Depuis 30 ans, les questions de santé psychologique ont fait leur entrée fracassante dans le monde du travail. Nous avons vécu et contribué à des avancées décisives grâce à l’apport dans l’entreprise des sciences humaines comme la psychologie, l’ergonomie ou la sociologie mais aussi la médecine, le droit, les relations sociales ou de management.
Depuis 30 ans, les questions de santé psychologique ont fait leur entrée fracassante dans le monde du travail. Nous avons vécu et contribué à des avancées décisives grâce à l’apport dans l’entreprise des sciences humaines comme la psychologie, l’ergonomie ou la sociologie mais aussi la médecine, le droit, les relations sociales ou de management.
Années 90 ? du déni aux faux-semblants. Les années 90 ont permis une prise de conscience dans les entreprises et les institutions des enjeux, des risques et des leviers de la santé psychologique au travail. A la pénibilité physique qui a marqué le travail pendant des siècles, voire des millénaires s’est progressivement substituée la pénibilité psychologique.
Pour parler stress au travail et convaincre quelques oreilles attentives de s’intéresser au sujet, il fallait des ambassadeurs de talents, des pionniers. Ce furent des psychiatres, des scientifiques et des écrivains à succès. La compréhension du stress au travail, de ses causes comme de ses conséquences est devenue une matière première essentielle à la conduite des hommes et des organisations.
Années 2000 ? L’émergence des risques psychosociaux. La décennie 2000 aura été marquée par l’émergence de la prévention des risques psychosociaux sous l’influence de l’actualité dramatique de certaines entreprises, le développement des obligations légales et la publication de rapports de référence comme le rapport Nasse Légeron. Avec le risque, la souffrance, les suicides, les RPS, le harcèlement, il est vrai que la terminologie des années 2000 a rebuté beaucoup de décideurs qui ont délégué la gestion de ces sujets sensibles à des spécialistes dans l’entreprise -les DRH, les médecins du travail et les élus- ou en dehors -les experts-.
Années 2010 ? Les politiques de qualité de vie au travail. Enfin, les années 2010 s’achèvent dans un contexte plus apaisé dans le domaine des politiques de qualité de vie au travail. Le dialogue social s’est emparé du sujet et en fait l’un des thèmes de négociation les plus prisés par les partenaires sociaux et les plus consensuels. Il suffit d’observer le nombre considérable d’accord QVT en application dans les entreprises.
Aujourd’hui fleurissent de nombreuses initiatives en faveur du bien-être au travail. Des services aussi sympathiques les uns que les autres qui certes facilitent la vie des gens, mais ont un effet faible sur la qualité de vie au travail. On nomme des Chief Happyness Officer. On distribue des bons points et des classements pour faire savoir là où il ferait bon travailler. On finance des salles de gym, des séances de massages au bureau ou des crèches d’entreprise. On crée des moments de convivialité. On déploie des paniers de fruits bio ou des applications magiques. On ne peut que se réjouir de ces expériences qui répondent à des exigences nouvelles du bien-être et témoignent des progrès de la condition de l’homme au travail.
En revanche, des pratiques censées favoriser le bien-être, si elles sont trop décalées par rapport aux circonstances et à l’organisation du travail produisent des effets négatifs. A force de ne s’intéresser qu’aux à-côtés du travail ou aux contreparties, le risque est grand de passer à côté de l’essentiel : le travail qui est la matière première de base de la QVT.
« Le risque est grand de passer à côté de l’essentiel, le travail qui est la matière première de base de la QVT »
La situation dans les entreprises en termes de santé psychologique n’est pas bonne. Nos études confirment des niveaux d’hyperstress élevés (23,9% selon l’Observatoire de la santé psychologique au travail de Stimulus) et une qualité de motivation médiocre. A qui la faute ? On nous oppose des contraintes extérieures comme la mondialisation, la transition énergétique, les ruptures technologiques, les chocs financiers et les nouvelles attentes sociétales qui sont évoquées comme un horizon indépassable auquel les entreprises doivent s’adapter. Pourquoi n’invoquer que des facteurs sur lesquels nous n’avons que peu de marge de manœuvre ?
Les dirigeants ont un trésor inestimable à disposition : leur capital humain. La conduite des femmes et des hommes n’est pas aisée mais elle est le levier le plus efficace pour développer, transformer et faire réussir l’entreprise. C’est le plus économique puisqu’un salarié en bonne santé ne coûte pas plus cher qu’un salarié démotivé. C’est donc bien la responsabilité du dirigeant d’augmenter l’impact de son entreprise en matière de bien-être et d’efficacité.
Le défi de la qualité de vie au travail, c’est de questionner le travail lui-même. L’enjeu central, c’est de travailler mieux.
La seule expertise partagée par tous les acteurs de l’entreprise, c’est le travail. Or, paradoxalement, c’est un sujet très peu questionné. On s’intéresse aux résultats, aux coûts des ressources, aux contreparties sociales, aux obligations légales sans réfléchir à l’utilité du travail ou ses conséquences sur l’entreprise. Et c’est dommage.
Car, en s’intéressant au travail lui-même, on découvre que tous les acteurs de l’entreprise ont des capacités d’action. Le dirigeant prend conscience qu’une stratégie mal comprise par les équipes posent des problèmes de sens, que des valeurs peu incarnées ou des comportements insuffisamment exemplaires posent des problèmes de cohérence. Celui qui fait des choix d’organisations découvrira que les process ou les outils qui font confiance et laissent de l’autonomie aux collaborateurs sont plus efficaces que ceux qui maintiennent un contrôle excessif, que des procédures qui ne servent à rien ne créent que du mal-être et des surcoûts. En s’intéressant au travail lui-même, on agit concrètement et efficacement sur les principaux facteurs de stress comme les exigences du travail, le rythme des changements ou le manque de reconnaissance. On identifie des leviers d’action pour nourrir des facteurs de motivation comme le sens ou le plaisir au travail. Ce qui s’intéressent aux besoins de formation découvriront qu’investir dans le développement des compétences comportementales, notamment émotionnelles et relationnelles est plus efficient sur le long terme que d’allouer des moyens à des savoir-faire techniques ou métier dont l’obsolescence est programmée à trois ou quatre ans.
Dans le rapport « Bien-être et efficacité au Travail », 2010, Henri Lachmann, Muriel Pénicaud et Christian Larose écrivaient déjà que « Le manager est le premier acteur de santé au travail ». Depuis des décennies, nous savons que certaines pratiques de management produisent du bien-être et de l’efficacité alors que d’autres produisent du stress et de l’inefficacité. Alors qu’attend-on pour développer des habitudes de reconnaissance des personnes, de la qualité de leur travail, de leurs efforts ou de leurs résultats ? Qu’attend-on pour généraliser l’habitude des feedbacks efficaces ? Qu’attend-on pour soutenir l’autonomie des équipes et supprimer ces reportings que personne ne lit, ces systèmes d’information hyper-contrôlants ? Qu’attend-on pour faire confiance à l’immense majorité des salariés qui le méritent en leur laissant l’initiative de prendre des risques, d’inventer et même d’échouer ?
Une occasion de produire des apprentissages durables
En questionnant le travail et en cherchant à travailler mieux, l’entreprise va saisir l’opportunité d’apprendre et de progresser. Voyez l’exemple de la gestion des crises. La violence, les suicides, les conflits ne s’arrêtent pas à la porte du bureau ou de l’usine. La qualité de vie au travail invite la capacité à structurer des procédures et des routines et des bonnes pratiques pour gérer ces crises qui font malheureusement de temps en temps partie de la vie possible de l’entreprise. Elle nous invite à prendre soin et soutenir les salariés tout au long de leur vie professionnelle, d’accompagner des moments de carrières marquées par des événements difficiles de la vie professionnelle ou personnelle (problème de santé, grossesse, troubles psychiques, parents dépendants). Enfin, travailler mieux, c’est inventer de nouveaux modes de travail pour équilibrer vie professionnelle et vie personnelle, par exemple généraliser le télé-travail, expérimenter les congés paternité, interdire les réunions tardives ou cesser de valoriser les comportements de sur surinvestissement.
En conclusion, en travaillant mieux, nous allons enrichir et influencer les stratégies des entreprises, accompagner les transformations des organisations du travail, encourager des pratiques saines de management, renforcer les compétences émotionnelles et relationnelles et soutenir les salariés tout au long dans leur vie professionnelle.
Travailler mieux permettra de développer nos capacités à vivre, supporter et accompagner des changements incessants, d’avoir des équipes mobilisées durablement et en capacité à mieux coopérer ensemble, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’entreprise. Travailler mieux renforcera l’attractivité et servira les enjeux de la qualité de vie au travail. D’abord des enjeux de sécurité car les entreprises ont besoin d’être sécurisées au niveau sanitaire, juridique, sanitaire et médiatique. Ensuite des enjeux de développement et de transformation des entreprises pour lesquels la santé psychologique sera un levier essentiel de réussite. Enfin des enjeux de responsabilité sociétale et impact social.
Bref, pour être heureux, travaillons mieux !