Interview mené par Philippe Canonne
Bonjour William, Général de Brigade de Gendarmerie, Saint Cyrien forcément ?
Pas du tout, j’ai démarré Gendarme auxiliaire au plus bas de l’échelle. Puis j’ai gravi tous les échelons pour accéder aujourd’hui à un grade d’officier général. L’Armée offre à des gens volontaires de véritables opportunités de progression. Si on fait des efforts personnels de formation, d’acceptation des contraintes et réussite dans l’emploi, on peut faire carrière. Il faut de la persévérance, en accepter les contraintes et avoir de la réussite mais à ces conditions on peut avoir commencé bas et avancer loin. Arrivé par hasard et resté par passion, j’ai beaucoup appris et j’espère continuer.
Aujourd’hui à la Direction du Personnel Militaire de la Gendarmerie vous n’avez pas toujours été dans les Ressources Humaines ?
Effectivement j’ai 34 années de carrière dans la Gendarmerie, en tout temps et en tout lieu, sur le territoire national, en outre-mer et à l’étranger, avec des fonctions très variées en interministériel, dans les domaines de la formation, de l’opérationnel, de la diplomatie, des fonctions en administration centrale et plus particulièrement des ressources humaines.
Vous êtes en charge des projets de Transformation RH, c’est quoi la Transformation chez les Gendarmes ?
Avant tout c’est produire des évidences. Faire preuve d’empathie et de bienveillance dans un monde qui change. Si c’est simple et évident, si c’est le bon sens, les gens suivront. Dans une vision large c’est impulser les démarches de modernisation et prospectives, proposer des orientations stratégiques. Mais pour que les gens adhèrent le sens doit être simple et visible. La Transformation n’est pas seulement une approche technique il faut saisir sa dimension humaine.
Pourquoi la Gendarmerie a-t-elle senti la nécessité de s’engager dans cette voie ?
Pour deux raisons : changement du contexte et changement de la Ressource.
Le contexte ?
Les corps militaires sont au même titre que toutes les organisations traversés par la révolution digitale. Mais dans la Gendarmerie c’est à la puissance Mille. Nous sommes confrontés dans nos métiers à une irruption massive du digital. Notre environnement quotidien évolue en permanence avec le numérique. Nous utilisons tous les jours des outils qui nous relient à des masses considérables de données et ouvrent des possibilités et des facilités qu’on n’imaginait pas quand j’ai commencé ma carrière.
De même notre environnement RH est entièrement numérisé. Nous disposons de données de toutes sortes. La question à se poser est faut-il l’utiliser à développer de la proximité numérique, des outils plus accessibles ? Ou faut-il en profiter pour privilégier l’environnement humain ?
La Ressource ?
La Gendarmerie recrute chaque année 7 à 10 000 personnes, pour beaucoup comme gendarmes adjoints volontaires. Mais aussi des cadres sous-officiers et officiers et du personnel civil. Nous devons répondre à leurs attentes. Ce sont celles du corps social tel qu’il est. Notamment tous sont des digital natives. Ce sont des jeunes de notre époque. Ils veulent de la transparence, de la traçabilité, de la rapidité et des réponses individuelles à leurs questions (comme leur « expérience client » quand ils commandent chez Amazon ou AliExpress). La Transformation c’est s’adapter à ce changement de paradigme sans perdre nos fondamentaux. Notre ambition est de passer à une gestion individualisée des parcours.
Comment êtes-vous arrivé à cette responsabilité de piloter la Transformation RH ?
Etant impliqué dans les projets de Transformation des retraites de la Gendarmerie j’étais déjà en prise avec cette approche. Et j’étais au bon endroit, à la Direction du Personnel, pour pouvoir mesurer l’inquiétude que génère légitimement tout projet de Transformation et l’importance des qualités humaines à y apporter. C’est sans doute la raison pour laquelle mes Chefs m’ont demandé de prendre en charge ce projet de Transformation RH de la Gendarmerie.
Ma conviction est qu’il faut faire simple et utile. J’ai eu l’opportunité de produire un rapport sur Les enjeux de l’intelligence artificielle pour une nouvelle gouvernance augmentée des RH. J’y ai développé que les changements profonds qu’annonce l’IA dans les processus RH et la gouvernance des compétences et des personnels n’ont pas encore été appréhendés à leur juste mesure sous l’angle des RH. Je préconisais un focus sur les champs de la montée en compétence, d’aide à la décision et de performance RH dans le respect des enjeux éthiques d’accès et de traitement des données.
Et on vous a invité à mettre en œuvre vos préconisations ?
Oui, je suis rentré dans un angle mort. La Gendarmerie a mis en œuvre de nombreuses solutions techniques d’IA pour améliorer ses activités. Mais la Transformation n’est pas simplement un enjeu technique. Les aspects RH de la mise en œuvre doivent être pris en compte. C’est l’angle mort.
Votre ambition ?
Passer à une gestion individualisée des parcours.
De nos jours les personnels veulent de la personnalisation et de la traçabilité. Avant on faisait des fiches de vœux, qui suivaient leur cours, c’était assez opaque. Aujourd’hui nos gens veulent savoir où est leur demande, qui la traite et va leur répondre, quand ils auront une réponse. Nous devons passer de la gestion pour tous à la gestion pour chacun. Et dans un environnement qui change profondément. Et bien entendu sans renier notre dimension militaire.
Il faut accepter que nous sommes dans la société du zapping. Nous sommes passés de la société de la connaissance dans laquelle chacun maîtrisait son champ d’intervention à celle de la reconnaissance. En ce sens qu’il n’est plus nécessaire de posséder toutes les connaissances et qu’il faut être capable d’aller les chercher là où elles se trouvent. Notre enjeu, nous qui disposons de toutes les données utiles, notamment en RH, est de donner à chacun l’accès simple et rapide aux informations qui le concernent, qui l’intéressent. Nous devons « raffiner la donnée » et la rendre accessible.
Vos projets Phare ?
Un projet d’aide à l’orientation professionnelle. On parle d’employabilité. Aide les personnels à évaluer les orientations possibles de carrières en leurs fournissant un maximum d’informations pertinentes et rapportées à leur situation. C’est une sorte de GPS dans la multitude des choix très variés qui sont possibles dans la Gendarmerie. Pour plaisanter nous l’appelons le Waze RH de la Gendarmerie « gagner du temps et éviter les embouteillages » ! Savoir en temps réel quel est le bon chemin à prendre pour orienter sa carrière. Un simulateur des orientations possibles dès l’entrée dans la Gendarmerie jusqu’au meilleur moment pour prendre sa retraite.
Par exemple répondre à la question : je vise un commandement de chef d’escadron départemental dans telle région, que faut-il faire pour y parvenir ? Nous avons la donnée permettant de le faire. Il fallait la volonté, le reste n’est qu’une affaire de puissance de calcul et de spécialistes. Nous pourrons sortir le profil recherché, dans son environnement et avec les implications pratiques de rémunération, d’indemnités ou de contraintes. Donc toutes les informations utiles. L’intéressé peut ainsi affiner son évaluation de la faisabilité et des moyens à se donner.
Les parcours types étaient déjà identifiés par le passé. Nous les adaptons en temps réel à des situations et des aspirations individuelles. Nous voulons faire coïncider l’intérêt général et les aspirations personnelles. Et bien évidemment dans un environnement qui reste militaire.
Un autre projet ?
Un chatbot RH sur l’intranet de la Gendarmerie [chatbot : robot programmé pour simuler une conversation avec son utilisateur]. L’intitulé un peu pompeux est « un agent conversationnel intégrant de l’intelligence artificielle pour des outils RH innovants ». En pratique il s’agit de répondre aux questionnements RH des agents sans délai ni intermédiaire. Transparence et confidentialité. Tout simplement en posant directement ses questions au Chatbot qui répondra. C’est un FAQ avec de l’IA. Un dispositif apprenant, plus on lui pose de questions plus il apprend à mieux répondre.
Le système est en phase de test pour être étendu à tout l’effectif. Il permettra aussi d’alléger la tâche administrative sans plus-value des gestionnaires RH qui pourront se reporter sur des tâches plus efficientes. Notre responsabilité est de superviser la machine. Le Machine Learning la rend plus pertinente dans ses réponses, il s’agit toutefois de ne pas perdre de vue la dimension humaine de la relation avec l’utilisateur.
Pour conclure
Il ne s’agit pas de Transformation numérique. Mais de Transformation PAR le numérique. Nous devons être là où la machine ne pourra pas nous égaler. Dans l’Humain, dans la relation, dans l’empathie.
Une dernière question : avec ces outils demain chaque Gendarme pourra finir Général ?
Notre objectif est plutôt d’aider chaque Gendarme à développer son employabilité. C’est-à-dire selon la définition de l’OIT « l’aptitude de chacun à trouver et conserver un emploi, à progresser au travail et à s’adapter au changement tout au long de la vie professionnelle ».