Pour commencer, Franck, quel est votre titre au sein de la DRH Groupe ?
Je suis responsable Innovation et Digital Learning
Et votre périmètre d’action ?
J’interviens pour l’ensemble du Groupe, essentiellement sur les formations dites « transversales », c’est-à-dire qui s’adressent à l’ensemble des collaborateurs, indépendamment de leur métier : langues, management, efficacité professionnelle, transformation, etc.
Et votre mission ?
Avec une équipe d’une douzaine de personnes, j’ai pour mission de définir les grandes orientations en matière de formation, d’identifier les solutions et les contenus que l’on souhaite proposer à l’ensemble du Groupe, et accompagner les Responsables formation des entités et des pays, pour les aider à améliorer leur offre de formation et à développer leurs propres compétences.
Passons donc à notre sujet qui est celui des compétences. Nous pouvons dire, n’est ce pas, que le secteur Bancaire (parlons essentiellement de la banque de détail, donc les agences) est en pleine transformation …
L’avènement d’Internet a profondément modifié les habitudes et les attentes des clients vis-à-vis des banques. Aujourd’hui, les clients se déplacent moins en agence et utilisent les applications mobiles pour consulter leurs comptes, pour effectuer des virements, ou même passer des ordres de bourse. Pour échanger avec leur conseiller, ils utilisent désormais une messagerie spécialisée, pour retirer de l’argent ou déposer des chèques, les clients peuvent aller directement aux distributeurs. Cette évolution s’accompagne dans le même temps d’un besoin de conseil et d’expertise lors des moments importants de leur vie : achat immobilier ou placement par exemple. Concrètement pour nos collaborateurs en agence, cela signifie moins d’opérations courantes et plus de conseil, d’accompagnement. Au-delà d’Internet et de l’évolution des usages des clients, c’est une véritable révolution technologique qui touche le secteur bancaire avec l’IA, la block Chain, le Cloud… et l’arrivée sur le marché de nouveaux acteurs, les fintechs. Le tout, dans un environnement réglementaire contraint.
La DRH a une importance centrale pour accompagner les collaborateurs dans ce contexte de métiers qui changent : évolution des compétences et apprentissage de nouveaux métiers.
Est-ce que, en matière de formation initiale, on commence à en sentir les effets ?
L’enseignement supérieur, business schools et écoles d’ingénieurs notamment, ont compris que la promesse d’un diplôme pour l’ensemble d’une carrière n’était plus tenable. Les besoins de compétences des entreprises évoluent rapidement pour suivre et accompagner cette transformation. La maîtrise de savoirs techniques, même si ces savoirs changent vite, reste indispensable. Le comportemental, la capacité d’adaptation, la créativité, l’innovation, le travail en équipe, deviennent essentiels aussi face à un environnement futur qu’il est difficile de prévoir. L’adaptabilité et la capacité à se remettre en cause sont essentielles dans un monde « VUCA », vous savez : Volatile, Incertain, Complexe, Ambigu. Pour répondre à cette demande de nouvelles compétences, certaines filières de formation imaginent des parcours hybrides : des Ecoles de Commerce s’associent à des écoles d’ingénieurs pour mutualiser de nouvelles compétences ou du moins de nouvelles approches, toutes multiplient les expériences à l’international pour développer l’ouverture culturelle et l’adaptabilité de leurs étudiants. Les universités aussi intègrent l’acquisition des soft-skills dans leurs parcours.
Maintenant il est peut être nécessaire de se poser la question de savoir ce qu’est une compétence ? Avoir une compétence et être compétent, est-ce la même chose ? Et qu’est-ce qu’être compétent ? C’est atteindre des objectifs commerciaux, contribuer à la transversalité et au travail collectif, contribuer à une empreinte positive de l’entreprise sur la planète ? On voit ici que l’on risque de confondre compétence et performance, n’est-ce pas ? Mon rôle est d’accompagner l’acquisition des compétences identifiées comme nécessaires pour répondre à ces nouveaux enjeux, mais aussi de permettre aux collaborateurs de se développer en fonction de leurs propres aspirations, objectifs, de mettre en place les outils digitaux qui le permette. La notion de compétences est essentielle, elle se situe à la fois au niveau collectif : les besoins de l’entreprise, et au niveau individuel : les aspirations du collaborateur.
C’est-à-dire ?
En mobilité interne, en recrutement, en gestion de carrière, en formation… la notion de compétences est à présent omniprésente. C’est d’ailleurs l’esprit de la nouvelle loi qui encadre la formation. C’est un « capital » qui est attaché à la personne. Notre responsabilité est d’amener le collaborateur d’un point A à un point B en matière d’acquisition de compétences, de s’assurer de cette transformation, et c’est à ce moment là, que nous aurons œuvré à son employabilité. Pour un candidat qui décide de nous rejoindre, sa préoccupation sera de savoir si sa valeur sur le marché du travail va croître ou diminuer. Le collaborateur a une approche consumériste de son employabilité. Donc la promesse de développement des compétences, qu’il s’agisse de formation mais aussi de missions variées, d’expériences professionnelles diverses, d’environnement managérial, a un impact essentiel sur la marque employeur, pour le recrutement de candidats comme pour l’engagement des collaborateurs.
L’entreprise doit en tenir compte dans son plan de formation, (maintenant plan de développement des compétences), sur des logiques qui sont celles de l’accompagnement de la stratégie, mais elle doit aussi donner aux collaborateurs des pistes pour qu’ils puissent se former en pleine autonomie, sans forcément de validation managériale, et c’est aussi dans ce cas, à nous, de les accompagner, d’apprendre à apprendre, de mieux se connaître en tant qu’apprenant, de faire comprendre la nécessité de se former régulièrement.
Ce n’est pas une vue de l’esprit ?
Je suis convaincu que ce discours de responsabilisation n’est pas une posture, ce n’est pas « tu es responsable, autonome, tu te débrouilles… ». Sinon ce serait créer de l’inégalité supplémentaire. La formation en entreprise doit s’emparer de cette mission. Et pour cela commencer par le début : développer l’appétit, l’envie d’apprendre. La capacité à apprendre est aussi une compétence à développer. Nous devons être des missionnaires d’appétence. La formation digitale, notamment par la diversité des modalités, des formats, qu’elle propose est une formidable opportunité mais tous les collaborateurs ne sont pas égaux devant elle. Il ne faut pas que cela crée de nouvelles inégalités.
Vous voulez dire que l’une de vos missions au sein du « learning » s’apparente au marketing ?
Oui, du marketing RH. Il ne faut pas avoir peur des mots. Soyons clair, les responsables de formation, les ingénieurs pédagogiques peuvent être les meilleurs experts du monde et concevoir les meilleurs parcours, s’ils ne sont pas achetés, consommés par les collaborateurs et recommandés par les managers, s’ils ne répondent pas à un besoin, s’ils ne suscitent pas l’intérêt et l’envie chez le collaborateur, cela ne sert à rien, c’est une dépense inutile et les compétences resteront là où elles sont. Notre travail ne s’arrête pas après la conception ou à l’achat d’un objet de formation, il commence. Et autour de cette réflexion, il convient de resituer le « produit formation » dans son contexte d’utilisation : les spécificités du pays, des facilités d’accès, des réseaux internet, l’appétence pour une modalité plutôt qu’une autre… encore une fois, le digital learning offre de formidables opportunités.
La notion d’acte de formation évolue aussi n’est-ce pas ?
Faire de la veille sur les réseaux sociaux, c’est se former. Assister à une conférence, c’est se former. Des plate formes ouvertes, où il est possible de se former comme on veut, mettre du contenu en libre accès, la formation en situation de travail, la formation de pair à pair, il y a effectivement dans l’air une sorte de « libération « de l’acte de formation, et c’est tant mieux. De plus, les frontières « temps de travail » et « hors temps de travail » doivent bouger, même si la réglementation, comme souvent, est en retard sur les pratiques. Echanger avec un pair à la cafèteria, regarder une vidéo dans le métro c’est du « hors » et pourtant les compétences sont aussi impactées, d’autant plus que c’est une démarche volontaire, non un exercice imposé par le plan de formation. La porosité vie professionnelle/vie privée est une réalité, il faut juste en limiter les effets pervers tout en assouplissant le modèle. Là encore, il sera peut-être nécessaire d’innover par exemple en sanctuarisant une période dans la semaine ou dans le mois qui soit dédiée à la « formation », c’est peut-être une piste à explorer. De même, on achète traditionnellement beaucoup de la formation à l’extérieur, alors que dans toutes les entreprises, il existe des experts, qui pourraient être mobilisés pour transmettre leurs connaissances. Mais souvent ils ne sont même pas identifiés par les départements formation. Cela ouvre un champ nouveau pour les départements formation : identifier ces experts, les accompagner pour mieux partager leurs savoirs, les aider à développer leurs compétences pédagogiques… D’autant que cela va valoriser ces experts et avoir un impact positif sur leur engagement. On a tout intérêt à mixer des contenus distanciels et des interventions d’experts maison.
Et avec ces nouveaux parcours, comment on évalue l’efficacité ?
Vous mettez là le doigt sur un point essentiel de la formation. La question de l’efficacité de la formation est centrale si l’on parle de développement des compétences. Il existe beaucoup de théories sur le sujet de l’évaluation de la formation, mais l’écueil principal est d’isoler la contribution de la formation par rapport à d’autres moyens de développer ses compétences : investissement du manager avant et après la formation, échanges entre collaborateurs… L’évaluation de premier niveau, c’est-à-dire la satisfaction du collaborateur, on sait faire, mais cela n’a pas de réelle utilité. le problème reste entier, est-ce même possible de corréler la contribution de la formation à l’évolution de la performance de l’entreprise en termes de « valeur économique » ?
Toujours à propos des compétences, pensez vous que les modes d’évolution hiérarchiques changent également et que cela impacte l’acquisition des compétences ?
Le modèle ancien de l’entreprise était celui où on y rentrait « au bas de l’échelle », parfois sans diplôme. La structure hiérarchique de l’entreprise, avec de nombreuses strates, offrait une promesse de progression régulière en termes de responsabilités, de salaire, le management étant un de ces paliers symbolique auquel on pouvait accéder. Aujourd’hui, le modèle de la carrière à vie n’existe plus, les échelons hiérarchiques des entreprises se sont réduits. Donc la promesse faite aux candidats à l’embauche a aussi dû évoluer. Dans l’environnement très mouvant que l’on a évoqué, il a été nécessaire de redéfinir la cartographie des compétences pour imaginer des parcours et des acquisitions de « blocs » de compétences qui répondent aux attentes de développement des collaborateurs.
Et pour terminer, est-il possible de connaître une partie de votre feuille de route pour 2019, ou au moins vos priorités ?
Nous avons plusieurs pistes de réflexion et de travail :
- Développer la formation via mobile : cela répond à une tendance de fond
- Travailler davantage sur le volet Marketing de la Formation, pour mieux faire connaître notre offre de formation
- Aider les collaborateurs à apprendre à apprendre, à mieux identifier la bonne formation
- Renforcer les compétences des équipes formation, notamment sur les impacts du digital sur la formation.