« De toute façon, c’est bien connu, les femmes travaillent moins que les hommes. Elles sont moins impliquées dans leur boulot, mais c’est normal, elles ont tellement de choses en tête : les enfants, le ménage, les courses… » « On ne va quand même pas recruter une trentenaire ? Elle va nous faire un bébé dans l’année, et hop, congé maternité, puis départ tous les soirs à 17h sans compter les absences pour s’occuper des enfants malades ! » « Oui elle gagne moins que son homologue masculin. Mais c’est normal, elle a moins de potentiel, et puis de toute façon en tant que femme elle n’atteindra jamais un poste de direction. »
Ces clichés ont la vie dure, j’ai l’impression de les avoir toujours entendus et, bien plus inquiétant, de ne pas percevoir d’évolution sur ce sujet, en particulier dans les médias. En tout cas, je n’en percevais pas, mais les choses changent progressivement et je suis d’avis que la Qualité de Vie au Travail n’est pas étrangère à cet embellissement.
Je souhaite partager avec vous ma vision des choses ainsi que mon expérience en tant que DRH « obsédée par la Qualité de Vie au Travail » sur cette question.
Ne mélange-t-on pas des choux et des carottes ?
Les RH adorent les modes. Ils (enfin nous, enfin les RH) s’engouffrent régulièrement dans une nouvelle brèche, la surexploitent, la dénaturent, l’épuisent, se lassent puis courent de façon tout aussi effrénée vers leur nouvelle marotte. On a vu ainsi ces dernières années toute la profession partir à l’assaut, en vrac, du big data qui devait révolutionner le métier des RH, de l’agilité, de l’entreprise libérée, des chatbots, et j’en passe. La QVT ne fait pas exception, et comme pour chacun des autres sujets en vogue, on finit par ne plus comprendre de quoi il s’agit réellement tant le concept a perdu de sa substance.
Parler de Qualité de Vie au Travail revient en fin de compte à se recentrer sur la composante essentielle des Ressources Humaines. Cela consiste en effet à placer les hommes et les femmes au cœur des préoccupations (et non pas les processus ou les questions juridiques par exemple) et pousse à se poser des questions essentielles autour du sens donné au travail, des conditions d’exécution de celui-ci, de la santé et de la sécurité, et de l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle notamment. Evoquer la QVT n’est donc pas seulement une mode, un concept qu’il faut absolument évoquer pour être lu en 2018 (même si on peut avoir cette impression en lisant de nombreux articles récents), c’est un retour aux fondamentaux de la profession.
Le sujet de la QVT est complexe et protéiforme, il recoupe plusieurs domaines des Ressources Humaines (formation, gestion des compétences, organisation du travail, management…). De plus, mesurer les résultats d’une politique de QVT au sein d’une entreprise pose la double difficulté de la mise en place de nombreux indicateurs, dont certains qualitatifs, d’une part, et d’autre part, de devoir souvent attendre plusieurs mois voire années pour être en mesure d’apprécier des effets. Car non, adresser la QVT ne vous permettra pas de multiplier la croissance de votre entreprise par 2,3 dès la première année ni d’augmenter de 28% le taux d’engagement de vos salariés, contrairement à ce que certains veulent nous faire croire !
Dès lors, est-il raisonnable de penser et d’écrire que la Qualité de Vie au Travail peut avoir des répercussions sur le travail des femmes, à court et moyen terme ? Je suis persuadée que oui ! Car nous parlons de véritables mutations, de changements profonds des mentalités en entreprise qui peuvent radicalement faire évoluer le débat en l’abordant sous un nouvel angle.
En quoi la QVT permet de reposer les termes du débat
L’espoir réside dans le fait que s’intéresser à la Qualité de Vie au Travail conduit nécessairement à l’acceptation d’une plus grande diversité dans l’entreprise, sous toutes ses formes, ce qui permet de faire bouger les lignes et de ne plus s’arrêter à des clichés ou des présupposés.
Concrètement, un des facteurs importants de la QVT est de proposer aux salariés d’établir un meilleur équilibre entre leur vie privée et leur vie professionnelle. Il s’agit de mettre en place différents dispositifs pour permettre à chacun de moduler son organisation en fonction de ses souhaits et de ses contraintes. Hommes ou femmes, contraintes familiales ou toute autre.
Ainsi, dans ma société résolument engagée dans la voie de la QVT (question de cohérence de la part de la DRH que je suis), les demandes de passage à temps partiel se multiplient. Il faut dire que ce type d’organisation est tout à fait accepté en interne et que plusieurs membres de la Direction – tous des hommes - ont fait le choix de réduire leur activité. Plusieurs points sont intéressants dans cet exemple : premièrement, les raisons pour lesquelles les personnes concernées ont souhaité passer à temps partiel sont le souhait de passer plus de temps avec ses enfants dans la moitié des cas seulement, et pour les autres on parle de choix personnels, de loisirs, de projets divers, d’envie d’avoir du temps pour soi ou avec son conjoint. Deuxièmement, le fait que des membres de la Direction aient fait ce choix le banalise, et nombreux sont ceux qui en font la demande, sachant que cela sera accueilli avec bienveillance par l’entreprise et, très probablement, accepté. Troisièmement, on parle principalement d’hommes. L’imagine traditionnelle « temps partiel = 4/5e = mère de famille = absence le mercredi » ne correspond plus à la réalité de l’entreprise, les formes de temps partiel se multiplient (60%, 80%, temps partiel pour raisons familiales…) et deviennent une réalité ordinaire au sein de l’organisation.
Il en va de même pour la flexibilité des horaires de travail : bien sûr, les parents profitent de cette souplesse qui les aide dans leur organisation, mais c’est aussi le cas des personnes pratiquant un sport ou un loisir, ou de salariés qui souhaitent éviter les heures de pointe dans les transports par exemple. Ainsi, des hommes comme des femmes, de tous âges, adaptent leurs horaires et il ne vient à l’idée de personne de montrer du doigt un salarié partant un peu plus tôt que ses collègues ni de lui coller l’étiquette de celui/celle-qui-va-chercher-ses-enfants.
La banalisation de ces choix ne permet plus de prédire quel(le) salarié(e) demandera une adaptation de son temps de travail, et c’est en cela que cette flexibilité est un atout pour parvenir à l’égalité de traitement entre les hommes et les femmes. Le prolongement de la durée du congé de paternité que je souhaite vivement va dans le même sens : avec un congé de paternité de la même durée que le congé de maternité, hommes et femmes seront logés à la même enseigne et représenteront le même « risque » d’absence en cas de naissance, de quoi renforcer encore l’égalité de traitement. Inutile dès lors d’écarter un CV sous prétexte qu’il s’agit d’une femme ayant la trentaine…
Quels autres apports de la QVT dans la lutte contre les inégalités ?
Prôner la Qualité de Vie au Travail c’est également s’efforcer de proposer des évolutions professionnelles riches et épanouissantes à ses salariés, les aider à développer leurs compétences et à créer leur propre parcours. On s’extrait d’une vision à l’ancienne très sclérosée qui voulait qu’un salarié reste à son poste ou évolue de façon uniquement verticale, avec toujours plus de responsabilités et de management, pour adopter un point de vue beaucoup plus ouvert et créatif.
La Gestion de Carrière consiste alors à se focaliser sur les compétences, acquises et à acquérir, ce qui ouvre considérablement le champ des possibles. En mettant en place des matrices de compétences, en évaluant les collaborateurs avec une réelle et pleine objectivité, on peut sortir des carcans et identifier des opportunités qui n’auraient pas été envisagées sans cette approche ouverte et des outils adaptés. S’efforcer de permettre à chacun d’évoluer dans l’organisation, en mettant au service du projet commun les meilleures compétences, c’est ouvrir de nombreuses portes qui pouvaient être fermées aux femmes jusqu’alors, mais aussi aux personnes peu diplômées par exemple. De même, le raccourci facile qui nous fait dire que certains métiers sont plus adaptés aux hommes et d’autres aux femmes peut être remis en question si on s’appuie sur une approche différente, fondée sur les compétences, et loin de tout parti pris.
Un autre aspect de la Qualité de Vie au Travail que l’on peut évoquer est la notion de services que l’entreprise propose à ses collaborateurs. Certaines mettent à disposition par exemple des places en crèches pour les jeunes enfants de leurs salariés, des services de conciergerie ou des CESU. Si ces avantages sont généralisés dans les plus grandes entreprises depuis des années grâce à l’action des Comités d’Entreprise notamment, leur présence, plus timide dans les PME et TPE, tend à se développer, par souci du bien-être des salariés ou pour se démarquer de ses concurrents dans le cadre du recrutement, voire pour céder à une injonction qui voudrait que ces services fassent partie du package de base de toute société moderne. Si on peut discuter les motivations des entreprises qui les proposent, il est certain que le déploiement de ces services apporte un soutien évident à tous les collaborateurs concernés, sans distinction, notamment de sexe, ce qui permet à chacun de mieux gérer ses contraintes personnelles et d’être de fait moins impacté dans son activité professionnelle par, par exemple, la garde des enfants. En outre, si l’employeur de monsieur propose des services qui ne sont pas mis à disposition par l’entreprise de madame, l’homme peut se voir dès lors investi de missions traditionnellement dévolues aux femmes, typiquement déposer son enfant à la crèche et/ou aller le chercher le soir. Les mentalités d’une entreprise dont les membres, quel que soit le sexe, se préoccupent de ces questions ne peuvent qu’évoluer et les présupposés sexistes se réduire.
Autre sujet porté par la Qualité de Vie au Travail, l’aménagement des locaux. L’importance que revêt l’environnement de travail n’est plus à démontrer, et nombreuses sont les entreprises qui investissent dans des équipements et du mobilier adaptés, fonctionnels et parfois design, ainsi que dans la décoration. Mais une société qui a pleinement intégré les principes de la Qualité de Vie au Travail sera également attentive au fait que ses installations sont adaptées à l’ensemble de ses collaborateurs : mobilier spécifique pour les personnes en situation de handicap, possibilité de travailler dans des environnements plus ou moins ouverts, plus ou moins bruyants, plus ou moins détendus, plus ou moins collaboratifs… chacun pouvant ainsi trouver sa place. D’une manière plus générale, l’ensemble des éléments proposés par l’entreprise, par exemple des activités de loisir s’il y a lieu et si cela a du sens, doit être suffisamment vaste pour n’exclure personne, voire pour favoriser l’inclusion. Et c’est en traitant tous les collaborateurs sur un pied d’égalité, en ne marquant pas de différence, en permettant à chacun d’être soi-même dans la diversité que les inégalités de traitement s’estomperont irrémédiablement.
En tant que partisane de la Qualité de Vie au Travail, et en tant que femme, je suis convaincue que la QVT permettra (et permet déjà) de faire évoluer la situation du travail des femmes, mais pas seulement : c’est la diversité dans son ensemble qui est adressée. Chaque salarié est invité à trouver son équilibre en fonction de ses souhaits, contraintes et aspirations, tous étant accueillis avec respect et compréhension.
Aude AMARRURTU est une jeune DRH... Son intérêt pour les RH se manifeste dès le début de ses études et la conduit à effectuer un apprentissage de deux ans dans ce domaine chez L’Oréal. En 2011, elle intègre une jeune société de service informatique pour créer la Direction RH & Communication, et c’est dans ce cadre qu’elle met l’accent dans son activité sur la Qualité de Vie au Travail et l’individualisation de l’expérience collaborateur. Depuis 2015 elle est DRH d’ITELIOS et a rebaptisé son poste Head of People & Culture Development pour refléter les priorités de la fonction : les personnes, les équipes et la culture d’entreprise.