Denis MONNEUSE, Enseignant-chercheur, directeur du cabinet de conseil « Poil à Gratter »
Donald Trump n’a pas le monopole des fake news. Et Facebook n’est pas le seul vecteur mêlant allégrement information et désinformation. LinkedIn et bien d’autres médias spécialisés en management et en ressources humaines sont infestés par des coachs, consultants et autres penseurs en tout genre qui ont un mot à dire sur tout en général et sur la qualité de vie au travail (QVT) en particulier. C’est ainsi que se répandent sur ce sujet des opinions et des croyances, peut être vraies, peut être fausses, mais nullement vérifiées empiriquement ni évaluées scientifiquement, pourtant présentées avec aplomb comme des vérités révélées.
Depuis l’acmé de la « vague de suicides » à France Télécom il y a tout juste dix ans, la QVT est devenue la panacée, la baguette magique agitée par les médecins de l’entreprise pour guérir tous ses maux. Ils se gardent bien de définir ce concept si bien qu’il peut être tordu dans tous les sens et avoir réponse à tout. On se croirait chez Molière :
- C’est de la QVT que votre entreprise est malade.
- De la QVT ?
- Oui. Qu’avez-vous comme problèmes ?
- De temps en temps des salariés peu motivés.
- La QVT !
- Il me semble parfois qu’on est peu productifs.
- Justement, la QVT !
- Les arrêts maladie sont en hausse.
- La QVT, la QVT, vous dis-je !
A quoi rime cette injonction à la QVT ? Une fois qu’on a dit qu’il fallait améliorer la QVT, on a encore rien dit. Ce sujet est devenu en quelques années le sujet le plus maltraité des RH. Je suis tellement triste de cette tendance que j’ose à peine encore employer cette expression qui est pourtant si belle. Qualité, vie et travail ne sont-ils pas en effet parmi les plus beaux mots de la langue française ?
Un discours bâti sur du sable
Parler de QVT à tort et à travers ne serait pas si grave s’il n’y avait ce hic : la QVT, telle qu’elle nous est vendue, repose sur une croyance simpliste et partiellement fausse selon laquelle elle serait source de motivation et d’engagement au travail, donc in fine de performance : QVT => motivation/engagement au travail => performance
Cette logique est si belle et si morale qu’on a envie d’y croire. Moi le premier j’y ai cru quand j’étais plus jeune. Malheureusement, ce postulat est bancal si bien que tout le discours habituel élaboré autour de la QVT repose sur du sable.
Ce lien entre QVT, motivation et performance est en effet loin d’être vérifié. Il ne fait pas l’objet d’un consensus au sein des chercheurs en sciences humaines. Si vous avez suivi un cours de RH ou de management et que vous avez encore cette croyance en tête :
a) Le formateur était incompétent et vous devriez alors immédiatement exiger un remboursement ;
b) Vous avez dû manquer d’attention au cours de la formation ;
c) Vous êtes victimes de dissonance cognitive. La croyance QVT => motivation/engagement au travail => performance est si belle sur le papier, si séduisante, tellement en résonnance avec nos valeurs qu’on a envie d’y croire et que notre cerveau est prêt à occulter tout élément qui viendrait la remettre en cause. En revanche, notre cortex s’accroche désespérément à tout élément qui pourrait l’étayer, quitte à s’écarter quelque peu des faits.
Le mythe de Pygmalion relate l’histoire d’un sculpteur qui tombe amoureux de sa sculpture ; celle-ci prend vie si bien qu’il peut se marier avec elle. Malheureusement, la vraie vie n’est pas comme la mythologie grecque : il ne suffit pas de croire éperdument en une opinion pour que celle-ci devienne vraie !
Je ne vais pas me livrer ici à tout un cours de RH ou de management pour démonter cette fausse croyance qui sous-tend le discours dominant sur la QVT. Je vais seulement me contenter d’apporter trois contre-exemples.
1. Des conditions de travail dégradées peuvent être source d’une forte productivité. Il arrive qu’on observe une hausse des cadences après le suicide d’un salarié sur son lieu de travail. Le collectif tend à accroître le rythme pour mieux occulter ses soucis.
2. Un directeur général décide soudainement et unilatéralement d’augmenter les salaires et d’améliorer les conditions de travail. Les salariés et les syndicats de l’entreprise en question réagissent mal : ils sentent qu’il y a un loup. Ils sont persuadés que des choses inavouables se trament en coulisse et que le patron tente maladroitement de leur graisser la patte pour détourner leur attention. Résultat : des débrayages, une angoisse et une productivité en berne.
3. Il existe aussi un effet enfant gâté, à savoir des conditions de travail confortables, presque idylliques, mais qui ne découlent pas sur une forte productivité. Les salariés sont désengagés pour d’autres raisons ou bien font la fine bouche et sont donc trop occupés à se lamenter sur leur sort en voyant le verre à moitié vide au lieu de le voir à trois quarts plein.
Quand la QVT nuit à la performance
Vous me direz : ces trois contre-exemples sont des cas extrêmes ; des exceptions qui confirment la règle. Je vous répondrai non et, pour achever de vous convaincre, je vais vous décrire plus en détail le cas banal d’une entreprise bien intentionnée qui, sous couvert de QVT, n’a non seulement pas réussi à accroître sa performance globale, mais a même réussi à la diminuer.
Il s’agit d’une entreprise qui gère plusieurs centres d’appel. Mue par des valeurs humanistes, elle se lança dans une politique sociale ambitieuse afin d’offrir une excellente QVT à ses salariés : le CDI est la norme, les salaires sont 15 à 20 % supérieurs à ceux du marché, le temps de travail effectif est inférieur à 35 heures par semaine, la pression commerciale est relativement limitée, le matériel est de qualité, les salles de repos ont été refaites, etc.
Les salariés de cette entreprise sont les premiers à reconnaître qu’ils sont mieux lotis que leurs confrères exerçant la même activité chez les concurrents. D’ailleurs, le turn-over est quasi nul. En revanche, les dirigeants ont de quoi être déçus des effets de leur politique QVT : non seulement la productivité est inférieure à celle de leurs concurrents qui n’ont que faire de la QVT, mais en sus le taux d’absentéisme maladie est supérieur. A cela s’ajoutent les sommes dépensées pour mener cette politique. Autrement dit, cet employeur est perdant sur toute la ligne !
Le DRH qui me demanda de l’aider à y voir plus clair m’accueillit alors en pestant, en vrac, contre l’ingratitude des salariés, la génération Y, le déclin de la valeur travail et, plus largement, contre la fainéantise et l’insatisfaction du peuple français.
Herzberg, relève-toi, ils sont devenus fous !
Le paradoxe de cette politique QVT inefficace, voire contreproductive, fut facile à comprendre. « Rien n’est plus pratique qu’une bonne théorie » affirmait Kurt Lewin. La théorie duale de la motivation élaborée par Frederick Herzberg le confirme1. Herzberg nous invite tout d’abord à distinguer satisfaction et motivation au travail. On peut être satisfait et peu motivé et, inversement, motivé mais peu satisfait.
D’un côté, il y a ce qu’Herzberg appelle des facteurs d’hygiène, axés sur le bien-être, qui limitent l’insatisfaction au travail sans avoir de forte incidence sur la performance. Ce sont essentiellement des facteurs extrinsèques : la rémunération, les conditions de travail, les relations avec les collègues, la sécurité au travail, etc.
De l’autre, il y a les facteurs moteurs ou motivateurs, essentiellement intrinsèques, qui mobilisent les salariés et participent à la performance : la nature des tâches, la responsabilisation, les possibilités d’avancement, le sentiment de reconnaissance, etc.
Pour le dire avec des termes plus modernes, il y a d’un côté la qualité de vie AU travail qui vise à satisfaire les salariés en jouant sur tout ce qui est périphérique au travail (les locaux, la convivialité…) et, de l’autre, la qualité de vie PAR le travail qui vise à responsabiliser les salariés et les rendre plus performants en jouant sur la qualité de leur travail.
Le cas de cette entreprise gérant des centres d’appel mériterait d’être présenté plus en détail, mais, en deux mots, la politique QVT mise en place reposait uniquement sur des mesures de qualité de vie AU travail, pas sur des actions favorisant la qualité de vie PAR le travail. Par suite, les salariés étaient désengagés et peu performants. Et les arrêts maladie augmentaient car le personnel se retrouvait dans une prison dorées : même si leur travail leur déplaisait, il leur semblait irrationnel de démissionner car ils jouissaient d’une telle qualité de vie AU travail qu’ils étaient conscients de ce qu’ils perdraient en changeant d’employeurs : ils devraient travailler plus pour gagner moins, sans doute travailler dans des locaux moins sympathiques et faire face à une pression commerciale plus forte. L’absentéisme était alors leur seule échappatoire. Pis, la politique QVT n’avait même pas réussie à accroître leur satisfaction au travail car ils se sentaient incompris : leur employeur leur donnait des choses (par exemple des salles de repos toutes neuves) qui n’étaient pas prioritaires à leurs yeux ; ils avaient l’impression qu’on essayait d’acheter leur silence par rapport à leurs réels besoins mis sous le boisseau (le manque d’autonomie, de polyvalence, d’enrichissement des tâches…).
Je pourrais citer encore bien d’autres exemples d’entreprises où la simple création d’un service ou d’une direction QVT s’est révélée mitigée ou négative. Quand les salariés ont l’impression qu’on essaye de les endormir ou que leur employeur se focalise sur le superficiel (la face émergée de l’iceberg,) la politique QVT peut se retourner contre l’entreprise comme un boomerang. Une politique QVT peut en effet être perçue comme de la charité mal placée ou du « foutage de gueule ».
6 visions de la QVT
D’après mon expérience, six grandes visions de la QVT coexistent. Je vais les décrire en quelques mots et pointer leurs limites. Je proposerai ensuite les bases d’une septième vision qui me semble plus pertinente.
1. La vision Bisounours
Il existe une vision idéaliste de la QVT en grande partie colportée par les médias et les béni-oui-oui qui considèrent la QVT comme l’antichambre du bonheur au travail. Cette vision est assez répandue chez les étudiants qui débutent une formation en RH et, malheureusement aussi, chez des gens plus expérimentés. A ceux qui rêvent de devenir chief happiness officer (ça passe mieux en anglais car si on avait le titre de « responsable du bonheur » on ouvrirait déjà un peu les yeux sur le ridicule de la chose), je leur conseille de s’orienter plutôt vers le travail social ou l’humanitaire. L’erreur fondamentale de cette vision provient d’une connaissance plus approfondie des Bisounours que de la nature humaine ou bien d’une lecture trop littérale de Rousseau. Cette perspective repose en effet sur une conception de l’être humain comme naturellement bon et reconnaissant, mais perverti par l’entreprise. Elle croit qu’il suffit de choyer les salariés pour atteindre un haut niveau de performance. Pour prendre une image, cette vision conçoit le travail dans son sens initial de tripalium et considère à l’opposée les vacances comme le paradis.
2. La vision cynique
A l’opposé de la vision Bisounours, la vision cynique repose sur une conception froide et utilitariste du monde des affaires. La prétention à la QVT passe pour un caprice de riche qui n’a pas compris qu’il devait faire face à la concurrence d’employés chinois payés au lance-pierre et pour qui la notion même de QVT est inconnue au bataillon. Par souci de realpolitik, il est donc vain de s’intéresser à la QVT. Celle-ci passe pour l’ennemi juré de la performance. L’erreur fondamentale de cette vision repose sur une vision uniquement court-termiste ainsi que sur l’ignorance de toute la littérature scientifique sur les bienfaits des temps de pause au travail par exemple ou, plus largement de la santé comme facteur de productivité. D’ailleurs, les partisans de cette vision ont tendance à se préoccuper de leur propre QVT, bien qu’ils nient le besoin de se préoccuper de celle d’autrui. Pour poursuivre la métaphore des congés, cette vision vante la réduction des congés ou des « temps morts » au nom de la sacro-sainte performance.
3. La vision marketing
La vision marketing repose sur une conception purement instrumentale de la QVT en tant que vitrine publicitaire servant l’image de marque de l’entreprise. Contrairement à la vision Bisounours, il ne s’agit pas de rechercher le bonheur des salariés, mais d’améliorer la marque employeur. Dans cette perspective, une politique QVT repose avant tout sur du gadget, du clinquant et des paillettes afin d’attirer l’attention médiatique et d’obtenir un label du type Great Place to Work. L’erreur fondamentale de cette vision est de ne pas chercher à améliorer la performance au travail des salariés. Elle se rapproche ainsi de la vision cynique. Une autre erreur est de sous-estimer le fait que les arguments marketing peuvent s’avérer à double-tranchant. Certes, des salariés peuvent croire qu’ils jouissent d’une véritable QVT puisqu’elle est affichée et reconnue à l’extérieur : ils pensent alors que l’herbe est moins verte ailleurs. Mais d’autres salariés, plus lucides, peuvent quant à eux regretter que l’image de QVT mise en avant par leur employeur dans sa communication externe ne corresponde pas à la réalité interne. Toutefois, il arrive aussi que les salariés acceptent cette tartuferie. Je l’ai observé notamment dans un cabinet de conseil. « On vend du vent » m’explique un consultant. Conscient que son métier repose avant tout sur l’image de marque de son cabinet, il n’est nullement choqué que son employeur colporte à l’extérieur une image faussée de la réalité intérieure. Répandre du bullshit fait partie du jeu, estime-t-il et il est loin d’être le seul. Cette vision correspond à passer une grande partie de ses vacances à se mettre en scène en multipliant les selfies sur les réseaux sociaux pour montrer à autrui comme la vie est belle et comme on est heureux.
4. La vision démagogique
La vision démagogique (ou bien régressive) conçoit la QVT comme un divertissement pascalien à apporter aux salariés. Elle consiste donc à multiplier les apéros et autres moments de convivialité où l’on pourra manger des bonbons, ainsi qu’à installer dans les espaces partagés un baby-foot, un billard ou une table de pingpong. L’erreur fondamentale de cette vision est de plus chercher à amuser et à changer les idées qu’à détecter les dysfonctionnements organisationnels ou à accroître la performance. Endormir les gens ne fonctionne pas toujours sur le long terme : on peut prendre les gens pour des imbéciles, mais pas trop longtemps. De plus, cette perspective tend à infantiliser et ramollir les salariés : il ne faut pas leur demander ensuite dans leur métier d’avoir un esprit critique développé. Cette vision consiste à considérer les vacances comme un temps de vidange pour le cerveau. Les vacances idéales sont celles passées à buller ou bien à faire suffisamment la fête pour oublier le quotidien.
5. La vision naïve
La vision naïve vise à demander aux gens comment ils conçoivent la QVT, donc ce qu’ils veulent, puis à tenter de répondre à ces désirs exprimés. Dans cette perspective, un baromètre de satisfaction représente l’alpha et l’oméga de toute politique QVT. L’erreur fondamentale de cette vision est croire que les gens connaissent et expriment leurs besoins fondamentaux. Or, comme le dit malicieusement Oscar Wilde, « Quand les dieux veulent nous punir, ils exaucent nos prières ». Les gens du marketing savent bien qu’il ne suffit pas de demander aux consommateurs ce qu’ils veulent et de le leur donner pour qu’ils soient contents. Cette vision est d’autant plus naïve qu’elle tend à confondre satisfaction et motivation. Elle aurait tendance à considérer les plus belles vacances comme celles passées sur une île paradisiaque car c’est une image d’Epinal, en occultant qu’on peut passer de très belles vacances en cultivant tout simplement son jardin en bonne compagnie.
6. La vision critique
La vision critique de la QVT consiste à distinguer qualité de vie AU travail et qualité de vie PAR le travail. Cette vision pourfend donc la vision démagogique, régressive de la QVT en mettant essentiellement l’accent sur la motivation intrinsèque et la qualité du travail. L’erreur fondamentale de cette vision est de rejeter le bébé avec l’eau du bain : cette perspective critique de la QVT peut amener à rejeter la QVT dans son ensemble et déboucher sur l’inaction. Ses partisans deviennent alors comme Kant selon le mot de Péguy : ils ont les mains pures, mais ils n’ont pas de mains ! Une autre erreur consiste à regarder de haut tout ce qui est périphérique au travail. Certes, la rémunération et les conditions de travail ne font pas tout, mais il y a parfois dans cette vision critique un idéalisme qui pourrait aller jusqu’à croire que l’on pourrait se contenter au travail ou en vacances de vivre d’amour et d’eau fraîche.
Il ne s’agit pas ici de cracher sur ces six visions, mais de prendre conscience de la (ou les) vision qui sous-tend la politique QVT de son entreprise. Elles ont chacune leur intérêt et elles peuvent bien entendu être articulées de manière moins caricaturale que je viens de le faire (par souci de concision et de clarté).
Pour une vision « maoïste » et stratégique de la QVT
Je voudrais maintenant esquisser non pas d’une troisième, mais d’une septième voie que je qualifierais de maoïste et de stratégique. En voici trois grands principes.
1. Confort sans effort n’est que ruine de l’âme !
Contrairement à une vision philanthropique ou Bisounours de l’entreprise, une vision stratégique de la QVT considère celle-ci non pas comme une fin en soi, mais un moyen. Il ne s’agit pas de croire que la QVT va automatiquement être source de performance, mais de réfléchir à la performance recherchée (à court ou moyen terme, les types de performance visés et les moyens de la mesurer), puis aux actions en matière de QVT qui peuvent alimenter cette performance.
Une vision stratégique requiert aussi de penser le lien QVT et performance dans les deux sens : la QVT peut être seconde, en tant que récompense attribuée pour l’atteinte d’une performance. Il y avait déjà l’idée chez Taylor par exemple de partager les gains de productivité. Une vision stratégique de la QVT s’inscrit donc dans une logique donnant-donnant, pas dans une pure logique de don ; il faut s’assurer de contreparties.
La QVT est alors indissociable de la notion d’effort. Trop souvent QVT rime avec confort. Or les salariés ont surtout besoin d’accomplissement, donc d’apprentissage et de dépassement de soi, et de reconnaissance de leurs efforts. La QVT passe donc par l’exigence (tant que les objectifs ne sont pas démesurés). Pour reprendre la métaphore des vacances, faire une randonnée en montagne peut apporter plus de repos et de ressources que rester toute la journée à se dorer la pilule sur la plage.
Un des slogans de Mao Zedong était : « Il faut marcher sur les deux jambes » car il refusait de choisir entre le développement de l’agriculture et celui de l’industrie ; il prônait le développement des deux à la fois. Il était en quelque sorte un pionnier du « et en même temps ». Une vision maoïste de la QVT reconnaît la nécessité de mettre en place des mesures visant à la fois à la qualité de vie AU travail (donc plutôt au confort) et PAR le travail (plutôt l’effort).
D’autant que ces deux versants de la QVT peuvent se rejoindre. Quand une entreprise propose à ses salariés des services tels qu’une crèche ou une conciergerie, il s’agit de mesures périphériques qui peuvent pourtant jouer positivement sur la qualité du travail : le salarié se sent reconnu, ses besoins sont identifiés et en partie pris en charge par l’employeur. Par exemple, plutôt que d’amener des vêtements le soir ou le week-end au pressing, le salarié peut les déposer le matin au travail et les récupérer le soir. Certes, les esprits chagrins y trouveront à redire – l’objectif pour l’employeur est d’augmenter le temps de travail – mais les salariés sont eux aussi gagnants puisqu’ils gagnent du temps et peuvent mieux concilier travail et hors travail. Bref, Mao avait raison : il faut marcher sur les deux jambes en alliant qualité de vie AU travail et PAR le travail.
2. Ta QVT n’est pas la mienne
Une erreur classique consiste à adopter une démarche trop rationnelle en omettant notamment un éventuel écart entre la QVT réelle et la QVT perçue. Combien de managers et de DRH qui se plaignent de salariés ingrats qui ne se rendraient pas compte de tout ce que leur employeur fait pour eux ? C’est pourtant leur rôle de réduire cet écart entre perception et réalité.
Dans la même veine, une autre erreur consiste pour les managers et les RH à projeter leur propre conception de la QVT sur leurs collaborateurs et vouloir faire leur bonheur à leur place. Or il n’y a pas de définition universelle d’une bonne QVT. Je me souviens d’un manager qui voulait à tout prix enrichir le poste d’un ouvrier parce qu’il était effrayé par le caractère répétitif des tâches que ce dernier devait effectuer. Or, plus il diversifiait les tâches de ce collaborateur et plus il le responsabilisait, plus celui-ci devenait blême et angoissé. Il finit par craquer et tomber en arrêt maladie. Son chef ne pouvait pas concevoir que ce qui plaisait à cet ouvrier était précisément l’absence de réflexion exigé par son travail. Cela lui convenait parfaitement de travailler en mode pilotage automatique car cela ne lui demandait aucune énergie physique, émotionnel et mental : il rentrait chez lui frais comme un gardon et avait alors tout loisir de s’adonner à ses passions. Sa vie et son épanouissement était hors du travail. Son chef, en croyant bien faire, avait tout gâché !
Une politique QVT passe par une excellente connaissance et compréhension du terrain pour déceler les besoins fondamentaux des salariés qui ne sont pas nécessairement ceux qui ressortent des baromètres sociaux. Rien ne remplace l’observation in situ et une connaissance fine des métiers. L’incompréhension peut se payer cher. Le patron d’une chaîne de télévision envoya un courriel collectif à l’ensemble des journalistes pour les remercier et les féliciter de leur mobilisation un jour de tempête de neige. Il pensait bien faire en cochant la case de la reconnaissance non monétaire que lui avait sûrement soufflée un consultant, mais les intéressés prirent son doux message comme un affront. En effet, ils avaient passé leur journée à faire des micros-trottoirs pour demander à des automobilistes bloqués par la neige ce qu’ils pensaient de la météo, ce qui représente pour eux (et comme on les comprend !) le niveau zéro du journalisme. Alors que leur patron prenne exceptionnellement sa plume pour les féliciter ce jour-là, alors qu’il ne le faisait pas le jour où ils sortaient un scoop à la suite d’un long travail d’investigation, révélait en creux que leur hiérarchie était totalement à côté de la plaque. En un seul courriel, ce dirigeant perdit le peu de crédit qu’il avait.
3. La QVT ne s’achète pas !
Managers et DRH sont des êtres humains comme les autres dans la mesure où ils ont tendance à choisir la facilité et à faire la politique de l’autruche. La tendance est à compenser un problème plutôt qu’à le déterrer pour le regarder en face et l’affronter. Il y a un problème ? On allonge une prime ou on saupoudre un peu de QVT dessus et on n’en parle plus ! Cette tentation est d’autant plus grande qu’ils sont entourés de marchands du temple, sollicités par une multitude d’interlocuteurs extérieurs qui vendent de la QVT en veux-tu en voilà : il suffit de faire un chèque pour acquérir tel ou tel service et avoir ainsi l’impression de faire de la QVT. Le comble est bien souvent atteint lors de la semaine QVT qu’organisent bon nombre d’entreprises dans les pas de l’ANACT. C’est sympa de proposer une fois par an des massages, une séance de yoga du rire et quelques autres divertissements (pas nécessairement inutiles), mais c’est tout sauf s’attaquer au fond du sujet. Pis, c’est même envoyer le message que la QVT est un gadget superficiel si peu important qu’on ne le sort qu’une fois par an. Dommage de ne pas utiliser cette fenêtre de tir pour développer une vision un peu plus ambitieuse de la QVT !
Combien d’entreprises se disent, une fois quelques mesures prises ou une semaine QVT mise en place : « Done ! J’ai fait ma B.A ! » ? Grossière erreur ! Gare au pompier pyromane et à la vision en silo ! La QVT est par définition transversale. Cela ne fait pas de sens de la cantonner à un service ou une politique RH. C’est dans chaque politique et lors de toute transformation que se pose la question de la QVT. Sinon, l’employeur reprend bien souvent d’un côté ce qu’il a donné de l’autre. L’effet est dévastateur : les salariés n’y voient pas un jeu à somme nulle, mais la preuve que la QVT était un pansement servant à mieux cacher la plaie.
Bref, si j’ai réussi à vous convaincre que coexistent plusieurs visions de la QVT, qu’Herzberg et Mao n’avaient pas tout à fait tort et que la croyance QVT => motivation/engagement au travail => performance est non seulement simpliste mais aussi souvent fallacieuse… ni vous ni moi n’aurons perdu notre temps !
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