Et si on parlait de sexe ?
Non, n’éloignez pas vos enfants et vous, Messieurs ne commencez pas à fantasmer. Je vous propose seulement de poser une question à laquelle personne ne répond ou ne souhaite répondre : pourquoi les RH sont-elles devenues en quelques années un repaire de filles, et pourquoi les entreprises ne trouvent-elles pas suffisamment de femmes ingénieures ou de femmes informaticiennes ? Dans un monde où certains internautes s’indignent parfois un peu rapidement pour se mettre personnellement en valeur, je tiens à préciser que mon propos ne se veut en rien provocateur, et que je souhaite seulement apporter un éclairage sur un sujet jamais traité dans les articles spécialisés en RH. Merci de garder cela à l’esprit avant de me taxer de sexisme – une attitude que j’ai en horreur – ou de quoi que ce soit d’autre !
On pourrait, en parlant de répartition des sexes dans les professions, préciser que les avocats et les médecins sont déjà passés par cette tendance à la féminisation, et ajouter que les professions financières en prennent également le pli. Pour parodier la chanson : « où sont les hommes » ? Vous ne me direz pas qu’ils sont tous ingénieurs ou informaticiens ! Commerciaux, peut-être ? Sur ces mouvements, il y aurait une thèse à écrire. Alors, contentons-nous seulement d’essayer de comprendre pourquoi les RH se sont autant féminisées.
Cela peut se jouer dès la naissance, voire avant
Il n’est pas nécessaire de s’étendre sur le sujet, mais l’incidence des choix parentaux sur la couleur de la chambre du bébé et les accessoires n’est, déjà, pas innocente. Par la suite, le regard des grands-parents et beaux-parents participe à l’établissement des orientations ultérieures, et le primaire à l’école marque d’une façon indélébile ce qui favorisera la construction des représentations mentales, parties prenantes des perceptions infantiles sur les métiers. Une profession assise ou une profession debout ?
« Tout petit à l’école… »
Les choix des enfants ou leur attrait pour telle ou telle profession ne sont supportés que par l’image parentale, environnementale ou « sociétale ». On veut être vétérinaire pour soigner le chat ou le chien qu’on aime tant, on veut être joueur de foot pour ressembler à son idole, pilote d’avion, mannequin… Ces attirances sont le fruit des histoires qu’on regarde à la télévision, les aboutissements de façonnages par Toys’r Us ou la Grande Récré. Des poupées pour les filles, des voitures et mécanos pour les garçons. Et quoi qu’on en dise, les parents qui surprennent leur fils à jouer à la poupée seront complètement perturbés, même s’ils sont « ouverts d’esprit ».
Ensuite les choses n’évoluent guère : les filles sont-elles motivées par les maths, le prof admettra qu’elles puissent devenir enseignantes…ou entrer dans une « école supérieure de gestion » pour y suivre une filière « compta », ou mieux passer par l’alternance type GEA… En revanche, qu’elles préparent les classes prépa de type maths sup est une toute autre histoire ! Il est vrai que cette piste est encore élitiste et que les parents modestes ne l’envisagent même pas. D’ailleurs, de nombreux articles sur le sujet mettent en évidence une forme d’autocensure de la part des jeunes filles : « non, je n’ai pas ma place dans l’industrie »…
Le choix d’une filière
Après le bac, opter pour une filière ne revient pas encore à choisir un métier. Le plus souvent, c’est le choix d’un dispositif (études courtes ou longues, alternance ou pas…), avec des moteurs qui vont de l’accompagnement d’une copine qui fait la même chose à l’avis « éclairé » des parents, en passant par ces « conseillers d’orientation » qui n’ont généralement jamais mis les pieds en entreprise et qui véhiculent des a priori et des clichés souvent inadéquats. Mais il est vrai, pour pondérer mon propos, que leurs propres directives viennent de beaucoup plus haut. Et je reconnais qu’après avoir lu le texte écrit par Françoise Vouillot, maître de conférence à l’Inetop, en charge de la formation des conseillers d’orientation, j’imagine qu’eux-mêmes supportent, pour ne pas dire portent, le poids sociétal sans grands moyens d’action.
Bac+3, le début des erreurs
Les universités et écoles vont donc recruter, sur les licences pro ou non et sur les filières RH, des étudiantes, et ce pour deux raisons majeures.
D’une part il y a davantage de candidates, en interne d’abord en matchant les DUT et BTS Gestion déjà majoritairement féminins et en absorbant les « erreurs d’orientation annexes ». Les exemples de parcours de ce type sont nombreux : j’ai fait une licence de psycho, mais il n’y a pas de débouchés ; j’ai fait un bac+2 commerce et je n’aime pas vendre ; on m’oriente vers des filières d’ « assistante de gestion »… Quitte à parler d’assistanat, autant parler d’assistante RH !
La seconde raison serait que les niveaux post bac seraient plus faibles chez les garçons que chez les filles, et qu’ils seraient ainsi plus facilement refoulés. Je passe sous silence les écoles qui spécialisent les bacs +3 (recrutement, formation, paie…), mais y inscrivent les jeunes en fonction des places, du nombre et éventuellement des motivations ! Quitte à être dans la provocation, allons plus loin encore. Comment se fait-il que non seulement les filles soient en situation de monopole dans ces filières, mais qu’elles soient en même temps (comme dirait notre Président) majoritairement issues de la « diversité » ? Nous y reviendrons.
M1 et M2
On s’approche du choix final en commençant à envisager un « métier » (généraliste, GPEC, Audit social, contrôle de gestion social, SIRH…). Ce sont les stages, la plupart du temps, qui ont créé l’ouverture, mais force est de constater qu’on est encore entre filles (sauf peut-être pour les M2 nécessitant une compétence linguistique). Si l’on y trouve plus de garçons, ils restent quand même minoritaires. Et puis, les vases communicants se mettent en place : comme dans les facs de droit, mais aussi en psycho, ou en médecine, plus il y a de filles, moins il y a de garçons.
Une approche comportementale différente ?
D’aucuns imaginent que l’attrait d’une profession pour un sexe repose sur les qualités que l’on prête au genre en question. Ainsi ai-je déjà entendu dire que si les femmes se précipitent sur la fonction RH, c’est parce que la correspondance est aisée avec les « soft skills » féminins. Outre le côté éminemment sexiste de ce propos, il me semble que la question est mal posée. Quelles seraient ces qualités nécessaires à la pratique de la fonction RH ? L’empathie, la gentillesse, l’ouverture, la douceur, mais aussi l’absence de calcul, la franchise, l’abnégation ? Je vous assure connaître dans mon environnement professionnel des « manipulatrices perverses narcissiques » capables de concurrencer leur propre patron mâle présentant le même profil. Ainsi, il y aurait les « Bad DRH boy » et les « good DRH girl » ? Un grand n’importe quoi, non ? Bien que notre réflexion pousse à la généralisation, il n’est guère envisageable d’imaginer une structuration de l’exercice du métier par les qualités managériales supposées intrinsèques ou endogènes… En revanche, que la « curiosité intellectuelle » et la capacité à mixer l’orientation quantitative et chiffrable à l’ouverture humaine, soient déterminantes, ça peut-être ! Mais qui peut dire que ces qualités ou aptitudes sont l’apanage d’un sexe ou de l’autre ?
De même, la « carrière » est un pôle d’attractivité de moins en moins sexué. Si, voici quelques années, les filles osaient moins (généralement en prenant en compte leurs carences, alors que les hommes en faisaient fi…) il me semble aujourd’hui que les cartes sont mieux distribuées. Les « radicales » diront que non, et il est vrai vrai que le plafond de verre est loin d’avoir été détruit… sauf peut-être dans les RH. On peut donc, légitimement, se demander pourquoi.
Un problème sociétal pour lequel on demande à l’entreprise de trouver des solutions
En fait, il me semble que l’explication est moins valorisante que souhaité : la filière RH démarre par un positionnement d’assistante : nos « secrétaires de direction des années 70 », de la même façon que l’on parle d’assistantes commerciales ! C’est bien, pour les filles, non ? Et, comme on est dans l’exécution et non dans le « pouvoir », on peut même permettre à des jeunes femmes issues de la diversité de s’y engager. Pour favoriser ces recrutements en école ou à l’université, on va exploiter les visions « dépassées » de la fonction : les approches comptables, les approches logistiques (recrutement, formation) ou encore les approches « Excell » (contrôle de gestion sociale)… J’ai beau chercher, où sont les « datas analystes RH », les « négociatrices sociales », les « développeuses du capital humain » ? Comme on mélange allégrement les genres (sans jeux de mots), on fera passer la pilule à grand renfort de « bonheur au travail » ou encore de « remettre l’homme au centre »…
Seulement voilà : les assistantes, prises dans le flux tsunamien, en veulent plus… Démographie oblige, elles commencent à accéder aux postes de direction. Illusion ? Pas pour les plus acharnées d’entre elles, mais pour le plus grand nombre, je ne peux m’empêcher de comparer le rapport relationnel de ces « DRHes » avec leurs N+1 avec celui qui présidait à la relation entre les DRH mâles et leur hiérarchie. Que penser de ce DG qui, après deux appels téléphoniques (fixe et mobile), déboule comme une furie dans le bureau de sa DRH en entretien et « sans frapper et sans égard pour le visiteur » lui hurle : « pourquoi tu ne réponds pas » ? Et je ne parle pas de ces dizaines de DRH qui ne peuvent sortir de l’entreprise sans justification. Jeune DRH, jamais mon N+1 n’aurait imaginé m’obliger à lui remonter mon emploi du temps ! Les temps changent…
En outre, les injonctions de lutte contre les discriminations portent leurs fruits. Il faut des postes pour intégrer les filles et leur permettre de faire carrière, et comme elles ne se précipitent pas sur les postes techniques ou numériques….
Enfin, et c’est loin d’être exhaustif, les filles ont tendance à privilégier, au-delà des fonctions, l’orientation par les filières. Comme l’explique Jean Marie Peretti, on les retrouve en situation majoritaire aussi dans l’économie sociale et solidaire, alors que les salaires y sont moindres qu’ailleurs… Ce n’est peut-être pas innocent. Un industriel de la robotique me signalait qu’il n’avait commencé à recevoir des candidatures d’ingénieures femmes qu’après avoir expliqué que ses applications se situaient dans l’environnement médical. RH, social, humain, service : si ce n’est pas une série de stéréotypes, qu’est-ce que c’est ?
Les risques de laisser perdurer cette situation ?
Quel est le portrait-robot du professionnel de la fonction RH ? D’après le 5ème baromètre RH réalisé par Bodet Software et l’ESSCA (école de management basé à Paris et Angers), c’est une femme, de moins de quarante ans, dotée d’une formation Bac+5.
Dans le détail, ce baromètre note en effet une forte féminisation de la profession avec 63% de femmes parmi les 684 acteurs des ressources humaines interrogés. Une profession plutôt jeune également, puisque 44% ont moins de 40 ans et un niveau de formation assez élevé : 52% des professionnels des RH sont ainsi titulaires d’un diplôme de niveau Bac+5 et 25% d’un Bac+3.
Je vais croire que la sélection « naturelle » va permettre aux femmes d’exploser le plafond de verre. Mais à une condition : considérer sa promotion comme une juste reconnaissance, et non une faveur. Et, à la réflexion, à une seconde condition : ne pas essayer de singer les hommes dans une telle situation. Ne pas « genrer » la fonction serait un service à rendre à la fonction… Dès lors, le travail d’émancipation sera celui de la reconnaissance du rôle du DRH, et non de son sexe. À l’époque du «RH bashing», interrogez-vous sur le fait d’avoir considéré que la « salope » du film « Corporate » était la RRH et non (alors que son rôle était encore plus toxique) son N+1, un homme joué par Lambert Wilson. Quitte à faire de la récupération facile, mais pourquoi s’en priver, l’avenir de la femme en RH est lié à la valorisation de la fonction par la charte de déontologie de la fonction RH, n’est-ce pas François Geuze ?
Le débat sur la féminisation est presque aussi important que la féminisation elle-même. Lors des discussions sur le même thème, mais à propos des professions juridiques (en particulier celle de magistrat), les risques identifiés étaient le laxisme et l’approche sociale de la justice, ce qui en disait long sur les idées masquées. Mais n’est-ce pas ce que nous sommes en train de faire avec les RH ? On en oublierait presque qu’il y a quelques décennies la fonction « personnel » était garantie 100% testostérone et, qui plus est, souvent militaire.
Et les ingénieures ?
La « bonne pratique » est celle qui consiste à apporter un angle de vision différent de celui porté par la société et la famille auprès des jeunes filles, et dès la classe de 3e. L’expérience d’Orange est à mettre en valeur. Il convient d’y associer les femmes ingénieures à travers le shadowing. Le principe de l’action shadowing est le suivant : des collégiennes et des lycéennes suivent des femmes ingénieures durant une journée de travail en entreprise afin de se projeter dans une carrière scientifique. Cette action a été lancée en 2009 et se poursuit depuis. Le 3 mars dernier, Orange a signé à Bruxelles un Code des bonnes pratiques, qui contient un ensemble de bonnes résolutions destinées à inciter les femmes scientifiques à faire carrière dans le secteur des technologies de l’information et des communications (« European Code of Best Practices for Women and ICT »). Un pas de plus vers l’égalité hommes/femmes dans ce groupe où ces dernières représentent 11 % du personnel des métiers du réseau, 22 % de celui de l’informatique et 25 % de celui de l’innovation.
« Les jeunes femmes qui ont suivi des études d’ingénieur préfèrent en général s’orienter vers d’autres secteurs que celui des NTIC. Pourtant, c’est celui qui offre le plus de débouchés et dans lequel l’écart salarial entre les hommes et les femmes est le moins important », assurait il y a quelque temps déjà Laurent Depond, directeur de la diversité du groupe Orange. Le nerf de la guerre est donc bel et bien de combattre les préjugés, le plus tôt possible, autrement dit dès le collège et le lycée.
Les femmes sont certainement les mieux placées pour agir !
Une amie, en charge des programmes « exécutive éducation » au sein de l’Institut Mines Télécom, me disait récemment ceci :
« C’est difficile pour une femme d’aller dans un environnement d’homme (l’inverse est sans doute vrai aussi, mais on l’observe avec beaucoup plus de bienveillance…) => du coup, la “démarche pionnier” rend le changement encore un peu plus difficile.
La pionnière est BEAUCOUP plus observée évidemment et de façon inéquitable (en politique – cf. dans la campagne de N. Sarkozy on parlait de Sarko & Ségo : pourquoi pour l’un le nom et pour l’autre le prénom ?). Dans les médias, quel que soit le rôle de la femme, on observera sa tenue ou son look ou son physique (la seule qui a déminé le système, c’est Angela Merkel qui a le même look depuis 12 ans) Dans l’entreprise, la femme qui perce est forcément excessive : son comportement est ENCORE un peu plus ambitieux, et donc, les critiques qui peuvent lui être faites, sont bien souvent justifiées… Si bien que la pionnière peut être vue comme une “peste” – parce que son comportement est excessif – y compris par ses congénères…. Dès lors, cela oblige à s’interroger aussi sur la responsabilité des femmes : elles intériorisent les interdictions sociétales, culturelles, éducatives…. (Je n’aime pas réclamer une augmentation…) »
Effectivement, lorsque l’expérience d’aller visiter les classes de 3e fonctionne, c’est avant tout parce que ce sont les femmes elles-mêmes qui opèrent la démarche et sont les seules légitimes pour contrecarrer, s’il le faut, le discours d’une autre femme, à savoir la mère.
Oui, c’est bel et bien la société et ses différentes composantes qui façonnent ces flux sexués dans l’entreprise, et c’est à elle qu’on demande de régler le problème. À moins qu’elle n’y trouve, elle aussi, son compte ?
Article paru sur le site Focus RH en septembre 2017, André Perret