Interview de Fella Imalhayene
Fella Imalhayene, avant d’entrer dans le vif du sujet, pourriez-vous nous dire qui vous êtes et quel a été votre parcours avant d’assurer le développement et la gestion du Global Compact France en qualité de Déléguée Générale.
Une double formation, Gestion Dauphine et Philosophie, en ne pouvant ne me satisfaire ni que de l’une ni que de l’autre. Un fort intérêt pour l’entreprise et ses enjeux, mais voulant garder en permanence le lien avec le « sens ». J’ai commencé par faire des missions dans des environnements culturels à l’Unesco ou au Centre Pompidou où je me suis occupée de comprendre les problématiques d’égalité des chances vis-à-vis de la culture et proposer des actions pour permettre aussi bien aux populations handicapées (accessibilité) qu’aux classes économiquement défavorisées (en particulier les jeunes) d’être attirées par ce lieu.
Dans ce contexte, en réalisant mon benchmark, j’ai rencontré Laurence Méhaignerie, très engagée dans les concepts d’inclusion, de diversité (à l’américaine) et d’égalité des chances dans l’emploi.
C’est elle qui va convaincre Claude Bébéar de parrainer et booster la Charte de la Diversité. J’ai rejoint ce combat et j’en ai alors mesuré la réelle dimension sociétale.
Après un passage de quelques années en cabinet conseil, la nostalgie des réseaux d’entreprises aidant, j’ai postulé et obtenu la délégation générale du Global Compact France.
Maintenant qu’on vous connait un peu mieux, expliquez-nous ce qu’est le Global Compact et quelles sont vos missions.
Au départ c’est un programme de l’ONU initié en 2000 par Kofi Annan. L’enjeu était de donner aux Etats membres les moyens de répondre aux obligations en matière d’environnement et de droits humains en demandant aux entreprises, elles-mêmes impliquées et dont les chiffres d’affaires dépassaient parfois le budget de certains Etats, de contribuer à la résolution de ces enjeux. Un texte a été élaboré et est devenu le Global Compact.
Cette organisation est présidée par le Secrétaire Général de l’ONU aidé par des membres issus des pays membres. Pour la France, aujourd’hui c’est Jean Pascal Tricoire, Président de Schneider Electric qui assure cette mission.
Mais ce sont aussi 70 représentations dans le monde avec des statuts différents. En France, le Global Compact est une association loi 1901, dont le Président est André Renaudin, Président d’AG2R LA MONDIALE. A ses côtés, on retrouve des entreprises comme Total, Carrefour, EDF et également des PME. Et nous sommes 6 permanents pour assurer l’opérationnel.
Alors, parlons opérationnel. Quelles sont les raisons pour lesquelles les entreprises et leurs DRH ont intérêt à se rapprocher de vous ?
Notre rôle est d’accompagner les entreprises sur les enjeux environnementaux et sociaux et de les aider à s’adapter aux réglementations. Les directives de l’ONU priorisent les actions pour le climat, pour l’égalité Femme/Homme et pour la formation des jeunes. Or nous sommes dans une période charnière où tout peut basculer : des étudiants de grandes écoles qui s’engagent, une fois diplômés, à ne pas travailler pour une entreprise polluante ; des militants d’une ONG qui occupent La Défense et bloquent les bâtiments de sièges d’entreprises jugées polluantes, avec les effets néfastes sur l’image pour les candidats potentiels et pour les salariés eux-mêmes ; on peut évoquer le mouvement des gilets jaunes… tout peut basculer et les DRH se doivent de donner aux collaborateurs une vision crédible en cette période de transition.
La RSE est devenu un véritable outil RH.
En quoi les RH sont-ils devenus des interlocuteurs incontournables ?
C’est plus ancien que ça, mais la loi PACTE (Plan d’action pour la croissance et la transformation de l’entreprise) fixe bien l’objectif en prenant en compte la modification de l’objet même de l’entreprise et de sa raison d’être. Donc, comment faire du business autrement ? Comment accompagner les gens dans une nouvelle vision de leurs métiers, impactée par une nouvelle façon de voir le monde ? Ça c’est une mission RH.
L’ONU a fixé des objectifs précis et concrets à la suite de la négociation entre les 193 Etats membres, 17 objectifs qui sont inscrits dans l’Agenda 2030. Les Etats sont contraints de respecter cet engagement, et les entreprises sont elles aussi appelées à y contribuer.
Comment s’en assurer ?
Un exemple : une entreprise répond à un appel d’offre international, le donneur d’ordre peut inclure aux obligations une vérification de l’atteinte des objectifs en matière de respect de l’environnement, d’égalité H/F, de formation … Cela devient une obligation de vérifier si le sous-traitant (y compris à l’étranger) respecte ces clauses ou non.
Et au quotidien en France, vous agissez comment ?
Nous rassemblons les entreprises qui ensuite, elles-même, s’organisent en multipliant les effets de réseaux. Des groupes de travail sont constitués, des clubs fonctionnent (l’un d’entre eux regroupe des DRH qui travaillent sur les droits humains). Nous allons ainsi défricher les sujets les plus innovants dans la chaine de valeur de l’entreprise.
Les échanges de bonnes pratiques sont monnaie courante sur ces sujets. Il faut savoir qu’en 2016 nous regroupions 500 entreprises et aujourd’hui nous dépassons les 1 000 dont 50% de PME. Nous assistons à une véritable prise de conscience des dirigeants de l’importance des enjeux environnementaux et sociaux pour le développement de leurs entreprises. Ils ont conscience que s’ils ne s’attachent pas à résoudre ces problématiques, il y a un réel risque « business ».
Lorsque vous entendez Véolia ou Danone poser la question : qu’est-ce que j’apporte à la société ? On mesure la transformation et l’évolution des idées. Les business modèles changent et sur un temps « long ». Les DRH doivent aussi être des soutiens aux dirigeants sur ces transformations.
Les clubs se réunissent souvent ?
En moyenne 5 à 6 fois par an, au départ essentiellement à Paris. Mais nous essayons de nous régionaliser. Nous avons 20 ambassadeurs dans les territoires et venons d’ouvrir des Cercles du Global Compact France à Nice et à Caen pour commencer. Ce n’est qu’un début.
Vous êtes aussi présents auprès des pouvoirs publics ?
Nous sommes effectivement sollicités pour donner notre avis sur des initiatives gouvernementales. Un exemple : le Haut-Commissaire à l’économie solidaire et à l’innovation sociale, Christophe Itier, nous demande de réfléchir à « comment mesurer l’engagement des entreprises ». C’est l’occasion de faire réfléchir ensemble les entreprises mais aussi le Medef, l’Afnor et les partenaires sociaux.
S’il fallait un mot pour conclure qui soit dirigé vers les RH, que diriez-vous ?
Je les engagerais à nous rejoindre car la RSE devient en termes d’attractivité, de mobilisation et d’engagement interne un véritable outil RH. Mais au-delà, les réorganisations liées à ces nouveaux objectifs vont avoir un impact important ne serait-ce que pour décloisonner nos organisations et pour accompagner les équipes à repenser leurs métiers.
Ce sera le défi de ces prochaines années pour les RH et nous sommes là pour les aider à réussir ces mutations.