Par Aude AMARUTTU,
Head of People
& Culture Development (DRH) chez Itelios
La QVT est partout !
Je suis littéralement obsédée par la QVT. Je pense QVT, je parle QVT, je réfléchis QVT, je dors même QVT. La QVT est au centre de mon action professionnelle depuis des années, si bien que pour moi il s’agit d’une préoccupation et d’une démarche naturelle. Chaque décision que je prends en tant que DRH, chaque orientation que je décide ou à laquelle je participe, chaque process que je mets en place prend en compte cette fameuse Qualité de Vie au Travail.
En tant que véritable passionnée, j’effectue une veille très active sur le sujet, je lis tout (ou presque) ce qui est publié sur ce thème, livres, articles de presse, billets de blog, je participe à de nombreux événements dédiés ou qui abordent la question et suis parfois amenée à y prendre la parole. Je parle de QVT, RPS, NAO, Anact… avec des personnes pour qui ces acronymes ont un sens et pour lesquelles aucune traduction n’est nécessaire.
Je rencontre fréquemment des représentants d’autres sociétés engagées dans cette même voie ou qui s’y intéressent fortement. Nous avons alors des discussions passionnantes sur le fond, les actions, les résultats… Nous comparons nos pratiques, nous nous encourageons et nous nous nourrissons des expériences des autres au cours de rencontres ou dans des clubs dédiés.
Etant identifiée comme une DRH adepte de la QVT, je suis extrêmement sollicitée par diverses sociétés qui me démarchent au nom de la QVT. Outils pour jauger l’humeur ou le bien-être des salariés, quantité de fruits frais bio à mettre à disposition dans l’entreprise, masseurs en tout genre, professeurs de yoga, nutritionnistes, éditeurs de solution prétendant optimiser l’expérience collaborateur… tous me promettent d’améliorer la Qualité de Vie au Travail au sein de ma société, et ces acteurs variés adoptent eux aussi le vocabulaire propre à la QVT.
Ainsi, mon quotidien me porterait à croire que la QVT est partout, mais la réalité est que je vis dans une bulle.
Quoi, la QVT est… nulle part ?
Un jour, j’ai été invitée à présenter les actions que je mène devant un parterre de DRH et autres représentants d’entreprises diverses, et ce fut pour moi un retour à la réalité assez brutal. En effet, lorsque j’évoquais les baromètres mis en place au sein de ma société pour connaître les retours des salariés sur leur relation avec leur manager, la qualité du contenu de leur poste ou leur équilibre vie professionnelle / vie privée, bon nombre de mes auditeurs se sont étonnés, voire extasiés, certains criant même au génie. Dans la plupart des entreprises représentées ce jour-là, non seulement ce type d’outil n’existait pas, mais surtout rien de tel n’avait jamais été envisagé, alors que pour moi il s’agit du b.a-ba. La réaction de ces personnes m’a laissée sans voix et j’ai eu l’impression que nous vivions dans deux univers parallèles.
Quelques semaines plus tard, en discutant avec une DRH, je commençais à parler de la prévention des RPS. Après quelques secondes de flottement, mon interlocutrice m’a demandé ce que signifiait l’acronyme RPS, ce qui m’a laissée quelque peu interdite. Dans mon esprit, RPS et QVT étaient des sigles aussi usités dans la sphère RH que IRP ou DUE par exemple.
Suite à ces deux épisodes, et pour en avoir le cœur net, je suis allée faire un test. Direction LinkedIn, recherche d’emploi, DRH. Sur la cinquantaine d’annonces consultées pour étayer mon propos, une et une seule évoquait la Qualité de Vie au Travail, et encore, il s’agissait de « porter une réflexion sur la Qualité de Vie au Travail ». Dans la majorité des offres d’emploi RH, on parle bien plus volontiers d’Administration du Personnel, de Paie, des Relations Sociales et d’IRP, de Recrutement et d’Intégration, de Formation et de GPEC, de Droit Social et autres sujets techniques… mais de QVT, point – ou quasiment.
Pis, bien souvent, dès les premières lignes, les annonces évoquent la « gestion des contentieux prud’homaux ». Sans vouloir paraître alarmiste, que penser d’une structure qui met sur le devant de la scène ses contentieux plutôt que de vouloir travailler sur ce qui en est la cause ? Or, sur la cinquantaine d’offres consultées, une dizaine contenait ce point… soit dix fois plus que d’annonces parlant de QVT.
Où s’est cachée la QVT ?
Il est difficile de dresser une statistique précise mais il semble que, même si la QVT s’est beaucoup diffusée ces dernières années, elle soit encore absente de la majorité des entreprises, et soit inconnue de bon nombre de DRH. A moins d’être en veille pro active, il est tout à fait possible de passer (presque) complètement à côté du sujet. Il est certain que la QVT a trouvé sa place dans certains secteurs, les start-ups pour le côté branché, les entreprises lancées dans la fameuse guerre des talents pour réussir à attirer les meilleurs, certaines organisations qui ont besoin de redorer leur image… mais pas tous, loin s’en faut, une minorité seulement.
Et même au sein du microcosme dont je fais partie, la QVT existe-t-elle vraiment ? N’est-elle pas qu’une façade, un argument marketing pour attirer les candidats et les faveurs de la presse ? Combien de ces sociétés sont-elles réellement engagées dans une politique volontariste pour améliorer le quotidien des salariés ? Combien ont travaillé sur les multiples facettes de la Qualité de Vie au Travail et sont allés au-delà de l’effet de mode et des actions cosmétiques ? Combien sont réellement convaincues de l’intérêt de ces pratiques pour les salariés et pour l’entreprise ?
Après les avoir encensés pendant quelques temps, les médias commencent à remettre en question les fameux Chief Happiness Officers (CHO, ou Responsables du Bonheur en français), les accusant de vouloir cacher un quotidien bien peu reluisant pour les salariés – ce que bon nombre de professionnels RH avait commencé de faire il y a plusieurs années. C’est un fait, la souffrance au travail va crescendo et chaque année marque un nouveau record de burn out et de situations alarmantes. Dans son rapport du 21 février 2019, l’Anact pointait du doigt les résultats assez décevants de l’Accord National Interprofessionnel sur la Qualité de Vie au Travail de 2013, qui instaurait notamment des Négociations Annuelles Obligatoires sur le sujet de la QVT.
Et pourtant on en parle de plus en plus. Et pourtant les convaincus de la QVT sont toujours plus nombreux. Et pourtant ceux qui veulent faire avancer le sujet se font entendre chaque jour un peu plus. Alors non, la QVT ne va pas de soi, et j’irai même jusqu’à dire que l’existence de cette thématique au sein des entreprises est rarissime et très fragile. Pourtant il faut la défendre car se préoccuper de la QVT n’est pas une simple mode.
Pour ma part, la QVT, je suis tombée dedans par hasard. Je n’ai pas découvert cette thématique et ai décidé de l’appliquer à mon quotidien, bien au contraire. C’est en pratiquant mon métier de RH au quotidien, en voulant créer les conditions optimales de travail pour chacun de mes salariés, en pratiquant l’écoute et la bienveillance, en m’adaptant aux contraintes, aspirations et envies de chacun au sein du projet de l’entreprise que je me suis retrouvée à faire de la QVT malgré moi. C’est en privilégiant le côté H – Humain de DRH que j’en suis arrivée naturellement à m’intéresser au sens donné au travail, au contenu du poste, à la relation managériale, à l’équilibre entre vie privée et vie professionnelle, au développement des compétences. Ce n’est qu’en prenant du recul sur mes pratiques que j’ai réalisé que je m’inscrivais dans cette thématique et que cela n’était pas l’orientation de toutes les entreprises et de tous les RH.