François Silva : Plus de 35 ans plus tard, la loi Roudy constitue toujours la référence sur l’égalité Professionnelle. Comment expliques–tu que cette loi soit toujours d’actualité ?
Yvette Roudy : Attention une loi aussi bien faite soit elle, n’est pas suffisante. Et ici au demeurant, il fallait que les acteurs sociaux s’en emparent. Ainsi dans la loi de 1983, pour qu’une égalité professionnelle se développe, je souhaitais que les partenaires sociaux en fassent un élément stratégique dans leur négociation, et ce, sur la durée. Un élément simple mais vraiment majeur de cette loi correspondait à l’établissement d’un rapport régulier sur la place des hommes et des femmes dans les différents postes, fonctions et métiers de chaque entreprise. Mais surtout l’entreprise devait proposer des mesures correctives pour améliorer la place des femmes. Ce ne fut pas le cas malheureusement.
FS : Je ne suis pas certain aujourd’hui que la loi Roudy soit vraiment connue. Quels en sont les éléments majeurs ?
YR : tu as raison, reprenons ses grands principes. Comme je viens de le dire, cette loi a institué l’obligation pour les entreprises de produire un rapport annuel sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. L’objet du rapport était de formaliser et de quantifier les inégalités professionnelles. Elaboré par le chef d’entreprise et transmis pour avis au comité d’entreprise, ce rapport devait constituer un outil de diagnostic afin d’analyser la situation respective des femmes et des hommes dans l’entreprise puis de définir les actions susceptibles de supprimer les écarts de situation.
Enfin, la loi complète l’égalité de traitement par la notion d’égalité des chances. Cette dernière notion impliquait que des actions spécifiques devaient être engagées envers les femmes pour garantir une égalité réelle. Ces actions « positives » devaient reposer sur des pratiques discriminatoires en faveur des femmes. Ainsi, la législation américaine permet de remettre en question ce principe républicain à la française pour favoriser des groupes discriminés de fait. C’était sur ce principe que la loi Roudy prévoyait la possibilité de mettre en place des mesures ponctuelles au seul bénéfice des femmes pour établir l’égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent ces dernières.
FS : Cette loi aurait dû faire bouger le monde du travail vers une égalité professionnelle ?
YR : en fait les partenaires sociaux, représentants syndicaux comme employeurs dans les grands groupes ont signés des accords. Ils ont alors fait des bilans. La plupart ont décidés quelques mesurettes pour améliorer l’égalité professionnelle mais les entreprises ne sont pas allées plus loin. Pour ceux qui ont mis en place des mesures, peu ou pas de suivi, c’est à dire pas d’analyse critiques sur les conséquences de ce qui a bien fonctionné et pas de réflexion sur les questions nouvelles pour atteindre une égalité professionnelle ? En trente ans, combien d’actions auraient pu être mises en place ? Combien auraient pu être analysées ? Puis ensuite combien d’autres ont pu être développées, abandonnées ou modifiées ? Se limiter au ratio Homme/Femme n’est pas sérieux car la vraie question n’est pas savoir si les femmes travaillent autant que les hommes. C’est le cas à quelques pourcentages prés mais le problème est qu’elles restent confinées majoritairement à des postes et à des fonctions d’exécution. L’égalité professionnelle reste toujours un combat. Et je ne vois pas le gouvernement actuel en tirer les conséquences et faire quelques propositions.
FS : C’est ce plafond de verre si souvent dénoncé qui font que les femmes n’accèdent pas à des postes de responsabilité. Elles sont passées de secrétaire à assistante. Mais l’encadrement reste toujours masculin
YR : En effet, une loi a ses vertus et ses limites dans ce pays, comme ailleurs, car une société ne se change pas seulement par décret. La question culturelle est lourde à bouger. Quelle est la place de la femme dans le couple encore aujourd’hui ? Elle doit continuer à effectuer sa deuxième journée de travail à la maison. La femme s’occupe de la vie du foyer, de la gestion quotidienne des enfants aux travaux ménagers. Elle a un rôle central permettant ainsi à monsieur de pouvoir consacrer plus de temps à sa vie professionnelle. Ainsi, en 2013, une initiative de la Ministre du Droit des femmes à cette époque, Najat Vallaud-Belkacem, avait abordé cette question de l'égalité réelle entre hommes et femmes dans le milieu professionnel, mais également des conséquences dans la vie personnelle. En effet, plus que par un cadre légal, le plafond de verre ne pourra se briser sans une évolution des mentalités. C’est un long travail culturel qui passe par des réunions qui se terminent trop tard, pas compatible avec la vie de famille.
Quand j’ai commencé à m’engager politiquement à la fin des années 60, le monde professionnel était celui des hommes. Les femmes étaient au mieux des secrétaires, car leur place « naturelle » était de rester à la maison. Ce fut la remise en question de ce statut de femme au foyer pour toutes ces jeunes femmes qui recherchaient à se construire un début d’autonomie en travaillant. Les femmes prenaient une place nouvelle dans la société. C’est en 1965, qu’une femme peut ouvrir seule un compte bancaire sans en référer à son mari, c’est en 1970 que la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale. Ainsi, dans le couple, l’homme et la femme commence, à cette époque-là, à apprendre à vivre dans son couple dans une relation d’égalité avec son partenaire, c’est à dire de développer un dialogue entre eux. Le chef de famille disparait au bénéfice d’une autorité partagée par les deux parents. Le couple commence ainsi depuis les années 70 à fonctionner dans une relation que nous pourrions qualifier de démocratique mettant ainsi en question des millénaires d’oppression de la femme (et des enfants). C’est Engels qui disait que la femme était le prolétaire de l’homme. La remise en question d’une telle situation ne se fait pas facilement car ce sont des habitudes et des comportements fortement ancrés chez chacun d’entre nous.
FS : C’est une notion nouvelle qui est apparu dans les relations homme/femme. C’est une volonté d’égalité qui passe non pas par des droits nouveaux car on ne va pas légiférer le quotidien des couples. Mais ne faut-il que dans chacun d’entre eux se développe de nouvelles pratiques égalitaires dans leurs activités, en premier lieu familiales ?
YR : Effectivement, tout cela renvoie aux mécanismes culturels. Notre société véhicule des stéréotypes, notamment une sourde résistance des mentalités au changement de statut de la femme dans un champ majoritairement investi par les hommes qui détiennent le pouvoir et appliquent les normes sociales. Ainsi, le milieu professionnel véhicule des préjugés culturels implicitement associés aux hommes selon lesquels les hommes seraient plus compétents pour exercer le pouvoir porté par de l’ambition et à être plus compétitifs.
C’est pourquoi, dans mon ministère en parallèle nous avions commencé à mener un combat pour que l’éducation et la culture, tout autant que les médias contribuent à façonner dès l’enfance des représentations sociales ne reproduisant plus les stéréotypes sociaux de femmes soumises et n’ayant pas de modèles féminins amenant les femmes à opter pour des types d’études moins performants. Certes, les femmes ont des interruptions de carrière pour assurer l’enfantement, comme elles peuvent refuser des postes à responsabilité pour concilier leur vie personnelle car aujourd’hui encore, l’entreprise valorise la disponibilité de ses salariés comme critère d’évolution de leur carrière. Le jour où ce ne sera plus le cas, l’égalité professionnelle progressera véritablement.
FS : C’est un grand chantier qui reste véritablement à ouvrir même si les jeunes générations sont sensibles à la remise en question des schémas comportementaux portés par chacun et reproduisant les inégalités. Mais ne faudrait-il pas aussi porter le combat de l’égalité professionnelle de l’entreprise vers les activités privées des salariés qui restent encore fortement sexuées ?
YR : : Attention, c’est illusoire de croire que l’égalité professionnelle dans l’entreprise est maintenant gagnée car la situation des femmes sur le marché de l’emploi reste beaucoup plus fragile que celle des hommes : les femmes travaillent plus souvent à temps partiel, occupent le plus souvent des emplois à bas salaires et, quand elles parviennent à accéder aux professions supérieures, les femmes continuent à se heurter à un plafond de verre qui leur interdit les fonctions dirigeantes. Ainsi, les entreprises françaises comptent environ 17% de dirigeants de sexe féminin, avec des écarts suivant la nature de l’activité puisqu’elles ne sont que 7% dans la construction et 20% dans les services. L’accès des femmes aux postes de décision semble d’ailleurs se réduire avec l’augmentation de la taille et le chiffre d’affaires des sociétés concernées. Tout comme, dans le secteur public, si les femmes représentent 58% des emplois de la fonction publique ‘d’État, territoriale et hospitalière) mais elles ne sont que 12% dans des fonctions de direction. Certes dans ces cinquante dernières années, l’égalité homme-Femme a progressé, il y a des acquis. Mais tout reste bien fragile. Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’un ordre moral réactionnaire au vrai sens étymologique de retour en arrière, recherche « naturellement » à renvoyer les femmes au foyer. Les jeunes générations, et les jeunes femmes en premier lieu, doivent rester vigilantes et mobilisées en ayant conscience que l’égalité professionnelle est loin d’être réalisée.
Yvette Roudy : Attention une loi aussi bien faite soit elle, n’est pas suffisante. Et ici au demeurant, il fallait que les acteurs sociaux s’en emparent. Ainsi dans la loi de 1983, pour qu’une égalité professionnelle se développe, je souhaitais que les partenaires sociaux en fassent un élément stratégique dans leur négociation, et ce, sur la durée. Un élément simple mais vraiment majeur de cette loi correspondait à l’établissement d’un rapport régulier sur la place des hommes et des femmes dans les différents postes, fonctions et métiers de chaque entreprise. Mais surtout l’entreprise devait proposer des mesures correctives pour améliorer la place des femmes. Ce ne fut pas le cas malheureusement.
FS : Je ne suis pas certain aujourd’hui que la loi Roudy soit vraiment connue. Quels en sont les éléments majeurs ?
YR : tu as raison, reprenons ses grands principes. Comme je viens de le dire, cette loi a institué l’obligation pour les entreprises de produire un rapport annuel sur la situation comparée des femmes et des hommes dans l’entreprise. L’objet du rapport était de formaliser et de quantifier les inégalités professionnelles. Elaboré par le chef d’entreprise et transmis pour avis au comité d’entreprise, ce rapport devait constituer un outil de diagnostic afin d’analyser la situation respective des femmes et des hommes dans l’entreprise puis de définir les actions susceptibles de supprimer les écarts de situation.
Enfin, la loi complète l’égalité de traitement par la notion d’égalité des chances. Cette dernière notion impliquait que des actions spécifiques devaient être engagées envers les femmes pour garantir une égalité réelle. Ces actions « positives » devaient reposer sur des pratiques discriminatoires en faveur des femmes. Ainsi, la législation américaine permet de remettre en question ce principe républicain à la française pour favoriser des groupes discriminés de fait. C’était sur ce principe que la loi Roudy prévoyait la possibilité de mettre en place des mesures ponctuelles au seul bénéfice des femmes pour établir l’égalité des chances entre hommes et femmes, en particulier en remédiant aux inégalités de fait qui affectent ces dernières.
FS : Cette loi aurait dû faire bouger le monde du travail vers une égalité professionnelle ?
YR : en fait les partenaires sociaux, représentants syndicaux comme employeurs dans les grands groupes ont signés des accords. Ils ont alors fait des bilans. La plupart ont décidés quelques mesurettes pour améliorer l’égalité professionnelle mais les entreprises ne sont pas allées plus loin. Pour ceux qui ont mis en place des mesures, peu ou pas de suivi, c’est à dire pas d’analyse critiques sur les conséquences de ce qui a bien fonctionné et pas de réflexion sur les questions nouvelles pour atteindre une égalité professionnelle ? En trente ans, combien d’actions auraient pu être mises en place ? Combien auraient pu être analysées ? Puis ensuite combien d’autres ont pu être développées, abandonnées ou modifiées ? Se limiter au ratio Homme/Femme n’est pas sérieux car la vraie question n’est pas savoir si les femmes travaillent autant que les hommes. C’est le cas à quelques pourcentages prés mais le problème est qu’elles restent confinées majoritairement à des postes et à des fonctions d’exécution. L’égalité professionnelle reste toujours un combat. Et je ne vois pas le gouvernement actuel en tirer les conséquences et faire quelques propositions.
FS : C’est ce plafond de verre si souvent dénoncé qui font que les femmes n’accèdent pas à des postes de responsabilité. Elles sont passées de secrétaire à assistante. Mais l’encadrement reste toujours masculin
YR : En effet, une loi a ses vertus et ses limites dans ce pays, comme ailleurs, car une société ne se change pas seulement par décret. La question culturelle est lourde à bouger. Quelle est la place de la femme dans le couple encore aujourd’hui ? Elle doit continuer à effectuer sa deuxième journée de travail à la maison. La femme s’occupe de la vie du foyer, de la gestion quotidienne des enfants aux travaux ménagers. Elle a un rôle central permettant ainsi à monsieur de pouvoir consacrer plus de temps à sa vie professionnelle. Ainsi, en 2013, une initiative de la Ministre du Droit des femmes à cette époque, Najat Vallaud-Belkacem, avait abordé cette question de l'égalité réelle entre hommes et femmes dans le milieu professionnel, mais également des conséquences dans la vie personnelle. En effet, plus que par un cadre légal, le plafond de verre ne pourra se briser sans une évolution des mentalités. C’est un long travail culturel qui passe par des réunions qui se terminent trop tard, pas compatible avec la vie de famille.
Quand j’ai commencé à m’engager politiquement à la fin des années 60, le monde professionnel était celui des hommes. Les femmes étaient au mieux des secrétaires, car leur place « naturelle » était de rester à la maison. Ce fut la remise en question de ce statut de femme au foyer pour toutes ces jeunes femmes qui recherchaient à se construire un début d’autonomie en travaillant. Les femmes prenaient une place nouvelle dans la société. C’est en 1965, qu’une femme peut ouvrir seule un compte bancaire sans en référer à son mari, c’est en 1970 que la puissance paternelle est remplacée par l’autorité parentale. Ainsi, dans le couple, l’homme et la femme commence, à cette époque-là, à apprendre à vivre dans son couple dans une relation d’égalité avec son partenaire, c’est à dire de développer un dialogue entre eux. Le chef de famille disparait au bénéfice d’une autorité partagée par les deux parents. Le couple commence ainsi depuis les années 70 à fonctionner dans une relation que nous pourrions qualifier de démocratique mettant ainsi en question des millénaires d’oppression de la femme (et des enfants). C’est Engels qui disait que la femme était le prolétaire de l’homme. La remise en question d’une telle situation ne se fait pas facilement car ce sont des habitudes et des comportements fortement ancrés chez chacun d’entre nous.
FS : C’est une notion nouvelle qui est apparu dans les relations homme/femme. C’est une volonté d’égalité qui passe non pas par des droits nouveaux car on ne va pas légiférer le quotidien des couples. Mais ne faut-il que dans chacun d’entre eux se développe de nouvelles pratiques égalitaires dans leurs activités, en premier lieu familiales ?
YR : Effectivement, tout cela renvoie aux mécanismes culturels. Notre société véhicule des stéréotypes, notamment une sourde résistance des mentalités au changement de statut de la femme dans un champ majoritairement investi par les hommes qui détiennent le pouvoir et appliquent les normes sociales. Ainsi, le milieu professionnel véhicule des préjugés culturels implicitement associés aux hommes selon lesquels les hommes seraient plus compétents pour exercer le pouvoir porté par de l’ambition et à être plus compétitifs.
C’est pourquoi, dans mon ministère en parallèle nous avions commencé à mener un combat pour que l’éducation et la culture, tout autant que les médias contribuent à façonner dès l’enfance des représentations sociales ne reproduisant plus les stéréotypes sociaux de femmes soumises et n’ayant pas de modèles féminins amenant les femmes à opter pour des types d’études moins performants. Certes, les femmes ont des interruptions de carrière pour assurer l’enfantement, comme elles peuvent refuser des postes à responsabilité pour concilier leur vie personnelle car aujourd’hui encore, l’entreprise valorise la disponibilité de ses salariés comme critère d’évolution de leur carrière. Le jour où ce ne sera plus le cas, l’égalité professionnelle progressera véritablement.
FS : C’est un grand chantier qui reste véritablement à ouvrir même si les jeunes générations sont sensibles à la remise en question des schémas comportementaux portés par chacun et reproduisant les inégalités. Mais ne faudrait-il pas aussi porter le combat de l’égalité professionnelle de l’entreprise vers les activités privées des salariés qui restent encore fortement sexuées ?
YR : : Attention, c’est illusoire de croire que l’égalité professionnelle dans l’entreprise est maintenant gagnée car la situation des femmes sur le marché de l’emploi reste beaucoup plus fragile que celle des hommes : les femmes travaillent plus souvent à temps partiel, occupent le plus souvent des emplois à bas salaires et, quand elles parviennent à accéder aux professions supérieures, les femmes continuent à se heurter à un plafond de verre qui leur interdit les fonctions dirigeantes. Ainsi, les entreprises françaises comptent environ 17% de dirigeants de sexe féminin, avec des écarts suivant la nature de l’activité puisqu’elles ne sont que 7% dans la construction et 20% dans les services. L’accès des femmes aux postes de décision semble d’ailleurs se réduire avec l’augmentation de la taille et le chiffre d’affaires des sociétés concernées. Tout comme, dans le secteur public, si les femmes représentent 58% des emplois de la fonction publique ‘d’État, territoriale et hospitalière) mais elles ne sont que 12% dans des fonctions de direction. Certes dans ces cinquante dernières années, l’égalité homme-Femme a progressé, il y a des acquis. Mais tout reste bien fragile. Il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’un ordre moral réactionnaire au vrai sens étymologique de retour en arrière, recherche « naturellement » à renvoyer les femmes au foyer. Les jeunes générations, et les jeunes femmes en premier lieu, doivent rester vigilantes et mobilisées en ayant conscience que l’égalité professionnelle est loin d’être réalisée.
Interview d’Yvette Roudy par François Silva. Madame Roudy fut Ministre des Droits de la Femme (1981-86). Elle fut l’auteure de la loi dite Roudy sur l’égalité professionnelle