Le monde tel que nous le connaissons est fondé sur la croissance, croissance de la population, de la consommation, de la production. Or les ressources de notre planète sont limitées et il arrivera certainement un jour où la croissance ne sera plus possible du fait de l’épuisement des ressources naturelles. Certaines ressources se renouvellent ou sont quasi-illimitées. Mais notre technologie est, pour l’instant, dépendante des énergies fossiles et de la première d’entre elles, le pétrole. Que se passera-t-il lorsque ces ressources seront devenues très rares et très chères ? Pour certains, les collapsologues, nous assisterons alors à un effondrement de nos systèmes et nous devrons apprendre à vivre sur d’autres bases, à consommer moins et mieux, à trouver localement de quoi boire, manger et se vêtir car les transports se raréfieront.
Dans la chronique de la fin du monde, nous nous proposons d’explorer ce monde de demain avec deux impératifs. Le premier consistera à ne pas verser dans la science-fiction et à ne donner que des informations d’origine scientifique. Le second sera la légèreté car il ne convient pas d’ajouter des lamentations ou des regrets à la situation actuelle qui n’est déjà pas très gaie... Cette rubrique tout comme la collapsologie ne produira pas de connaissance nouvelle (ce sont les sciences dont elle dépend qui le feront), mais elle produira une narration nouvelle et si possible enjouée de notre vie en commun, c’est certainement aussi utile.
La fin du monde est pour le 23 janvier 2050…
«Je suis frappé que la collapsologie, cette « science de l’effondrement des systèmes », soit aussi peu précise sur ce qui fait sa force et son originalité. Elle prévoit sinon la fin du monde, du moins la fin de notre civilisation thermo-industrielle. Elle explique les raisons de l’effondrement, notamment l’épuisement des énergies fossiles, elle en décrit les mécanismes et donne des conseils pour la vie d’après, la « collapsosophie », c’est à dire la Sagesse de l’effondrement. Mais elle omet de donner la date dudit effondrement or j’ai tendance à penser que cette précision n’est pas inutile car on ne se prépare pas de la même façon à un événement qui aura lieu dans plusieurs décennies ou dans plusieurs siècles.
Donc j’ai décidé d’apporter ma pierre à la construction du nouveau temple en fixant, avec précision, la date de la fin du monde, ou pour être plus précis de la fin d’un monde, le nôtre. Ce sera le 23 janvier 2050, vers 8h du matin (à une heure près du fait de la suppression ou non de l’heure d’hiver…). Pourquoi ?
A cette date là j’aurai exactement 100 ans et j’estime qu’ayant assez vécu, il serait naturel que la page se tourne pour tous. Suis-je en phase avec les travaux scientifiques sur le sujet ? Je le crois. Le premier d’entre eux fut le rapport des Meadows (Donella et Denis) généré par le modèle informatique world3 lui-même fondé sur la toute jeune approche de la dynamique des systèmes du Professeur J. W. Forrester du MIT. La supériorité de l’approche systémique (ou simplement «la systémique») c’est qu’elle permet de modéliser les interactions entre les sous-systémes qui composent notre société, sous-systéme démographique, sous-sytéme agricole, industriel, etc. Pour rendre compte de la complexité, la systémique impose l’appréhension concrète de concepts qui lui sont propres : vision globale, scénario, niveau d’organisation, interaction, rétroaction, régulation, finalité, évolution.
Pour les Meadows c’est en 2030 que la population du globe commence à décliner après un effondrement économique mais il faut attendre encore 20 ans pour que la production industrielle (per capita) soit définitivement déprimée et ramenée à ce qu’elle était au début du siècle (le vingtième, pas le suivant…). Dans ce modèle c’est aussi en 2050 que la nourriture manquera cruellement (après les choses se stabiliseront avec la chute de la population).
Pour ceux d’entre vous qui ne serait pas familiers de la collapsologie, ce premier rapport rendu célèbre par le Club de Rome en 1972 sous le titre « les limites de la croissance » https://fr.wikipedia.org/wiki/Les_Limites_à_la_croissance n’a pas été démenti par les faits et même mieux, il fut refait quarante ans plus tard avec des chiffres actualisés et les résultats ne changent guère…
Donc je maintiens la date du 23 janvier 2050 pour la fin du monde et ce d’autant plus que le Club de Rome et les Meadows n’avaient pas pris en compte les effets du réchauffement climatique et que, si on en croit le GIEC, nous serons à 1,5 degré de réchauffement en 2040 et à partir de là c’est le saut dans l’inconnu. 2 degrés en 2070 pour le GIEC et là c’est vraiment la surchauffe. Je vois venir l’objection, 2070 ce n’est pas 2050 … Mais j’en appelle au grand prêtre de la collapsologie, Pablo Servigne, docteur en biologie et auteur avec Raphaël Stevens de la bible sur le sujet « Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes » (Seuil, 2015). Pablo déclare dans la revue Philosophie Magazine de février 2020 (p 62) : « Depuis trente ans, quand une étude -sur le climat ou le pétrole- propose une fourchette de scénarios, c’est toujours le pire qui se réalise ».
Donc le GIEC prèdit 2070 mais ce sera surement plus rapide, n’oublions pas la fonte du permasol qui vient de débuter dans les grand nord canadien alors qu’elle n’était pas prévue avant quelques années. Or la fonte du permasol va avoir un effet d’accélérateur du réchauffement climatique car elle va s’accompagner de la libération de grandes quantités de gaz carbonique aujourd’hui emprisonné dans le sol.
Je persiste et je signe pour le 23 janvier 2050 et vous invite à me rejoindre ce jour là (à pied ou en vélo) sans oublier de m’apporter un gâteau avec 100 bougies électriques à énergie solaire.»
Jacques IGALENS
Jacques IGALENS est professeur émérite de l’Université de Toulouse Capitole. Il a créé l’AGRH, en 1989, l’ Association de Gestion des Ressources Humaines qui rassemble les chercheurs francophones et qui compte un millier d’adhérents dans le monde. Depuis vingt ans il se consacre à la Responsabilité Sociale de l’Entreprise. Récemment il a créé et coordonné l’OTE, Observatoire de la Transition Environnementale au sein de la FNEGE (Fondation pour l’Enseignement de la Gestion des Entreprises). Il est également le président de l’IAS, Institut International de l’Audit Social.