Votre approche met en avant une vision très systémique de l’engagement…
En effet, l’engagement ne peut s’entendre qu’à l’intérieur d’un système donné. Tout dans une organisation est en résonnance et fait écho : la stratégie de la direction, les pratiques managériales, les systèmes de coopération, les politiques de ressources humaines ou encore la réalité de la qualité de vie au travail. Ces éléments se répondent les uns aux autres. L’entreprise peut mettre en place des processus favorisant la collaboration et l’autonomie, si la posture des managers n’est pas cohérente ou l’équité professionnelle laissée de côté, le niveau d’engagement s’en trouvera affecté.
Les approches pour renforcer l’engagement doivent donc être globales pour ne pas être contre-productives.
Dans votre ouvrage, l’engagement n’est pas un phénomène binaire. Chacun peut être engagé à des degrés divers et sous des formes variées. Mais vers qui ou quoi s’engage-t-on prioritairement ?
Nous définissons l’engagement comme un petit supplément d’âme, une façon de s’impliquer de tout son être dans ce que l’on fait. Je peux bien sûr être professionnellement engagé autour de thématiques très variées. Nous avons retenu dans « Développez l’engagement de vos collaborateurs » quatre formes d’engagement, particulièrement répandues :
- L’engagement par rapport à mon organisation, ma marque, mon entreprise, mon groupe. C’est également l’idée de l’alignement par rapport à la stratégie proposée par la direction, la fierté d’appartenance que je peux avoir de travailler pour cette marque.
- L’engagement par rapport à mes collèges de travail, que je vois chaque jour et avec lesquels j’ai créé des liens. C’est la relation sociale, la proximité relationnelle, la solidarité aussi.
- L’engagement par rapport à mon manager direct, au lien de confiance, d’estime, que nous avons créés.
- L’engagement pour le travail bien fait parce que quoi qu’il arrive, c’est une valeur pour moi.
Je ne suis pas forcément engagé au travers de toutes ces formes, mais elles constituent quatre orientations possibles de mon énergie et du lien que je veux ou peux avoir avec mon employeur. Et bien sûr, les leviers d’actions pour développer davantage d’engagement ne sont pas les mêmes pour tous les axes. Certains, comme le rapport la valeur travail sont en effet plus ancrés, plus intimes, que d’autres.
Votre page d’introduction s’appelle « Réinventer l’engagement ». Pensez-vous que le concept demande à être repensé ?
L’idée d’engagement doit forcément être remise au goût du jour et s’adapter aux nouvelles organisations du travail. Les attentes des collaborateurs par rapport à leur entreprise ou à leur management sont différentes aujourd’hui. Les recherches sur l’engagement montrent qu’il y a dix ans, pour s’impliquer aux côtés d’un leader, les collaborateurs attendaient de lui qu’il soit courageux, qu’il sache inspirer au travers d’une vision ou encore enclin à prendre des risques et ayant le goût du challenge. Le Professeur Finkelstein qui étudie les facteurs d’exemplarité managériale parle aujourd’hui davantage d’éléments comme la ponctualité, la réactivité, l’esprit d’équipe, la capacité à fédérer un collectif, mais également la politesse et la sensibilité aux autres. Les nouvelles générations qui arrivent sur le marché du travail ont un rapport différent au temps et à l’espace consacrés à leurs activités professionnelles. Les critères d’engagement doivent donc entre autre s’adapter à cette nouvelle donne.
Et enfin, l’arrivée de l’intelligence artificielle va révolutionner le rapport humain au travail et donner notamment un poids très différent à l’engagement, qui sera probablement un facteur différenciant, de par son aspect très émotionnel et non toujours rationnel. Le robot, s’il pourra gérer une émotion, ne pourra jamais la ressentir et cette intelligente consciente de son émotion, de ce que l’on donne en plus dans son investissement professionnel, restera un apanage humain.
Vous évoquez le rôle clé du manager de proximité dans la dynamique d’engagement. N’est-ce pas un peu lourd sur ses épaules ?
La posture du manager dit de proximité, de première ligne est en effet éminemment complexe. Au contact direct des équipes, il ou elle a un rôle dans l’engagement au quotidien de ses collaborateurs. Et pourtant, ce manager est souvent loin des décisions stratégiques et organisationnelles, qui ont, on le sait, un impact fort sur le désengagement. Les nouvelles organisations du travail tendent vers une évolution de cette posture managériale. Le leadership mue aujourd’hui pour passer d’une posture de guide à une posture de soin, de « care » comme disent les anglo-saxons. Néanmoins, les managers sont évidemment vite rattrapés par leur réalité, par leur routine organisationnelle qui se situe très loin d’une préoccupation de lien, pour s’ancrer exclusivement dans une optique de vitesse et de performance financière à court terme. Car c’est ce qui leur est demandé. La responsabilité de l’engagement ne peut donc en aucun cas reposer sur leurs épaules exclusivement. C’est la raison pour laquelle former les managers de proximité au développement de l’engagement de leurs collaborateurs a peu de sens. Pire, cela fait reposer sur leurs épaules un sentiment de culpabilité et nie le caractère systémique du sentiment d’engagement et la notion d’exemplarité à tous les étages.
Ceci étant dit, le manager a évidemment un rôle à jouer dans l’engagement de ses équipes. Sa constance, sa stabilité émotionnelle sont clés pour générer de l’engagement. L’injonction paradoxale, si répandue, est délétère à l’implication. Par ailleurs, la proximité de fonctionnement, le soutien aux projets, la relation intuitu-personae et les échanges individuels réguliers sont des points d’appui forts d’une interaction de qualité. Le rôle managérial se situe alors au cœur du développement professionnel des collaborateurs, de leur employabilité et du sentiment de bien être apporté par les signes de reconnaissance reçus.
Si le rôle du manager a ses limites, quels sont alors les autres leviers actionnables pour développer l’engagement ?
Il n’existe pas de baguette magique, on l’aura compris. L’engagement est une dynamique, un mouvement. Mais les pratiques organisationnelles peuvent être engageantes.
L’entreprise peut, par les valeurs qu’elle véhicule, générer une fierté d’appartenance. Les salariés sont de plus en plus soucieux du sens et des valeurs portés par leur organisation. Par là-même, ils portent par exemple un intérêt croissant à la façon dont leur entreprise exerce sa responsabilité sociale et écologique. Incarnée à tous les niveaux de l’entreprise, la RSE peut constituer un puissant levier d’engagement.
A l’inverse, le reflet social, l’image délétère renvoyée à l’extérieur par une entreprise, peut désengager ses collaborateurs. De nombreuses industries et secteurs d’activité ont récemment été confrontés à des scandales publics menant à de lourdes crises de l’engagement en interne. C’est alors le sens qui se perd en même temps que la reconnaissance sociale. Et ce sens est de plus en plus recherché par les nouvelles générations qui rejoignent le marché du travail.
Autre levier fort qui mène à de l’implication : la souplesse dans les modalités de réalisation du travail, l’autonomie donnée dans la prise de décision et la confiance accordée aux salariés dans la réalisation de leurs objectifs. Evaluer les résultats obtenus et les compétences mises en œuvre dans cette obtention, et non plus le temps de présence physique au bureau, constitue un levier de taille.
Et évidemment les politiques de rémunération, à l’instar de l’association au capital, mais aussi de fidélisation des talents ou de gestion de carrière ont un rôle central dans l’engagement des équipes. Les Directions des Ressources Humaines sont de véritables alliés dans le développement de l’engagement. Elles ont un rôle dans le sentiment de justice organisationnelle et sont l’un des garants de l’équité professionnelle entre les femmes et les hommes de l’entreprise. Enfin, le principe d’engagement est intimement lié aux équilibres entre vie personnelle et vie professionnelle. La notion d’implication ne peut en effet s’entendre qu’en considération des souhaits d’équilibres et des charges mentales qui incombent aux salarié(e)s.
Votre approche autour du plaisir au travail casse littéralement l’étymologie du mot travail dont l'origine vient du latin tripalium, un instrument de torture à trois pieux…
Donc oui, l’idée était d’enterrer cette étymologie pour que le plaisir au travail devienne un moteur assumé. Trop rares sont les candidats qui affirment aujourd’hui en entretien d’embauche que leur motivation première est de prendre du plaisir. Et pour cause ! Il est socialement plus valorisant d’énoncer des moteurs cartésiens et surtout tournés vers l’autre, plutôt que des motivations épicuriennes ou supposément tournées vers soi. Le plaisir a encore un goût quasi-coupable. Pourtant, toutes les recherches mènent à penser que le plaisir est une composante fondamentale de l'engagement. Les mammifères fonctionnent tous avec deux systèmes cérébraux appelés circuit de la récompense et de la menace. Or, le principal neurotransmetteur du circuit de la récompense est la dopamine, qui est l’hormone de la motivation et du désir. Cette dopamine fournit une véritable énergie de réalisation, un surplus de motivation. Par extension, cette énergie améliore à la fois l’engagement et la performance. Dans la sensation de plaisir, la dopamine est renforcée par l’ocytocine, la sérotonine ou encore l’œstrogène, qui, en libérant des opioïdes dans notre cerveau, génèrent des émotions positives.