Le " système " de la retraite " ne fait pas système " !
Un système est " un ensemble vivant d’éléments en relation, arbitrairement limité, hiérarchisé, organisé et finalisé ".
On comprendra aisément qu’une organisation, dont la finalité ne fait pas sens à ses acteurs, dont l’interrelation entre eux est coupée ou difficile et dont les paramètres (telle la référence de l’indexation du point) sont choisis unilatéralement et sans concertation est tout… sauf un système !
Alors, qu’est-ce que c’est ? Et quelles en sont les implications pour sortir de la crise ?
Les leçons de l’histoire…
En 1791, le décret d’Allarde et la Loi Le Chapellier ont signé la fin des corporations. La période était celle de la révolution française. Certains ont associé les textes à la naissance du capitalisme industriel quand la finalité affichée de la loi était d’instaurer un nouvel impôt sur l’activité économique. Ceux qui ont voté la fin des corporations et les opposants demeuraient persuadés que la cellule de travail de type familial restait la forme socialement la mieux fondée de l’activité économique. Selon les historiographes des 20 dernières années, cette alliance provisoire cachait une réalité enfouie, celle que le milieu des métiers ne se renouvelait pas seulement par le biais des transmissions intergénérationnelles mais aussi par les apports exogènes. Et plusieurs indices laissent à penser que la disparition des métiers a été suivie d’un accroissement notable du nombre des acteurs économiques indépendants…
Coïncidence ou paramètres cachés ?
Depuis la loi n° 82-1 153 du 30 décembre 1982 d’orientation des transports intérieurs (LOTI), la SNCF bénéficie d’un statut d’Établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) remise en cause par la commission européenne. Afin d’ouvrir le réseau ferroviaire à la concurrence ce que rendait impossible son statut d’EPIC, le 9 avril 2018, l’assemblée nationale a voté le projet de réforme du statut de la SNCF. À partir du 1er janvier 2020, la SNCF recrutera des salariés sans le statut cheminot.
La RATP est un EPIC crée par la loi du 21 mars 1948, dotée d’une personnalité juridique à laquelle la loi confère le statut de personne morale de droit public. Comme les cheminots, les agents de la RATP sont en majorité des salariés à statut. Cela signifie que, bien qu’étant salariés de droit privé (les litiges avec leur employeur relèvent, par exemple, de la compétence du conseil de prud’hommes), ils bénéficient de clauses dérogatoires du droit commun repris dans un document de près de 120 pages, qui mentionne notamment : les conditions de recrutement et de cessation de fonctions, la rémunération, les congés de toute nature, un certain nombre de droits sociaux et de droits syndicaux ou les garanties disciplinaires.
La présidente de la RATP l’assure : être un Epic, directement sous la tutelle souvent embrouillée de l’État, n’handicape en rien la RATP. Manifestement, elle n’a pas le même point de vue que son homologue Guillaume Pepy, le patron des chemins de fer, lequel plaide pour le passage en société anonyme (SA) afin d’améliorer l’efficacité de son exploitation et transformer le mammouth SNCF en une entreprise moderne et agile.
Alors une question inévitable se pose :
Et si en fait la défense de la retraite par les agents et leurs syndicats, préservait sans le dire leur métier d’une évolution incontournable ? Tel le deuxième round d’un combat dont le premier serait déjà perdu…
Défendre la retraite pour défendre son Métier
Sous l’Ancien Régime , la corporation se définissait comme un organisme social qui regroupait tous les membres d’une profession, de la base au sommet ; un corps de métiers. Aujourd’hui, la corporation désigne un ensemble de personnes exerçant la même profession. Pour exemple, la corporation des médecins.
Qui n’a pas rencontré ces cheminots de " père en fils " ou rentrés par cooptation ? Visité ces villes en proximité des gares de tri SNCF qui restent encore peuplées aujourd’hui majoritairement de familles dont le fils, le père ou le grand-père… ont travaillé pour le réseau ferroviaire. Eu égard à l’importance actuelle de leur personnel et depuis leur création, plusieurs centaines de milliers de personnes se sont engagées à la SNCF et à la RATP selon les valeurs du service public et un statut prédéterminé. Telle une corporation, leur histoire de vie personnelle et professionnelle n’a pas été sans créer une culture forte et pérenne entre les agents. Agents dont les modalités de remplacement et l’évolution du métier, sont aujourd’hui remises en cause sous la contrainte d’une concurrence économique implacable.
Engagée par le traité de Maastricht (1992), puis déclinée dans des directives et règlements sectoriels, la libéralisation des services publics en réseau a conduit en France à la fin progressive des monopoles publics pour devenir des champions nationaux dans un univers livré au marché et mondialisé. Et pour cela, ils ont abandonné leur statut d’établissement public, ils ont ouvert leur capital et ils ont adopté une gestion calquée sur celle des groupes privés. C’est ainsi que les gouvernements successifs, tous inspirés par la même ligne libérale, ont procédé par vagues à des privatisations qui ont successivement touché France Télécoms, Air France, EDF, GDF, Aéroports de Paris. Plus récemment, la Poste (en 2010) et la SNCF (en 2018) ont été transformées en sociétés anonymes, rendant du coup possible la vente en bourse d’une fraction de leur capital.
Ces similitudes nombreuses entre les deux entreprises, SNCF et RATP ont fait dire l’année dernière aux syndicats de la RATP, qu’ils seront " les prochains sur la liste ". " On ne va pas se mentir, dans quelques semaines ce sera notre tour ", estimait en début 2018, Frédéric Le Goff, délégué CGT à la RATP.
Un système de retraite qui ne fait pas système !
Les cheminots n’ont-ils pas d’autres choix que de défendre leur retraite comme prétexte à la défense de leur métier, dans un " système de retraite " qui ne fait pas système avec les autres acteurs concernés par la réforme ? Est-ce pour eux leur seule possibilité pour se rallier à un mouvement général qui fait alliance contre la forme prise par la refonte des retraites ? Quand, sur le fond de la contestation ils sont malmenés, car considérés comme des nantis qui ne veulent pas perdre leurs acquis ?
À une problématique mal posée par l’État, répond une absence d’alliance avec des parties peu ou prou prenantes à la réforme de la retraite. De facto, les paramètres et les moyens convoqués non discutés ensemble, sont remis en cause. Quant à la finalité commune, faute d’alliance initiale, elle n’est pas arrivée à se dégager. Seul un objectif immédiat fait slogan, avoir une retraite qui puisse permettre de vivre décemment. C’est un objectif, pas une finalité sociétale !
Un " système de retraite " en tant que tel, impacterait l’intégralité des parties prenantes des autres "systèmes" concourants, publics ou privés. La raison en est simple, les problématiques sont devenues communes : l’impact du numérique, la logique du parcours compétence à la place de l’évolution de la personne dans son métier ; la non-égalité des rémunérations inter secteurs (pour exemple, le lecteur est invité à mettre en perspective les salaires en début et en fin de carrière des salariés régis respectivement par la convention collective nationale des paysages et par celle des télécommunications); ou, pour ne citer que ces éléments, la prolifération des nouvelles formes d’emploi, externalisation moderne des cœurs de métier qui mène souvent à la précarisation de leurs représentants en cas de vacance d’activité…
Comment une égalité autoproclamée devant la retraite, pourrait-elle prétendre compenser les bases inégalitaires de la rémunération durant la vie active ?
La retraite ne dépendra-t-elle pas de l’évolution des situations de travail, variante motrice et inconnue, ce qui fera la différence dans l’application éventuelle d’un même principe de calcul ?
Plaidoyer pour une écologie sociétale…
Les difficultés rencontrées lors de la mise en œuvre d’un projet gouvernemental dans les différentes strates de l’économie, nuisent à la compréhension par les citoyens des politiques publiques dans leur ensemble. Comment, où, chez qui, retrouver la déclinaison des valeurs républicaines, liberté, égalité et fraternité, actualisées selon les réalités du terrain et questionnées selon leur faisabilité ? Leurs multiples déclinaisons catégorielles, non mises en perspective, ont été réduites pour chaque secteur à des applications qu’ils ont validées, comme si elles étaient universelles. Ainsi on arrive à un paradoxe, à partir des mêmes valeurs de départ, chacun suivant son quant-à-soi, a oublié que pour les autres, le résultat auquel ils étaient arrivés était différent…
Chaque actualisation de la valeur républicaine ne peut exister qu’en la mettant en face-à-face avec le terrain local. Pour exemples contestables (et à contester par les lecteurs engagés à en présenter d’autres plus adaptés selon leur appréciation…) :
La Liberté… de travailler pour chacun questionne le marché de l’emploi ;
L’Égalité… de rémunération à travail équivalent interpelle les conventions collectives et les acquis sociaux ;
Et la Fraternité interroge la prise de conscience de chacun sur le fait que le sort réservé à l’un d’entre eux conditionne directement ou indirectement le sort d’un autre ?
Pour relier ces trois valeurs, un principe d’action sociétale à convoquer pourrait être celui de la responsabilité collective : celle de l’état, de ses institutions, des entités publiques et privées, des individus et de leurs représentants. La durabilité d’un " système qui ferait système " ne peut survivre sans but commun, Roberval de la mesure préalable des impacts de la décision à prendre pour chacun des acteurs. À partir d’une finalité partagée manifeste, impulser la coconstruction d’une alliance par le débat, resterait encore la condition d’un accord éventuel sur les actions à entreprendre.
Favoriser l’écologie des relations dans la congruence d’un projet politique, est-ce une réalité à venir ou un vœu pieux ? C’est en tout cas un plaidoyer pour une écologie sociétale !
Elisabeth Provost Vanhecke