Par Patrick Bouvard, Rédacteur en Chef RHInfo
Comment créer les liens entre croissance, innovation et RH ? La question clé est aujourd’hui de comprendre comment la fonction RH peut introduire et mener dans l’entreprise une logique de sens et apporter une valeur ajoutée spécifique, compte tenu des évolutions en cours. Passons en revue les 6 grandes articulations qui permettent de (re)poser cette ambition pour se projeter vers l’avenir.
Au cours de ces dernières années, notre regard sur le travail a changé. Dans les entreprises, les conditions de la performance et de l’innovation ont évolué. Les éléments de prospective dont nous pouvons disposer incitent les entreprises à voir plus loin que leurs opportunités et contraintes RH actuelles, et à anticiper leurs adaptations aux évolutions en cours et à venir.
Créer et/ou faire évoluer les liens entre croissance, innovation, et RH
La fonction RH va devoir adopter des stratégies permettant de créer et de renforcer les liens entre croissance, innovation et Ressources Humaines. La question centrale est aujourd’hui de comprendre comment la fonction RH dans son ensemble peut introduire et mener dans l’entreprise une logique de sens et apporter une valeur ajoutée spécifique.
1 Il n’y a pas de croissance durable sans vision RH à long terme
L’innovation est ce qui assure la durabilité de la croissance. Or le lien le plus organique entre l’innovation et la croissance est le capital humain qui tisse la vie de l’entreprise. Encore faut-il bien le définir et le mettre en perspective pour l’avenir !
En effet, si l’on admet volontiers que la croissance est intimement liée à la performance de l’entreprise, il reste à mesurer à quel point cette dernière passe encore et toujours par la performance individuelle et collective de ses salariés, nonobstant les progrès technologiques à disposition.
2 Il n’y a pas de vision RH à long terme sans mise en perspective du «capital humain» comme potentiel de développement
Lorsqu’on parle de «capital humain», de quoi parlons-nous ? Est-ce que ce sont les personnes elles-mêmes, dans leur humanité ? Est-ce que ce sont les effectifs ? Est-ce que c’est la pertinence des effectifs, en termes de compétence ? Est-ce que cela désigne le potentiel à développer, comme on place un «capital» ?
Nous proposons de trancher en jouant sur le sens du mot «capital» : ce qui se trouve «en tête», ce qui est «le plus important» et qui constitue «une richesse destinée à produire un revenu ou de nouveaux biens» (Le Robert). Autrement dit le capital humain ne représente pas d’abord un potentiel d’exécution, mais un potentiel de développement. Il s’agit non seulement d’anticiper les évolutions que nous percevons déjà, mais aussi de se préparer à celles que nous n’avons même pas encore imaginées.
3 Il n’y a pas de potentiel de développement sans créativité ni innovation
Il est un fait que dans le contexte actuel, loin d’anticiper, nombre d’entreprises sont obligées de gérer leurs activités à courts termes, négligeant souvent la vision et la créativité. Ce n’est pas sans conséquences sur leur avenir, tant en termes de développement que de Ressources Humaines. En matière de décision, l’efficience repose d’abord sur un fond conceptuel réfléchi, nourri de connaissance et d’expérience… et sur une imagination créative. Or il est assez fréquent que dans les modes d’organisation traditionnels ceci fasse mauvais ménage avec les structures hiérarchiques parfois très policées auxquelles elles sont attachées.
4 Il n’y a pas de créativité et d’innovation sans intelligence, et l’intelligence se trouve… chez les salariés !
Si nous approfondissons ce que représente le potentiel de créativité et d’innovation d’une entreprise, par conséquent sa capacité à «voir» et à «introduire quelque chose de nouveau», nous devons comprendre que cela repose sur trois capacités se capitalisant et se fécondant mutuellement :
La capacité à maîtriser une «approche système», c’est à dire à discerner et apprécier, dans une unité cohérente, l’ensemble des interactions complexes d’environnements, de stratégies, de projets… qui affectent la gestion des RH. Or les données à traiter sont aujourd’hui tellement nombreuses et leur combinatoire tellement complexe que la puissance des outils technologiques (Big Data, Business intelligence, Analytique RH, IA…) devient indispensable.
La capacité à maintenir une ouverture d’esprit et d’initiative. Notre nature a horreur du changement : tout être humain «fonctionne» à partir d’un système de représentations tissé au fil de son éducation, de sa culture, de sa formation, de son expérience... Mais il a spontanément tendance à s’enfermer dans ce système et à juger toutes choses à travers lui, fermant ainsi son champ de conscience à toute considération qui lui serait étrangère. L’ouverture d’esprit est la capacité à ouvrir et reconfigurer son système de représentation pour intégrer de la nouveauté, sous la motion de contradictions factuelles, de conflits de perspectives, d’opportunités ou de risques inattendus, et à transformer cette reconfiguration conceptuelle en reconfiguration opérationnelle.
La capacité à imaginer des solutions viables – ou plus exactement «les bonnes solutions» –, qui anticipent les réalités de demain.
Seule l’intelligence humaine est la cause active du développement ainsi suscité : elle est le fondement du capital humain. Elle peut être secondée par l’intelligence artificielle, mais ne saurait être remplacée par elle.
5 On ne peut développer l’engagement des salariés sans tenir compte de leurs besoins et de leurs attentes
Les pratiques de travail ont certes évolué, mais aussi la relation émotionnelle au travail ; ce qui se traduit par des enjeux tangibles pour les entreprises. Les attentes des travailleurs ne sont plus les mêmes qu’avant. Ils ont pris conscience qu’ils n’avaient qu’une vie ; et nombreux sont les collaboratrices et collaborateurs – les talents – qui ne veulent plus “risquer de perdre leur vie à vouloir la gagner”, selon l’expression désormais consacrée. C’est devenu un vrai souci d’équilibre, compte tenu de l’espace et du temps qu’occupe le travail, bon gré mal gré, dans nos existences.
Il convient donc de considérer la question du rapport individuel et collectif au temps en amont de tout choix d’organisation concrète, si l’on veut effectivement susciter une efficience accrue. C’est notamment la question d’un mode d’organisation hybride, dans lequel le triptyque confiance-autonomie-responsabilité reprend tous ses droits.
6 On ne peut améliorer l’efficience RH sans se doter d’outils technologiques RH performants et surtout évolutifs
Il est certain que l’idée de “mesurer” son action pour pouvoir rendre compte de son importance stratégique fait désormais partie des exigences de la fonction RH. Il s’agit de produire des indicateurs RH qualifiés pour faciliter et améliorer : le suivi/pilotage d’une part ; la prise de décision d’autre part.
L’analytique RH se propose, par exemple, de compléter les démarches qualitatives traditionnelles par des concaténations et des croisements de données quantitatives variées. Il s’agit d’augmenter la qualité du service proposé aux gestionnaires RH concernant la gestion du capital humain, en alliant productivité et innovation, pour rendre l’entreprise agile et capable d’adaptation permanente.
Le Big Data comprend l’ensemble des données internes à une entreprise, mais aussi des quantités considérables de données externes, y compris venant d’autres pays, permettant de croiser des secteurs, des cultures, des pratiques très différentes, sources d’inspiration et de perspectives nouvelles, que la RH peut de la sorte étayer et argumenter auprès de sa Direction Générale et des managers.
Big Data, Analytique RH et IA générative deviennent nécessaires, mais ils ne sont pourtant pas suffisants : ils sont au service de l’intelligence RH réelle − incarnée par des femmes et des hommes − qui seule peut discerner la fin à poursuivre et les meilleurs moyens à mettre en œuvre pour cela.
Conclusion : se donner les moyens de l’anticipation
C’est donc la capacité à anticiper et à mettre en œuvre une approche prospective qui permet de créer et de renforcer sans cesse les liens entre croissance, innovation et Ressources Humaines. Son objet est de nous amener à préparer pas à pas l’avenir que nous souhaitons, comme un système ouvert au sein duquel on projette la vie de l’action présente.
Qu’en sera-t-il demain ? De quelle manière la gestion des RH intègrera-t-elle l’IA générative ? Comment en garantir les diverses dimensions éthiques ? Le Métavers deviendra-t-il une opportunité dans l’intégration des nouveaux collaborateurs et leur formation ? Quelles applications et plateformes informatiques viendront en appui du recrutement ? Comment la technologie blockchain permettra-t-elle de stocker et de vérifier les données de manière sécurisée ? Quel avenir pour l’Internet des objets (IoT) et l’automatisation des processus RH ? Nous pourrions largement étendre cette liste de questions. Sans doute certaines technologies embryonnaires ou inexistantes aujourd’hui seront-elles très communes en 2030. Sans doute aussi les besoins et attentes des salariés auront-ils évolués en parallèle.
Il ne s’agit pas de s’en remettre à des technologies qui auraient soi-disant le pouvoir de remplacer les hommes. Aucun outil ne nous affranchit du courage et de la prise de risque que suppose toute décision, ni des remises en cause et des bouleversements culturels qu’exigent les mutations du monde contemporain.
Patrick Bouvard
Rédacteur en Chef RH Info