Sophie PELICIER-LOEVENBRUCK, avocat associé, cabinet FROMONT BRIENS
La réforme de la formation professionnelle issue de la loi du 5 septembre 2018 « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » met en exergue qu’en réalité l’obligation de formation qui incombe à toute entreprise employant des salariés sur le territoire français a un double objet.
L’obligation de tout employeur de contribuer au financement de la formation professionnelle de tous les actifs au travers de la nouvelle contribution au financement de la formation professionnelle et de l’apprentissage (CUFPA)
1er objet : il s’agit d’une obligation financière qui se traduit par le versement en pratique de deux contributions respectivement dédiées à la formation dite continue d’une part et à l’apprentissage d’autre part (à raison de : 0,55 % et 1% de la masse salariale brute pour les entreprises de moins et de 11 salariés et plus pour la première et de 0,68% de la MSB pour la seconde).
La loi Avenir n’opère pas d’augmentation du taux total de contribution obligatoire, qui s’établit toujours à hauteur de 1,23% de la MSB pour entreprises de moins de 11 salariés et de 1,68 % pour les entreprises de 11 salariés et plus.
Les deux parts de la contribution dite unique sont mutualisées dès le 1er euro de collecte au profit de la formation de tous les actifs.
La loi reconfigure profondément le mécanisme de collecte des fonds qui est confié aux URSSAF à effet de la collecte 2021 en lieu et place des organismes paritaires collecteurs paritaires agréés (ex « OPCA » et ex « OCTA ») qui se voient rebaptisés « OPCO » pour opérateurs de compétences.
L’accent est ainsi symboliquement mis dans leur nom même sur le recentrage de la mission des OPCO autour des services, de l’expertise et l’appui technique aux branches et aux entreprises dans la gestion de leurs politiques de formation au soutien de l’adéquation des emplois et des compétences.
De même, la loi Avenir a créé et mis en place l’établissement public administratif, là encore, symboliquement dénommé « France Compétences » qui reçoit des OPCO pendant la phase transitoire (collectes 2019/2020 au titres des années 2018, 2019 et 2020) puis des URSSAF à compter de 2021 le produit agrégé de la totalité de la collecte des deux volets qui composent la CUFPA.
France Compétences est en charge de sa redistribution selon une clé de répartition elle aussi entièrement nouvelle qui reflète les priorités des politiques nationales de formation et ce qui se joue dans « la bataille des compétences » suivant l’expression de la Ministre du travail.
Ainsi les fonds issus de la taxe d’apprentissage ne sont plus directement fléchés vers l’apprentissage et ceux issus de la contribution à la formation professionnelle vers les dispositifs relevant de l’ancien périmètre de la formation dite continue par opposition aux dispositifs d’alternance au sens large, dont l’apprentissage.
La clé de répartition du produit de la CUFPA entre les différentes affectations s’applique désormais à la masse totale collectée, cependant et c’est également à souligner après prélèvement d’un montant fixe annuel dédié au financement du plan d’investissement dans les compétences à destination des chômeurs (PIC), soit 1,632 milliards d’euros pour 20211.
Le nouveau système de financement sanctuarise ainsi un montant garanti affecté à la formation des demandeurs d’emploi, exprimé une nouvelle fois sous la sémantique de l’investissement dans les compétences.
A l’issue de la phase transitoire au 31 décembre 20202, il en résultera ainsi deux différences majeures avec l’ancien système de financement :
- La clé de répartition de la CUFPA entre les différents dispositifs financés (CPF, CPF de transition, plan de formation, alternance qui englobe désormais les dispositifs d’apprentissage et de professionnalisation, CEP) sera la même quelle que soit la taille de l’entreprise contributrice ;
- Il n’y aura plus de sous sections financières pour le « plan de développement des compétences » (ex-plan de formation) selon la taille des entreprises.
- La fongibilité dite descendante est désormais assurée par construction : toutes les entreprises de 50 salariés et plus contribuent au financement du plan de formation des moins de 50 salariés mais seules ces entreprises restent éligibles à la prise en charge par l’OPCO des actions inscrites dans leur plan.
La loi Avenir pousse à son terme la volonté d’affecter les contributions obligatoires des entreprises prioritairement au financement de la formation de publics prioritaires : chômeurs, jeunes, personnes peu ou pas qualifiées, salariés des TPE/PME.
Concrètement cela se traduit pour toutes les entreprises de 50 salariés et plus qu’elles ne peuvent désormais plus récupérer de fonds mutualisés sauf : à accueillir en alternance de jeunes primo-entrants sur le marché du travail sous contrats de professionnalisation ou d’apprentissage ; à recruter des personnes éloignées de l’emploi dans le cadre des dispositifs de la préparation opérationnelle à l’emploi (POE) et/ou de l’action de formation préalable au recrutement-AFPR.
Pour leurs propres salariés, il demeure le dispositif de promotion et de reconversion par l’alternance, dit « ProA » (venant en remplacement des périodes de professionnalisation) mais dont l’accès est recentré sur les plus bas niveaux de qualification.
C’est le volet de l’obligation qui appréhende l’entreprise dans son rôle de contributeur au service public de la formation de la population active au-delà de son seul objet social, « l’entreprise-providence » pour paraphraser le concept de l’Etat-Providence.
se distingue et se conjugue avec l’obligation de l’employeur de former ses propres salariés et désormais quasi exclusivement sur fonds propres pour les entreprises de 50 salariés et plus.
2ème objet : c’est ensuite et également, une obligation pour l’employeur de veiller à ce que ses propres salariés bénéficient de manière régulière d’actions de formation.
C’est le volet de l’obligation qui appréhende l’entreprise dans sa qualité d’employeur et qui vise à assurer l’employabilité de ses salariés par sa contribution concrète à des actions concourant au développement de leurs compétences et à la sécurisation de leurs parcours professionnels.
L’obligation pour l’entreprise de s’acquitter d’une contribution fiscale mutualisée ne se recoupe ainsi que très partiellement avec celle de s’assurer que ses salariés bénéficient effectivement d’actions de formation contribuant à l’objectif d’adaptation à leur poste de travail et/ou de maintien de leur capacité à occuper un emploi au sens des dispositions de l’article L 6321-1 du Code du travail.
La CUFPA versée, l’entreprise n’a pas encore financé l’essentiel de ses besoins directs au titre de la formation de ses propres salariés, à l’exception désormais des seules entreprises de moins de 50 salariés, l’entreprise ne pouvant plus financer tout ou partie de son plan de formation3 sur fonds mutualisés.
Pour autant, la réforme de 2018 n’affranchit nullement les entreprises de leur obligation de financer leur plan de formation, avec la difficulté évidente à assumer une baisse de leur effort de formation, ce d’autant que les enjeux de formation sont plus que jamais présents : besoins de personnels qualifiés face à la transformation numérique, aux mutations technologiques, à l’apparition de nouveaux métiers et à la disparition d’autres, etc.
Il faut également rappeler les risques judiciaires en cas de carence de l’employeur dans l’obligation de former son salarié qui constitue un chef de préjudice en soi, réparable en tant que tel par l’octroi de dommages-intérêts distincts de celui de l’absence de cause réelle et sérieuse de licenciement.
La responsabilisation des acteurs : vers la « skilled nation » !
Dans la continuité de la théorie dite « adéquationniste » qui prévaut encore très largement dans la conception française des politiques éducatives, la formation professionnelle est regardée par les pouvoirs publics comme l’élément déterminant pour résoudre le problème du chômage et positionner la France dans le jeu de la concurrence mondiale.
Le gouvernement et le législateur expliquent la réforme et ses enjeux sur la conviction que la France gardera sa place dans la course mondiale à la compétitivité en gagnant la bataille des compétences qui prévaudrait très significativement sur le facteur coût du travail.
Pour répondre à ce défi, les actifs/les salariés ainsi que les entreprises et les branches sont invités, avec le soutien des acteurs institutionnels (régions, Education
nationale, Enseignement supérieur et Etat) à se saisir du sujet formation professionnelle.
Le CPF nouvelle version est ainsi « désintermédié », mise en relation directe du titulaire du compte et de l’organisme de formation qui n’ont plus à passer par l’intermédiaire de l’OPCO, et « monétisé » : son unité de valeur n’est plus l’heure de formation mais l’euro. Et dans les deux cas dans l’optique affichée d’en faciliter l’appropriation par ses bénéficiaires et sans doute de faire pression sur les prix ...
Pour l’entreprise, cela signifie que l’accès aux fonds mutualisés et dédiés au CPF implique désormais tant d’y consacrer d’une manière ou d’une autre des fonds supplémentaires que de convaincre le salarié de l’intérêt partagé de mobiliser son compte pour une action de formation répondant aux besoins de l’entreprise dans une logique de co-investissement.
L’exercice apparaît donc assez contraint, au-delà de le convaincre de la pertinence de mobiliser son droit dans le cadre d’un projet de formation dont le salarié n’est pas à l’initiative directe, les formations éligibles aux CPF sont quasi exclusivement des formations certifiantes4.
Il convient de souligner que les CQP de branche ne sont plus éligibles en tant que tels dans le cadre de l’utilisation du CPF s’ils ne sont pas eux-mêmes enregistrés au RNCP.
Pour construire des projets de formation partagés, l’entreprise pourra mettre en avant le fait que cela permet aux salariés d’acquérir une certification nationalement reconnue sur le marché du travail.
Les modalités de réalisation de la formation, qu’elle soit faite sur temps ou hors temps de travail, seront également un levier à prendre en compte dans la négociation.
S’agissant du nouveau dispositif de promotion ou reconversion par l’alternance (ProA) l’accès au financement mutualisé est encore plus exigeant qu’il ne l’était pour les périodes de professionnalisation : le législateur a réservé l’éligibilité à ce dispositif aux salariés d’un niveau de qualification au plus équivalent au niveau bac+2.
Autrement dit, les actions de formation liées à la nécessité de reconvertir une collectivité de salariés du fait de l’évolution ou de la disparition d’un métier et qui par nature sont des formations lourdes de plusieurs dizaines, voir centaines d’heures ne seront plus éligibles à la ProA si la population concernée a un niveau au moins équivalent à la licence supérieur à bac + 2.
L’action de formation a désormais un objet unique : le développement des compétences
En contrepartie du fait que l’obligation fiscale et l’obligation sociale sont désormais très largement décorrélées, le législateur confère aux entreprises une liberté accrue dans le choix des moyens, notamment pédagogiques, pour répondre à l’obligation sociale de former.
Le champ de la formation professionnelle est redéfini autour de la notion d’action concourant au « développement des compétences », qui englobe donc désormais aussi bien l’ancien périmètre de la formation dite continue que celui de la formation en apprentissage.
Désormais l’apprentissage et la formation « continue », laquelle perd symboliquement ce qualificatif, sont rassemblés sous l’appellation commune « formation professionnelle ».
En cohérence avec cette redéfinition du champ d’application de ce qu’est « la formation professionnelle », les actions qui en relèvent sont regroupées en 4 catégories qui concourent toutes au même titre au développement des compétences : les actions de formation stricto sensu ; les actions permettant de faire valider les acquis de l’expérience (VAE) ainsi que le bilan de compétences.
L’action de formation se définit désormais « comme un parcours pédagogique permettant d’atteindre un objectif professionnel », qu’il s’agisse de : permettre à une personne sans qualification professionnelle d’accéder à un emploi ; favoriser l’adaptation des travailleurs à leur poste de travail ou à l’évolution des emplois ; réduire pour ceux dont l’emploi est menacé les risques résultant d’une qualification inadaptée à l’évolution des techniques et des structures ; de favoriser la mobilité professionnelle.
L’ensemble de ces finalités est mis sur le même plan en terme de valeur : toutes sont considérées comme participant du développement des compétences des salariés.
La suppression des catégories du plan de formation : la déhiérarchisation des actions de formation et la notion de formation obligatoire
La mise au même plan de toute action de formation qui concourt au développement des compétences se reflète dans la suppression des catégories du plan de développement des compétences instaurée par la loi du 4 mai 2004 (3 catégories à l’époque), modifiée par celle du 24 novembre 2009 avec la fusion des catégories 1 et 2 (laissant subsister 2 catégories) .
La fusion des actions d’adaptation au poste de travail et de celle de maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi en une seule catégorie a eu pour effet d’attraire cette dernière dans le régime des actions d’adaptation exclusivement réalisables sur temps de travail.
La loi du 5 septembre 2018 supprime purement et simplement la catégorisation du plan qui regroupe désormais l’ensemble des actions de formation que l’employeur propose à ses salariés.
Cette suppression s’accompagne d’une ouverture sans précédent de la possibilité de réaliser hors temps de travail l’ensemble des actions de formation ainsi que de la suppression de l’obligation de paiement de l’allocation de formation.
La nouvelle summa divisio s’établit désormais entre, les actions de formation qualifiées d’« obligatoires » et celles qui ne le sont pas.
Le législateur n’emploie pas le terme « obligatoire » pour qualifier les premières mais les définit comme « toute action de formation qui conditionne l’exercice d’une activité ou d’une fonction, en application d’une convention internationale ou de dispositions légales et réglementaires » .
Cette définition vise clairement les différentes professions et activités qui peuvent faire l’objet d’une réglementation spécifique en raison de leur nature même ou bien des risques qu’elles impliquent (certificats du type CACES, habilitations électriques, certifications financières/prudentielles, etc.)
Ceci étant dit, la distinction avec les autres formations, qualifiées à l’inverse – et sans doute de manière trompeuse – de « non obligatoire », n’est pas si aisée.
En effet, même si elles ne constituent plus nécessairement une catégorie du plan de formation, les actions d’adaptation au poste de travail et de maintien de la capacité à occuper un emploi représentent toujours les deux composantes de l’obligation légale de former de l’employeur et, en tant que telles, leur suivi demeure obligatoire pour les salariés qui ne peuvent s’y soustraire, sauf à s’exposer à une action disciplinaire.
Pour autant, il apparaît juridiquement contestable d’affirmer – comme cela a pu être dit ou écrit çà et là – que la formation dite « obligatoire » au sens de la loi du 5 septembre 2018 engloberait systématiquement la formation d’adaptation au poste de travail et même celle de maintien de l’employabilité.
Ces deux types de formation relèvent certes de l’obligation de formation mais elles ne correspondent pas de ce seul fait à la définition de la formation « obligatoire » en ce sens qu’elles ne conditionnent pas nécessairement l’exercice d’une activité ou d’une fonction.
En d’autres termes, l’employeur peut devoir ou vouloir former ses salariés pour anticiper une inadaptation à leur poste de travail ou l’évolution des emplois, des technologies et des organisations sans pour autant que les salariés se voient interdire par une réglementation quelconque d’exercer leurs fonctions dans l’attente du suivi effectif de la formation.
Une formation peut donc être obligatoire pour le salarié tout en ne l’étant pas pour l’exercice de sa fonction dès lors que celle-ci n’est pas réglementée.
La « dépénalisation » de la formation hors temps de travail
La distinction entre les formations dites « obligatoires » et les autres actions de formation revêt un réel enjeu au regard du régime juridique qui en en découle.
Les formations « obligatoires » doivent en effet nécessairement être suivies sur le temps de travail du salarié et donnent lieu par conséquent au maintien de la rémunération pendant leur réalisation.
De plus, ces formations ne sont pas prises en compte au regard du bilan des actions de formation suivies qui doit être effectué tous les six ans dans le cadre de l’entretien professionnel.
Les formations autres que celles dites « obligatoires » sont en principe considérées comme du temps de travail effectif et donnent lieu au maintien de la rémunération mais, par exception et sous réserve de l’accord du salarié en toute hypothèse, elles peuvent également être réalisées pour tout ou partie hors temps de travail et de surcroît sans plus nécessairement donner lieu à contrepartie financière.
L’accès au « hors temps » peut se faire par deux modes alternatifs.
Par accord collectif : l’intérêt de conclure un accord collectif d’entreprise ou de branche réside dans la capacité à fixer librement une limite horaire pour les salariés en régimes horaires ou sous forme d’un pourcentage pour ceux sous régimes de forfait annuel en jours ou en heures.
Contrairement là encore à ce que l’on peut lire, le suivi d’une formation en dehors du temps de travail ne saurait en tout hypothèse être imposé au salarié.
Il y a là pour la négociation collective un champ à investiguer et à articuler avec le droit à la déconnexion, le télétravail et plus globalement la thématique de la qualité de vie au travail qui amène à dépasser le clivage vie professionnelle/vie personnelle ou plus exactement de prendre en considération la perméabilité croissante de ces temps.
Il ne faut pas minimiser le changement culturel que le développement de la réalisation d’actions de formation hors temps de travail implique en termes d’appropriation par l’ensemble des partenaires sociaux (employeurs et salariés).
Par accord individuel : le plafond légal fixé par défaut est par salarié de 30 heures par an ou de 2% du forfait annuel en heures ou en jours.
La consécration de modalités pédagogiques en dehors du modèle présentiel (fin de l’unité de temps, de lieu et de participants)
La loi du 5 septembre 2018 consacre définitivement la validité de la « formation ouverte à distance » (FOAD) et de l’«action de formation en situation de travail » (AFEST), ces 2 modalités pédagogiques pouvant d’ailleurs se combiner.
Une action de formation réalisée à distance doit comprendre : « 1°Une assistance technique et pédagogique appropriée pour accompagner l’apprenant dans le déroulement de son parcours ;2° Une information de l’apprenant sur les activités pédagogiques à effectuer à distance et leur durée moyenne estimée ; 3° Des évaluations qui jalonnent ou terminent l’action. »
Ce faisant, il n’apparaît pas anodin que le législateur ait ainsi fait d’une condition de forme – à savoir l’établissement d’un programme de formation – une condition de fond tenant au contenu même de la formation.
Cet assouplissement des conditions formelles de la FOAD ressort également de l’abrogation des règles spécifiques régissant le mode de preuve de l’assiduité d’un stagiaire à des séquences de formation ouvertes ou à distance.
Depuis 1er janvier 2019, la preuve de la réalisation d’une action de formation est libre, quelle que soient la ou les modalités pédagogiques mises en œuvre.
S’agissant des conditions de mise en œuvre d’une formation en situation de travail, celle-ci nécessite :« 1° L’analyse de l’activité de travail pour, le cas échéant, l’adapter à des fins pédagogiques ;2° La désignation préalable d’un formateur pouvant exercer une fonction tutorale ;3° La mise en place de phases réflexives, distinctes des mises en situation de travail et destinées à utiliser à des fins pédagogiques les enseignements tirés de la situation de travail, qui permettent d’observer et d’analyser les écarts entre les attendus, les réalisations et les acquis de chaque mise en situation afin de consolider et d’expliciter les apprentissages ; 4° Des évaluations spécifiques des acquis de la formation qui jalonnent ou concluent l’action. »
Ces 4 conditions sont cumulatives, la 1ère et la 3ème apparaissent déterminantes de la distinction avec une activité de pure production qui caractérise la prestation de travail.
C’est d’ailleurs ce même critère de la conformité aux objectifs de la formation des activités confiées à son bénéficiaire qui permet de prévenir la requalification en salariat du stage de formation professionnelle continue effectué au sein d’une entreprise tierce .
Toujours pour faciliter le recours à l’AFEST, les mesures réglementaires prises pour l’application de la loi Avenir abrogent l’obligation qui était faite à l’entreprise, lorsque la formation comportait un enseignement pratique donné sur les lieux de travail, d’adresser au CSE un compte-rendu des mesures prises pour que l’enseignement se déroule effectivement de manière conforme à un programme établi en fonction d’objectifs préalablement déterminés .
Encore dans l’objectif de rendre le départ en formation plus souple et d’individualiser les modes, les contenus et le moment de la formation selon la réalité des besoins du salarié bénéficiaire et des contraintes de l’entreprise, la loi reconnaît des modalités de formation permettant une acquisition des connaissances et des compétences à un rythme adapté à la situation de chacun (grains pour les modules en e-learning, modularité des sessions, etc.).
Cet assouplissement reflète l’évolution des règles qui entourent les certifications professionnelles qui, pour être enregistrées au RNCP, peuvent être découpées en blocs de compétences permettant l’obtention de la certification visée en plusieurs étapes, certains salariés pouvant acquérir la formation plus rapidement s’ils ont déjà acquis certains blocs.
L’objet de l’entretien professionnel recentré sur l’accès à la formation et l’absence de formation comme critère exclusif de l’abondement correctif
Tout en enrichissant l’objet de l’entretien professionnel biennal de nouvelles rubriques d’information et/ou de discussion entre le salarié et son employeur (information sur le CPF et le CEP notamment), la loi Avenir modifie les conditions de déclenchement de l’abondement correctif de manière à faire strictement découler celui-ci du non-respect par l’employeur de son obligation de former.
L’entretien récapitulatif des six ans, qui va intervenir pour la première fois en 2020 pour les salariés qui étaient en poste en 2014, a toujours pour objet d’apprécier si le salarié a : 1) suivi au moins une action de formation ; 2) acquis des éléments de certification par la formation ou la VAE ; 3) bénéficié d’une progression salariale ou professionnelle.
La loi introduit la possibilité de négocier par accord collectif d’entreprise ou de branche l’adaptation de ces modalités d’appréciation du parcours professionnel au titre du bilan des six ans, d’autres critères que les trois précités peuvent être retenus, tout en gardant à l’esprit que l’entretien professionnel ne peut avoir pour objet d’évaluer la qualité du travail du salarié.
De manière plus immédiate, il est désormais prévu que l’abondement sanction de 3000 euros (versus 100 heures auparavant) intervient uniquement dans l’hypothèse où le salarié n’a cumulativement pas bénéficié des entretiens biennaux et d’au moins une action de formation autre qu’une formation dite « obligatoire » au cours de la période de 6 ans considérée.
Au-delà du bénéfice des entretien biennaux, l’objet de la vérification qui peut conduire à l’application de l’abondement correctif à la suite de l’entretien des 6 ans devient donc le bénéfice d’une action de formation qui est désormais seul visé.
Ainsi, la condition de fond – suffisante en elle-même pour déclencher l’abondement sanction – est ramenée à l’objet essentiel de l’entretien professionnel, c’est à dire la formation du salarié, qui n’a pas non plus à être nécessairement certifiante.
La traçabilité et la comptabilisation d’un nombre plus divers d’actions de formation suivies par les salariés dès lors qu’elles permettent d’atteindre un objectif professionnel (formations internes, AFEST, etc.) représentent donc un enjeu renouvelé pour les entreprises. Ces dernières ont tout intérêt à valoriser l’exhaustivité des formations dispensées à leurs salariés, même de manière plus informelle.
Le fait que l’entreprise puisse adapter par accord collectif la périodicité de l’entretien et les modalités d’appréciation du parcours professionnel du salarié pour l’entretien professionnel des 6 ans ne l’autorise pas pour autant à s’abstraire des conditions légales d’application de l’abondement sanction.
Il pourrait ainsi être imaginé que l’entreprise accepte non pas de modifier mais d’ajouter aux trois critères légaux d’appréciation du parcours professionnel du salarié en échange d’un allongement de la périodicité des entretiens professionnels.
Quelle que soit la périodicité retenue, le législateur maintient l’obligation pour l’employeur d’organiser un entretien professionnel dans les neufs cas où le salarié reprend ses fonctions à la suite de la suspension de son contrat de travail ou de l’exercice d’un mandat syndical, etc.
Cependant, si le salarié en fait la demande, il est désormais possible de tenir cet entretien de manière anticipée, avant son retour ou la reprise d’une activité opérationnelle.
La liberté des engagements sur l’issue de la formation
La volonté du législateur de lever les contraintes réelles ou supposées à la mise en œuvre d’actions de formation est encore illustrée par deux mesures symboliques.
- Tout d’abord, l’action de développement des compétences – qui correspond à l’ancienne catégorie 2 du plan de formation – ne doit plus nécessairement donner lieu à la prise d’engagement par l’employeur sur les conditions dans lesquels le salarié accède en priorité aux fonctions disponibles correspondant aux connaissances ainsi acquises et ce dans un délai d’un an.
Reste toutefois la sanction « naturelle » du salarié qui monte en compétences mais qui ne se voit rien proposer à la suite de la formation.
Plus globalement, il se perçoit que les actions de formation engagées ne peuvent l’être « hors sol », sans avoir identifié au préalable les débouchés dans le cadre de la politique de GPEC de l’entreprise.
- De même, tout en prévoyant la nécessité d’un avenant au contrat de travail pour mettre en œuvre le dispositif ProA », la loi supprime l’obligation qui était faite à l’entreprise de souscrire des engagements en contrepartie du suivi assidu et de la réussite du salarié aux évaluations.
L’objet même du dispositif étant la reconversion ou la promotion du salarié, il semble toutefois que si aucune suite n’est donnée à l’action avec l’attribution d’un poste répondant à l’un ou l’autre de ces deux objectifs, outre la frustration susceptible d’en découler et les risques associés aux périodes d’attente d’affectation, le salarié pourrait mettre en jeu la responsabilité de l’employeur au titre de l’exécution de bonne foi du contrat de travail.
La construction du projet de formation est évidemment rendue plus aisée et plus attractive pour chacune des deux parties là encore si le poste d’atterrissage est identifié en amont ce à quoi tend une politique de GPEC.
Conclusion
Tout comme les ordonnances Macron, le succès de la réforme de la formation professionnelle qui en constitue le prolongement, implique une véritable révolution culturelle des deux côtés.
Du côté des salariés, il s’agit d’être plus à l’initiative de leur parcours de formation en mobilisant les moyens qui leur sont donnés en contrepartie, alors que la protection assurée par le droit du travail n’a plus tant vocation à empêcher la modification ou la rupture du contrat de travail mais plutôt à l’accompagner en construisant un droit de la mobilité professionnelle, avec notamment des droits portables.
Du côté des entreprises, il s’agit d’intégrer que le système les fait directement contribuer à ce qui auparavant relevait de la seule responsabilité de l’Etat, en participant à la fluidité du marché du travail. Partant, une partie de leurs efforts financiers et qualitatifs ne leur profitera qu’indirectement et/ou à plus long terme.
La flexisécurité c’est admettre que l’entreprise fait œuvre commune à la mobilité professionnelle au sens large, au maintien de l’emploi possiblement ailleurs que dans l’entreprise, qui dans le même temps participe de l’allégement d’une obligation de reclassement interne qui est souvent très souvent difficile à satisfaire.
L’enjeu d’une véritable politique de GPEC n’est plus tant la modification du contrat de travail que l’acceptation du changement de fonction et/ou de métier du fait d’un accompagnement, en particulier par la formation.
Il reste sans doute un obstacle à lever et non des moindres, celui de rééquilibrer les régimes d’optimisation fiscale et sociale qui pour l’heure continuent de donner la prime à l’accompagnement financier des dispositifs de ruptures du contrat de travail.
Au contraire l’investissement formation des entreprises ne bénéficie toujours pas d’un système d’amortissement et/ou de crédit d’impôt.