Le développement et la valorisation du capital humain dans l’entreprise pourrait n’être qu’une aimable tarte à la crème. Elle ne l’est pas car au-delà des proclamations, elle pose de réels problèmes théoriques et que les réalisations concrète ne sont pas si nombreuses. C’était l’objet de la masterclass organisée le 3 janvier dernier sur le campus de l’ESCP Europe par l’Association Condorcet pour l’innovation managériale, en partenariat avec le Mag RH, Newstank et le Groupe Stimulus.
Premier témoignage : celui de Guy Jayne.
C’est lui qui a mis en place la démarche compétence dans les usines du groupe Arcelor. Bien entendu, il faut, selon lui, développer l’autonomie, promouvoir la responsabilité personnelle, étendre la polyvalence. Mais ce qu’il propose va plus loin : c’est à l’organisation de l’entreprise de s’adapter aux compétences qu’elle rassemble ; ce qu’il faut éviter, c’est que les salariés qu’elle emploie soient obligés, sans perspectives d’évolution, de limiter leur action à la définition de fonction qui leur est imposée. La démarche conduit ainsi l’entreprise à se présenter comme une fédération de micro-entreprises, ainsi que le développe Michel Hervé à partir de l’exemple du Groupe éponyme qu’il préside.
Cela n’a pas pour conséquence d’éliminer l’encadrement de proximité, comme le prétendent certains théoriciens de « l’entreprise libérée ». En revanche, son rôle se trouve profondément transformé. Et les salariés en tirent le plus souvent un motif de satisfaction comme l’explique Laurent Karsenty, chercheur au CNAM et à Dauphine. Toute l’action de l’entreprise doit aller dans le sens d’une meilleure prise en compte de sa dimension humaine, développe David Mahé, président de Stimulus, qu’il s’agisse de la santé psychologique au travail, d’égalité professionnelle ou de développement des trajectoires professionnelles. Une démarche que ne peut qu’approuver Jean-Luc Molins, représentant l’UGIC CGT, quand celle-ci dénonce le « wall street management ». La performance globale de l’entreprise est largement fonction de solutions négociées, ce qui suppose un dialogue social actif, que ce soit au niveau de l’entreprise ou aux différents niveaux de la structure professionnelle, y compris au niveau international.
Que cela aille dans le sens d’un développement du « capital humain », cela ne suscite guère de doute. Reste à savoir comment il peut être valorisé. Certes, il tend de plus en plus à être pris en considération par les opérateurs financiers, comme le souligne Patrick Gounelle, past global managing partner d’Ernst & Young. Mais ce capital peut-il être évalué afin d’être pris en compte, au moins en marge du bilan. « Oui », répond André Perret, rédacteur en chef du Mag RH. « Non », répond Jacques Igalens, professeur émérite à l’université de Toulouse et président de l’IAS. On a déjà essayé et, selon lui, on n’y est jamais parvenu. Par ailleurs, il existe déjà le bilan social, qu’il suffirait de réactiver. Intéressant débat, qui conduit à une autre question : pour qui roule l’entreprise ?
Car c’est bien là le problème. Est-elle au service de la création de valeur actionnariale, de valeur partenariale, ceci incluant les salariés qu’elle emploie, ou de valeur globale, ceci incluant les effets de son activité sur son environnement humain et environnemental. Question posée par Hélène Le Tenot, directrice de la Jean-Noël Thorel Foudation et spécialiste des effets de l’économie thermo-industrielle sur les grands équilibres de la planète. L’état de la planète invite à reconsidérer la finalité de l’entreprise, et donc ses paramètres de bonne gestion et son encadrement institutionnel.
Ce qui apparaît ainsi, c’est que se pose un problème de boussole, comme le soulignera Hubert Landier dans sa conclusion. Les boussoles traditionnelles ont cessé d’être adaptées à ce que l’on en attendait. Pire, elles nous empêchent de discerner les nouveaux enjeux et la façon d’y faire face. Les attentes sociales, les enjeux climatiques, nous obligent à imaginer de nouvelles boussoles, intégrant la dimension humaine de l’entreprise, le besoin et la capacité d’autonomie des travailleurs et la prise en compte de l’impact de l’activité de l’entreprise sur son environnement. Ce qui nous manque, c’est une vision plus globale, englobant et dépassant les critères d’appréciation qui nous semblaient aller de soi.
Masterclass du 3 janvier 2020 sur le campus de l’ESCP Europe par l’Association Condorcet pour l’innovation managériale, en partenariat avec le Mag RH, Newstank et le Groupe Stimulus.