à dire, des sachants. Sa photo dans le Magazine de référence pose le Grand Drh, l’Académique reconnu ou le Consultant intelligent. Peu de risque qu’il laisse la place à son adjoint, sa collaboratrice ou un obscur professionnel des services. Eux ce sont les Invisibles. Pourtant ils constituent probablement l’immense majorité de ceux qui font la Fonction RH au quotidien. Les jeunes, les N moins moins, les «seconds rôles» ou les spécialistes méconnus. C’est à eux que cette rubrique donnera la parole. Un seul critère : Ne pas tenir la tête d’affiche mais faire le job.
Celia Colagrande qui êtes-vous ?
Je suis une jeune femme de 27 ans, au double parcours juridique et développement RH. J’avais commencé par une double licence Economie et Droit mais, ça fait complètement pompeux comme ça, je suis vraiment tombée amoureuse du langage juridique1. J’avais l’impression de décortiquer un de ces “langages hermétiques” du sketch des Inconnus. Puis le droit social, je l’ai trouvé plus concret et plus enthousiasmant que le droit pénal pour lequel j’avais aussi un penchant. C’est mon master 1 en droit social qui m’a amenée aux Développement RH et aux enjeux managériaux. Je recherchais plus de collectif que dans le juridique. Travailler en entreprise m’intriguait, l’image que j’en avais petite, en passant devant le bureau de mon père, se fixait en une fourmilière de femmes et d’hommes costumés. J’y voyais un microcosme des relations humaines.
Qu’attendiez-vous ?
Je me demandais comment on pouvait s’y épanouir. Y vivre une aventure humaine dans une aventure entrepreneuriale. Naturellement ça m’a amenée au Développement RH. Pour moi c’était la question de quelle organisation servir.
Cette organisation, vous l’avez trouvée ?
Je suis entrée dans une grande Association caritative pour son emblème, ses valeurs et les personnes qui servent cette cause. Avec beaucoup d’attentes et beaucoup d’exigence. Très vite, j’ai été confrontée aux jeux de posture, de représentation et de pouvoirs. Aux egos et au fonctionnement en silos. A tout ce qui m’empêchait de travailler de façon fluide, au bon rythme. Mais j’en garde aussi d’excellents souvenirs, recevoir la confiance de ma manager et de mon DRH en me confiant la responsabilité du pôle de développement des compétences et de la diversité à 24 ans. J’ai eu la chance d’y rencontrer des mentors, de nouer des véritables relations humaines, professionnelles voire pour certaines, devenues personnelles. Mais j’avais l’impression qu’en restant là-bas, je m’userai à vouloir faire bouger les lignes.
Un parcours d’initiation ?
Le Master que j’ai fait en alternance m’avait fait comprendre la problématique du recrutement. Non seulement l’importance de la bonne personne, aux bonnes compétences, au bon endroit, mais aussi la recruter en lui présentant loyalement l’entreprise, ne pas vendre un rêve, je ne crois pas à l’environnement idéal, sans accros ou défis à relever. Ça fait partie de la beauté des missions à y réaliser. J’ai fait mon mémoire sur la place de la Fonction RH dans l’entreprise « libérée », intéressée par le type d’organisations décrites et la polémique de cette nouvelle tendance RH. Le débat autour de « l’entreprise libérée » reproche notamment à ce mot valise de décrire tout un tas d’organisations très différentes dans le fond et la forme, mais pourtant elles partagent toutes et se rejoignent sur leur démarche d’expérimentation d’autres types de prise de décision. Au travers de ce travail de recherche sur des organisations de niches, je me suis rendu compte du fossé énorme avec la réalité d’une majorité des organisations, en silos, où le statut et la place occupée semblent plus importants que ce qu’on y fait.
La réalité du quotidien ?
J’ai découvert le poids du « masque professionnel ». C’est Frédéric Laloux qui en parle dans son excellent “Reinventing Organisation”. D’après une étude qu’il cite, nous ne montrons au travail qu’un tiers de notre personnalité. Pour se protéger, pour ne pas s’épancher car l’information en entreprise est encore trop souvent perçue comme un enjeu de pouvoir. Quel gâchis. Cela fait de nous-même seulement, pendant la majorité de notre temps d’humour, de créativité, de débats endiablés en moins. Les relations en sont aseptisées. La tenue, les gestes, le corporel, les conversations convenues, les rites acceptés. Un nouveau langage hermétique pour le trio de comique, le langage corporate. C’est un mix de franglais, parfois totalement à côté de la plaque. Un sublime “On se la fait en B2B ?” pour “be-to-be” comme un face à face. Juste pour remplacer un mot à trois syllabes : ensemble.
Une Fonction RH loin de vos espérances ?
Pas tant que ça. J’avais eu la chance lors de mon Master 2, fait en apprentissage auprès des professeurs Jean-Emmanuelle Ray et Charles Henri d’Arcimolles, de rencontrer des professionnels RH. Ils représentaient 50% des enseignants. L’un d’eux nous avait souligné que c’est une fonction forcément en contradiction organisationnelle entre les salariés et les dirigeants. Les uns comme les autres la perçoivent comme une anguille, y voient un syndrome de l’imposteur ayant deux clients à servir en entreprise. Une sorte d’équilibriste, de funambule, facilement éjectable.
Donc vous décidez de quitter la Fonction RH ?
Pas vraiment. Je décide avant tout de quitter le secteur d’activités dans lequel j’étais. Trop directif et d’ailleurs beaucoup trop règlementé pour une fonction GPEC/GEPP qui demande de cibler et d’équilibrer le triptyque mobilité, formation, recrutement. Puis c’est une maturité d’organisation que je quitte et qui ne me correspond pas.
Alors vous faite quoi au juste aujourd’hui ?
Je fais toujours du Développement RH mais en position externe. Je cherche à aider les entreprises à développer les Soft skills de leur collaborateurs à partir d’un vivier culturel et artistique. Avec le dessein auquel j’aspire d’aider, non pas la culture d’entreprise, comme s’il y avait encore des “one best way”, mais les cultures d’entreprises. Dans une société de plus en plus automatisée, de la connaissance connectée, les entreprises doivent prendre en compte, dans leur façon de se développer, le virage qui modifie la nature même du Travail, le Sens qu’on y trouve.
Et ma référence pour donner du sens et une vision au monde dans lequel nous vivons et dans lequel nous nous projetons, ce sont les artistes. La culture est ce que nous lie, les œuvres et expériences artistiques que nous partageons ; témoin universel de ce que nous traversons.
Vous parlez de la Vision, du Sens qu’on met ou qu’on trouve au Travail ?
Je ne suis pas très clanique, mais c’est certain que je partage avec ma génération le fait de revendiquer et de porter comme fondamentale l’importance de la recherche du Sens dans le Travail. La seule chose qui la diffèrancie des précédentes, c’est précisément de le revendiquer. Ne pas se perdre dans le travail pour une reconnaissance illusoire. C’est un changement total de paradigme. L’entreprise et les RH doivent l’accepter. Et accepter que les collaborateurs ne font que passer dans leur entreprise. Il faut trouver une nouvelle façon de maintenir l’enthousiasme, pour s’assurer que les gens ont juste envie de venir accomplir deux trois trucs dans la semaine.
On fait comment ?
C’est la mission primordiale que je me fais des RH, c’est la conclusion de mon mémoire, les RH doivent être les gardiens et les garants d’une culture d’entreprise qui donnera du Sens. A eux de l’entretenir, de la faire vivre.
Et selon vous où en est-on ?
Eh bien, un peu loin ! La lourdeur des structures, des process de décision, les discours langue de bois, mais aussi le poids du règlementaire éloignent de la création d’une culture d’entreprise bien balancée entre les besoins de l’entreprise et les enjeux des collaborateurs dans le monde distribué de demain.
Et aujourd’hui, Vous, que faites-vous pour « faire avancer le monde » ?
Aujourd’hui, je me suis extraite de l’interne des organisations pour travailler de l’externe sur des « expériences culturelles », pour développer les savoir être, la créativité, la dimension émotionnelle des collaborateurs à partir d’une scénarisation des enjeux RH ou business des organisations pour qui nous travaillons. Pour contribuer à fédérer les collaborateurs à un autre niveau que le rationnel. Cela fait deux ans pile que je suis chez Creature, la contraction de créativité et de culture.
Et puis je suis la RH de notre toute petite structure. Formidable terrain de jeu pour tester et expérimenter à créer un collectif engagé autour d’une vision et de Valeurs partagées.
Et maintenant ?
Je reste emballée par la transformation que vivent les organisations et le changement sociétal que nous vivons. Mais je suis plus sceptique sur la capacité d’adaptation rapide des organisations et des hommes qui les font. Je crois qu’il est sain, ce nécessaire temps long. Pour grandir et murir.
Du boulot pour les 30 années à venir ?
Du boulot c’est sûr. Mais je voudrais garder en ligne de mire l’idéal d’authenticité des relations que je recherche, l’enthousiasme, l’admiration. Je n’exclus pas du tout de revenir au sein d’une organisation. J’alternerai je pense, entre des expériences entrepreneuriales externes et des développement des projets en interne pour des pairs collaborateurs.
On rêve encore quand on est jeune dans la RH ?
Oui bien sûr. Parce qu’il y a énormément de changements et de défis à venir. Mais on se berce moins d’illusions. On apprend à temporiser. A gérer la frustration, le temps. Et l’impatience. On apprend qu’on ne peut pas se dupliquer mais qu’on peut être sur plusieurs fronts à la fois.
Qu’est-ce qui vous exaspère le plus ?
Les tournures alambiquées de langue de bois et les jargons superficiels pour « se la péter ».
Si c’était à refaire, il est encore temps de changer ?
J’aurais dû prendre plus de temps avant de me fixer. Peut-être voyager, prendre le temps de découvrir d’autres entreprises. De toutes façons je pense que je changerai plusieurs fois de métier.
Votre rêve à vous Célia ?
J’aimerais faire plusieurs métiers en même temps. Petite fille je rêvais de vendre des ballons le matin, conduire un bus l’après-midi et vendre des bonbons le soir. On s’était organisées collectivement avec 2 amies, on devait chacune tourner sur une plage horaire différente.
Demain peut-on s’organiser à plusieurs pour switcher sur plusieurs métiers ?