Franck Aimé, Atalian - Directeur Général des Ressources Humaines
Franck Aimé est diplômé de Sciences Po (Master en sociologie industrielle). Après avoir débuté sa carrière en 1988 chez Usinor Sacilor, il a été Directeur des ressources humaines de Beiersdorf Nivea France (1995-1998). En 1998, il rejoint la direction du Groupe Danone où il a notamment occupé différentes fonctions en France et à l’étranger (14 ans) dont le poste de Vice-Président du développement des organisations et de la dynamique sociale (2014-2017). Depuis 2 ans, il est Directeur Général des Ressources Humaines d’Atalian.
Pour commencer, pouvez-vous présenter brièvement Atalian ?
Atalian est spécialisée en Facility Management, c’est-à-dire tous les Services associés à la gestion d’un bâtiment soit une douzaine de métiers tels que : la maintenance, le nettoyage, le gardiennage, les espaces verts, l’hospitalité, le catering, la construction, le système de climatisation, la gestion d’énergie.
Aujourd’hui, nous réalisons un chiffre d’affaires de 3 milliards d’euros et sommes composés de 145 000 collaborateurs dans le monde présents dans 33 pays avec la particularité au regard de nos métiers de compter 92 % d’ouvriers et de techniciens.
Alors, qu’avez-vous mis en place pour anticiper les évolutions qui vont impacter vos métiers ?
J’ai la chance en tant que DRH de m’occuper également de notre département digital et innovation qui pilote les projets de « Smart Building », le Data Management, ou les objets connectés.
Cela me permet d’avoir une vision panoramique des évolutions technologiques et de leurs impacts sur nos métiers. Grâce aux objets connectés, qui nous remontent énormément de données nous pouvons mieux piloter l’activité des bâtiments et faire du « smart maintenance, smart Cleaning… ». Nous pilotons donc nos activités de plus en plus « à la demande » et passons d’une obligation de moyens (X agents de nettoyage par bâtiment par exemple) à une obligation de résultats (nettoyage des salles de réunion en moins de 15 minutes entre chaque réunion par exemple).
Ces évolutions ont un impact différencié selon nos métiers. Nous n’anticipons que relativement peu d’impact sur les métiers ouvriers ou techniciens de 1er niveau. Simplement à la place d’avoir des gammes opératoires papier ils auront de plus en plus des terminaux qui leur indiqueront où aller dans un bâtiment et quel type de prestation y effectuer.
En revanche, les impacts sur les métiers de la Maîtrise de Premier niveau sont extrêmement importants car ils devront en permanence concilier une qualité de service fluctuant avec des taux d’utilisation des bâtiments, des niveaux de trafic… et la planification de leurs ressources tant humaines que matérielles. Une vraie révolution !
Pouvez-vous expliquer cette différence ?
En fait, les outils que nous sommes en train de développer, grâce aux technologies, sont plus visuels et ergonomiques. Ainsi, même des ouvriers qui ne parlent pas la langue du pays dans lequel ils travaillent, voire qui ne savent pas lire, disposent de beaucoup plus d’informations utiles qu’auparavant. En effet, nous pouvons les équiper de petites tablettes grâce auxquelles il est assez facile de comprendre les instructions et de savoir ce qu’ils ont à faire.
Les technologies nous permettent également de réaliser des prestations à la demande.
Prenons un exemple. Nous avons un capteur (internet des objets) dans une salle de réunion. Ce dernier envoie sur les tablettes des salariés concernés, une alerte sur le nombre de personnes présentes, la nature des prestations servies (boissons, repas…) et ils savent s’il est nécessaire de passer faire le ménage, s’ils doivent adapter la climatisation…. Idem pour les travaux d’entretien et de maintenance. Ainsi, les technologies permettent aux opérateurs d’optimiser leur travail et de gérer leurs activités mais dans nos métiers de service elles n’ont que peu d’impact sur l’emploi, à court terme tout du moins.
En revanche, pour la Maîtrise de premier niveau, constituée bien souvent d’ouvriers qui ont été promus, leur rôle est en train d’évoluer fortement vers un rôle de pilotage et de suivi de la qualité de la relation avec le client. Comme je l’ai expliqué précédemment, ils doivent interagir et gérer des clients de plus en plus exigeants qui nous demandent une obligation de résultats et non de moyens. Le client ne veut plus savoir s’il y a X agents de sécurité à un point d’inspection filtrage de l’aéroport mais qu’il n’y ait pas plus d’une minute trente d’attente à un portique de contrôle et ce quel que soit le nombre d’avions qui décolle à un instant T. Or notre maîtrise n’est pas toujours préparée pour le faire et ne dispose pas systématiquement du portefeuille de compétences correspondant.
Nous avons donc un vrai enjeu pour le faire. Cela nous conduit à modifier les profils de recrutement à la fois de nos ouvriers (capacité à monter en compétences pour pouvoir prendre des postes de maîtrise) et de nos agents de maîtrise. Les soft skills jouent un rôle de plus en plus déterminant.
Identifiez-vous d’autres évolutions de votre environnement ?
Oui et elle est également liée aux technologies. Nous vendons de plus en plus des prestations « intégrées ». Alors qu’auparavant, nos prestations étaient vendues de manière séparée, aujourd’hui nous commercialisons un bouquet de services qui combine 3 à 7 de nos douze métiers. Nous avons donc besoin de « contract managers » capables de coordonner et de superviser ces différentes activités.
Prenons l’exemple d’une tour à la Défense que nous avons en contrat. Nous y assurons à la fois la maintenance, le nettoyage et la sécurité. Notre responsable de site est ingénieur. Il a un profil très orienté technique mais nous devons faire évoluer ses compétences vers davantage de Service client, le suivi qualité, et la gestion commerciale. En effet, au sein de ses missions figure la possibilité de pouvoir vendre des prestations complémentaires au contrat si le client le demande.
Bien entendu, fort de ce constat, en tant que DRH, je construis des programmes pour réduire les écarts de compétences constatés. Par exemple, pour les directeurs de site, nous bâtissons actuellement une formation e-learning pour les monter en compétences.
Pourquoi en e-learning ?
Parce que nos 145 000 collaborateurs sont complètement éparpillés sur tous les territoires et les atteindre est un véritable challenge. En effet, si sur certains sites comme une grosse usine, une grande gare ou un grand centre commercial nous pouvons avoir plusieurs centaines de salariés, sur d’autres, nous n’allons avoir qu’un ou deux collaborateurs.
On dénombre ainsi, environs 80 000 sites de travail chez Atalian.
Fort de cette contrainte, nous ne pouvons pas réunir les collaborateurs en présentiel. Nous devons construire des outils de digital learning pour qu’ils se forment directement sur leur lieu de travail.
Nous sommes en train de mettre en place un « Learning Management System » qui comprend tout un ensemble de formations d’une durée relativement courte (deux à douze minutes). A la fin de chaque programme, nous avons mis en place des Quizz pour pouvoir mesurer l’acquisition des compétences.
Vous ne pratiquez donc plus la bonne veille GPEC avec une analyse des besoins, des ressources, des projets à trois, cinq ans qui permet d’identifier des écarts, en vue de mettre en place un plan d’actions ?
Hélas la GPEC n’est pas très développée dans notre secteur. En effet, Il faut être bien conscient que la particularité de notre activité est que les contrats se gagnent par appel d’offre et que si on obtient un marché, les collaborateurs de l’opérateur précédent nous sont transférés. A l’inverse, si nous perdons un chantier les collaborateurs seront transférés à l’opérateur suivant. L’un des paradoxes de la situation est que parfois les employés connaissent mieux le client chez qui ils travaillent que l’entreprise qui les embauche et qui les paye !
Cela peut vouloir dire que si vous héritez d’un contrat dans cinq ans et que le DRH de l’ancien prestataire n’a pas du tout anticipé l’impact des technologies sur vos métiers, vous allez hériter de la situation et avoir un vrai gap de compétences à combler très vite ?
Absolument. D’où l’intérêt d’avoir une démarche de workforce planning pour évaluer les compétences des collaborateurs qui intègrent l’entreprise et des programmes de formation clés en mains pour acculturer et adapter les salariés aux besoins que nous avons identifiés.
Est-ce que vous faites partie des gens qui sont pessimistes sur le marché du travail, sur l’impact des technologies sur l’emploi ?
Vous l’avez compris, nous sommes une entreprise de services avec de vrais experts mais aussi une main d’œuvre peu qualifiée. Or, contrairement à ce qu’on lit parfois, nous sommes confrontés, dans certains pays, à une dramatique pénurie de main-d’œuvre ouvriers ou techniciens notamment dans des pays tels que l’Angleterre, la Pologne, la Croatie, la Slovaquie, Singapour ou le Luxembourg.
Pour nous, la Technologie peut représenter une opportunité car elle peut rendre certains métiers plus accessibles. Elle permet d’enrichir les emplois, elle « libère » de certaines tâches ingrates qui pouvaient être un frein, elle pallie les déficits de maîtrise de la langue du pays avec le recours aux pictogrammes dont je vous ai déjà parlé.
Je suis donc extrêmement optimiste parce qu’on essaye de mettre en place des outils qui vont « augmenter » les compétences des collaborateurs qui sont souvent très intelligents mais qui sont limités par leur faible maîtrise de la langue du pays où ils travaillent.
Donc ce sont plutôt les outils digitaux qui maintiennent les individus en emplois et vous permettent de recruter des profils qui n’auraient pas été recrutés sans cette valeur ajoutée de la Technologie ?
absolument et cela nous permet de centrer nos recrutements sur les collaborateurs qui sont orientés clients (ceux qui ont le potentiel de gérer la relation au quotidien avec les voyageurs, les salariés, les patients… et les clients) et qui ont les « softskills » (savoir alerter sur des dysfonctionnements, prendre des décisions en situation, …) pour réussir dans nos environnements et nos métiers.
Dans nos métiers la technologie ce ne sont pas que les bâtiments connectées il faut aussi que je vous précise que nous travaillons également sur des robots pour la sécurité, l’accueil ou le nettoyage. Ces robots sont de plus en plus intelligents et de plus en plus souples d’utilisation. Ils ne conviennent pas encore à toutes les situations mais leurs usages s´élargissent de jour en jour, idem pour la maintenance prédictive. Mais les métiers manuels ne disparaissent pas pour autant.
Vous mentionnez que vous avez des difficultés de recrutement. Quelles sont les actions que vous avez entreprises pour rendre vos métiers plus attractifs ?
Au-delà des partenariats avec certains établissements de formation ou d’intérim et d’une campagne de recrutement plus structurée et « accrocheuse », nous travaillons davantage avec les associations pour l’intégration par l’activité économique, autrement dit les entreprises d’insertion. En effet, nos métiers sont peu qualifiés, et d’un point de vue sociétal, cela peut permettre à des personnes écartées de l’emploi pour différentes raisons (handicap, chômage de longue durée, statut de réfugiés…) d’y accéder et finalement de se réinsérer dans l’économie et la société en général.
Pour finir, certaines entreprises semblent attendre beaucoup des datas pour améliorer leur workforce planning et être plus prédictif, qu’en pensez-vous ?
C’est intéressant mais cela va dépendre de la taille de l’entreprise et du volume de datas disponibles. Si l’entreprise n’a pas à sa disposition une grande quantité de données de bonne qualité et sur une période suffisamment longue, ses analyses et la « prédictibilité » qui en découle, seront peu fiables. Je trouve donc que c’est réservé aux grandes entreprises.
Quoi qu’il arrive c’est à manier avec des pincettes dans le sens où les Datas ne sont qu’une seule dimension de l’analyse prospective. Il serait dangereux de tout baser sur les seules datas. D’ailleurs, chaque fois que l’homme a voulu avoir des systèmes trop automatisés, il l’a fait au détriment des interactions humaines, et il ne peut en résulter que des monstres ou des analyses truffées d’erreurs.