Par Hubert Landier
C’était mon rêve. Travailler dans une start up de l’informatique à l’ambiance jeune et cool. Bien avant ma sortie de l’école de gestion, je consultais les sites Internet pour me faire une idée de ce que je pourrais trouver. Ce qui m’a décidée, c’est le site de Starteck : une jeune entreprise dirigée par des jeunes. Un cadre super, avec du mobilier design, des espaces de détentes avec des poufs colorés, des babyfoots et même un billard, le café gratuit et les jus de fruit à volonté, des afterwork toutes les semaines, une ambiance décontractée et beaucoup d’autonomie pour chacun.
J’ai donc posé ma candidature et, surprise ! On m’a rappelée ! J’ai dû d’abord répondre à un long questionnaire, aux questions un peu bizarres (mais je ne suis pas psychologue) qui avait pour but de savoir si j’avais « l’esprit Starteck » ou non. Bonne nouvelle ! Je l’avais. Cela m’a permis d’avoir un premier entretien (avec Pamela, la Human resources manager), puis un second, avec Bob, un coordinateur d’équipe, et enfin avec Zoé, une ingénieure commerciale. Super, tous hypersympas. Ce qu’on me proposait : assistante d’un ingénieur commercial. Une prime motivante si je dépassais mes objectifs d’affaires (c’est vrai que le salaire n’est pas terrible).
Bon. J’ai commencé dès le lundi suivant. La première journée a été très sympa. J’ai été invitée à déjeuner par Pamela, qui m’a bien expliqué ce qu’elle appelle la culture de l’entreprise. Remarquez, c’était déjà ce que j’avais vu sur le site. Ici, pas de formalisme. Tout le monde se tutoie. Ensuite, j’ai passé les deux premier jours à rencontrer les business unit managers. En gros, tout en m’expliquant ce qu’ils faisaient, ils m’ont tous dit à peu près la même chose. Ici, pas de chichis, on joue le jeu et on avance. Pamela m’avait donné un petit carnet où noter ce qu’on me disait pour revoir ça avec moi et en faire une synthèse le soir du deuxième jour.
Le troisième jour, j’ai donc commencé à travailler avec les trois ingénieurs commerciaux que je devais épauler. Là, j’ai eu un choc. Je pensais travailler avec un seul patron et voilà que j’en avais trois. Je me suis vite aperçue que ça posait un problème parce que tous les matins, tous les trois se succédaient devant moi pour me dire qu’ils avaient quelque chose d’absolument prioritaire à me confier. Comme je ne pouvais pas donner la priorité aux trois à la fois, il y en avait donc deux qui n’étaient pas contents. En tout cas, ça me donnait beaucoup de travail. Le soir, c’était jusqu’à 20 heures, quelquefois même plus. Au début, je me disais que c’était probablement parce que je m’y prenais mal, que ça allait se tasser.
Puis est venue ma première participation à un afterwork. Et là, surprise. Quand on s’est séparés, ils étaient tous pétés grave. Sans compter que ça fumait et que certains étaient à la coke. Comme je m’étonnais, l’un des ingénieurs, qui essayait de me draguer, m’a expliqué que c’était pour eux une façon de décompresser, qu’ils ne pouvaient pas faire autrement pour suivre le rythme qui leur était imposé. Mais que de toutes façons, ils aimaient ça. Que c’était partout pareil et qu’il avait même vu pire. Au passage, je me suis aperçue qu’ils étaient là depuis très peu de temps. Six mois maximum en moyenne.
Deux mois plus tard, j’ai vraiment commencé à déchanter. D’autant plus qu’on m’avait promis une prime sur les affaires qu’on ramenait. En fait, la prime, elle était réservée aux ingénieurs. Donc, pour moi, zéro. J’en ai parlé à Pamela. Elle m’a répondu que je la gonflais et que trois semaines après mon arrivée, je n’allais pas commencer à me plaindre. Que ça viendrait en son temps. J’ai également parlé des heures supplémentaires pas payées. Là, elle m’a répondu que si j’étais obligée de rester tard le soir, c’est que je m’y prenais mal pour faire mon boulot dans les temps et que ce n’était pas comme ça que je pourrais avoir une prime. Bref, elle avait autre chose à faire que perdre son temps avec une emmerdeuse.
J’ai commencé à comprendre pourquoi le turn over était si élevé. Et là, je me suis aperçue qu’il n’y avait pas de représentants du personnel. J’ai cherché à savoir pourquoi. Le business unit manager m’a expliqué que c’était parce qu’il y avait eu carence aux élections. « Je te l’ai dit. Ici, on est dans l’informel. S’il y a quelque chose à dire, il suffit de le dire. S’il n’y a pas de délégués, c’est parce qu’il n’y en a pas besoin dans la mesure où tout se passe bien ! Et si ce n’est pas ton avis, c’est simple, tu peux t’en aller… ».
C’est ce que j’ai fait, finalement. Mais avant de partir, je suis retournée sur Internet pour consulter un site où les salariés donnent leur avis sur leur employeur. Et voilà ce que j’ai trouvé au sujet de ma boîte : « Ce boulot est une blague ! Les gens qui y travaillent sont immatures, ils parlent de choses à tort et à travers. On se croirait revenu à l’école. L'entreprise ne vous forme pas correctement pour le travail, ils vous mettent pendant une semaine en formation sur le tas et puis directement à la production. En gros, ils vous poussent dans une piscine et se fichent que vous couliez ou que vous nagiez. La paie craint. Ils font de la publicité pour des incitatifs qui, selon vous, seront de l'argent, mais ce n'est pas le cas, ils ne font que distribuer des sandwiches et des boissons... cette boutique est incohérente et manque par ailleurs totalement d'éthique commerciale ! Je ne recommanderais à personne d'y aller, ça n'en vaut pas la peine ! »
Bon. Je me suis dit que j’avais été idiote. Ce site critique se trouve juste au-dessous du site officiel de la boîte. Mais est-ce que j’aurais cru ça avant d’en faire l’expérience ? Je ne suis pas sûre. Je me serais dit que c’était encore des critiques gratuites venant de gauchistes ou de gens aigris qui n’aiment pas les entreprises. En tout cas, j’ai vite retrouvé du boulot. Et cette fois, dans une boîte de décolletage industriel. Son site Internet n’est pas terrible, mais au moins on ne cherche pas à vous entuber avec de bonnes paroles qui n’ont rien à voir avec la réalité. Au passage, j’ai appris qu’ils avaient virés Starteck de leurs prestataires.