{gspeech}
Pour commencer, pouvez-vous présenter Publicis Média en quelques mots ?
Publicis Media est l’une des 4 entités du Groupe Publicis (avec Publicis Communications, Publicis Sapient et Publicis Health). C’est la première force d’achat media au monde, avec une solide expertise des stratégies de marques, qui s’appuie sur une excellente connaissance des consommateurs grâce à nos équipes Data Sciences. C’est ce qui nous rend légitimes pour accompagner la transformation marketing de nos clients. Nous comptons plus de 22000 collaborateurs dans le monde qui opèrent dans 100 pays au travers de cinq marques (Starcom, Zenith, Spark Foundry, Performics, Blue 449…).
Quel est votre périmètre d’activités ?
Au sein de Publicis Media, je suis Chief Talent and Transformation Officer - on ne parle pas de DRH chez Publicis : les enjeux de transformation et de développement des talents étant particulièrement importants dans mon rôle. En effet, je suis en charge d’accompagner les 800 collaborateurs de Publicis Media en France dans la transformation de leur métier : de l’attraction de nouveaux profils à l’évolution des compétences de nos talents, en passant par la redéfinition des organisations et des façons de travailler.
Comment peut-on mettre en place une démarche prospective en RH aujourd’hui ?
Pour commencer, je pense que l’on ne peut plus appliquer les démarches de GPEC traditionnelles que j’ai pu expérimenter à plusieurs reprises au cours de ma carrière. Elles consistaient à construire tout d’abord un référentiel des compétences actuelles, à faire ensuite une projection des compétences de demain pour chaque métier, à évaluer les écarts entre les volumes actuels et futurs d’emplois pour chaque métier, et enfin à définir des plans d’actions pour ajuster les compétences et les emplois en conséquence.
Ce type de démarches prenait beaucoup de temps et d’efforts et mobilisait de nombreuses personnes avec un degré de complexité et de lourdeurs notables. Et une fois le modèle construit, après force interviews, réunions d’experts métier et tableaux excel, il était rapidement obsolète, ce qui limitait les possibilités de s’appuyer pleinement sur cet outil pour mettre en place les actions pertinentes.
Alors imaginez aujourd’hui, dans un environnement plus volatile et incertain que jamais, avec des compétences qui évoluent de plus en plus rapidement, qui ont une durée de vie de plus en plus courte (de l’ordre de quelques mois, en particulier dans les métiers du digital) ! Cette approche est devenue anachronique.
Mais alors, qu’est-ce qui pourrait fonctionner d’après vous et qui collerait avec notre environnement actuel ?
Nous avons besoin de plus d’agilité. Ceci a été parfaitement illustré par Frédéric Laloux dans son ouvrage « Reinventing Organizations » : il prend l’exemple de l’écosystème, à l’image d’une forêt, qui s’adapte de façon naturelle, immédiate et intuitive aux changements de son environnement. Chaque partie de l’écosystème fait ce travail d’adaptation de manière autonome en fonction des caractéristiques de son environnement immédiat.
C’est un type d’organisation qui se pose en rupture à l’organisation hiérarchique où l’adaptation nécessite que toutes les décisions passent par un modèle pyramidal et centralisé (remontée des décisions au sommet) qui est consommateur en temps et peut parfois conduire à la mort de l’organisation avant qu’une réponse ne soit formulée !
Je pense que l’on peut tout à fait appliquer le modèle de l’écosystème à l’évolution des compétences dans une entreprise. Cela revient à poser le principe que c’est à chaque personne dans l’entreprise de prendre en charge et d’assurer sa propre évolution et montée en compétences plutôt que d’attendre, de manière passive, que des programmes de formation soient mis en place par l’entreprise.
Bien entendu, un tel changement de modèle ne peut pas se décréter et devenir réalité immédiatement. Il ne s’agit pas d’abandonner les collaborateurs à leur sort ! Un accompagnement fort doit être mis en place, pour que chacun prenne conscience de la nécessité de faire évoluer ses compétences, que chacun comprenne que c’est de sa responsabilité de se former, et enfin pour donner à chacun les moyens d’accéder aux formations, aux expertises, aux expériences dont il a besoin.
Au-delà des catalogues de formations, MOOC et autres formations disponibles sur étagères – utiles notamment pour découvrir et s’approprier des concepts de base - je pense qu’un moyen efficace de développer et maintenir ses compétences à jour est de mettre en place des communautés d’experts.
Dans ce type de communauté, chaque collaborateur-expert réalise des veilles sur l’évolution de l’environnement et des compétences qui y sont associées (rôle de capteur sociétal). A charge ensuite pour lui de partager tout ce qu’il a pu observer (innovations, nouvelles compétences, nouveaux métiers, …) avec sa communauté (dispositif d’apprentissages réciproques).
Il s’agit de combiner en continu et de manière agile des activités de veille, de partage et d’apprentissage. Chaque collaborateur jouant alternativement son rôle de veilleur, de « donneur » ou d’apprenant. Un développement d’expertise « open source », autrement dit.
Dans cette vision des choses, très « bottom-up », cela veut-il dire que c’est la fin de la stratégie et la fin des plans de développement des compétences à trois-cinq ans au profit d’une approche incrémentale et pragmatique ?
Peut-être à terme, dans un monde idéal, où nous aurions réussi à mettre en place des communautés d’experts qui feraient tous de la veille et qui partageraient tous leur expertise. Alors, peut-être, nous n’aurions plus besoin de faire de projections à moyen terme.
Mais, soyons réalistes, les communautés d’experts risquent de prendre du temps à se mettre en place. Nos habitudes de travail sont très ancrées. Il va falloir faire bouger les organisations pour que ce système idéal se mette en place. C’est vraiment un travail de conduite du changement conséquent, avec des modifications d’habitudes majeures pour que l’on puisse arriver à un tel résultat.
Qu’est-ce que l’on fait en attendant cette organisation idéale ?
Nous commençons par simplifier les outils et les démarches RH.
Si l’on prend l’exemple des référentiels de compétences : il ne s’agit pas, dans un premier temps, de les supprimer ; en revanche, il faut se concentrer sur des compétences génériques – notamment les compétences relationnelles et comportementales (les fameuses « soft skills ») – qui permettront de mettre en place rapidement les actions permettant de faire évoluer les compétences, sans aller dans un niveau de détail trop important.
Prenons le cas des métiers des médias. Nous observons qu’un certain nombre de métiers, comme l’achat presse ou TV, vont être en perte de vitesse dans les années à venir. A contrario, d’autres métiers, ceux liés au digital, sont en expansion (augmentation des volumes d’achat et des revenus). Il est clair que l’un des enjeux de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est de faire progresser les équipes sur les compétences de demain pour leur permettre de migrer vers les emplois d’avenir et conserver leur employabilité.
Dans notre façon d’aborder ensuite le problème, ce qui change, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de construire un plan d’actions RH que l’on propose de façon top down aux collaborateurs ; la veille prospective doit être construite et partagée avec les managers des différentes équipes (celles où les emplois sont demain en réduction, celles dont les emplois sont en développement), afin de les responsabiliser pour qu’elles organisent le transfert de compétences et qu’elles créent des synergies entre elles.
Un autre moyen de faire bouger l’organisation est de valoriser l’initiative, le partage et l’innovation.
Si l’organisation ne fixe que des objectifs quantitatifs - autrement dit « faire du chiffre » - à ses collaborateurs, ces derniers ne sont pas incités à se mettre au service du collectif et à intégrer l’importance de faire des veilles et de les partager. Je pense que nous devons mettre davantage d’emphase, dans nos revues de performances, sur la valorisation des pratiques d’innovation, d’acquisition de nouvelles compétences et ne pas seulement nous focaliser sur le « Delivery » au quotidien.
Nous pouvons également faire évoluer les pratiques en modifiant nos critères de recrutement. Au lieu de privilégier les seuls critères d’expertise technique, nous pouvons décider d’accorder plus d’importances aux « soft skills » telles que la capacité à apprendre, la curiosité, la capacité et l’envie de partager ses compétences. C’est un autre moyen de rendre l’organisation apprenante et agile.
Nous avons d’ailleurs fait un premier essai l’année dernière lors d’un processus de recrutement pour un métier d’expertise media (trader programmatique) qui demande des compétences rares. Nous avons donné leur chance à des candidats qui n’étaient pas des experts dans le métier, mais dont les « soft skills » étaient avérées. Et les résultats nous ont donné raison. Après un programme de formation au métier – la Programmatique Academy - ils ont été opérationnels en quelques mois. Ce succès nous pousse à renouveler l’expérience pour d’autres métiers.
Vous insistez sur l’importance de rendre les collaborateurs acteurs de leur développement et de leur adaptation à l’environnement. Comment estimez-vous leur degré de maturité sur ce sujet ? Distingue-t-on différents profils (typologie) ?
Nous avons des populations très différentes en terme d’agilité à apprendre, à se remettre en question et à acquérir de nouvelles compétences :
• Nos collaborateurs qui travaillent dans les métiers du digital, métiers en constante évolution depuis des années, sont déjà engagés, pour la plupart, naturellement dans une veille permanente - quel que soit leur âge d’ailleurs. Cela fait partie de l’ADN de leur métier d’apprendre en permanence et de monter en compétences sur les nouvelles technologies qui émergent sur le marché ;
• A l’inverse, nos collaborateurs qui sont positionnés sur des métiers plus traditionnels ont pendant des années connu peu d’évolutions. Ils n’ont donc eu aucune raison de mettre en place une démarche de veille permanente. Bien entendu, aujourd’hui, ils sont conscients que leur métier est en grande transformation, voire menacé, mais certains risquent d’adopter plutôt une attitude attentiste et de s’en remettre à l’entreprise pour mettre en place des actions.
Pour finir, quel est votre regard sur la substitution « des machines » au travail humain et sur l’impact que les technologies ont sur les emplois au sein de Publicis ? Etes-vous plutôt optimiste ou pessimiste ?
Dans les médias et la publicité, nous vivons un changement de modèle. Nous sommes moins confrontés à une problématique de remplacement des hommes par des machines, que par l’obligation de repositionner nos métiers si nous voulons survivre. C’est d’ailleurs la stratégie qui est déployée par notre PDG Arthur Sadoun. Nous ne sommes plus seulement dans un métier de création et d’achat d’espaces publicitaires. Nous nous positionnons maintenant sur le conseil à forte valeur ajoutée auprès de nos clients sur des sujets tels que la transformation Marketing et la stratégie de marque, et jusqu’à leur transformation digitale grâce à Publicis Sapient. C’est pourquoi, pour l’année 2019, nous allons logiquement consacrer une partie importante de notre effort à développer nos équipes sur la posture de conseil, sur l’ouverture culturelle, la culture Marketing et la culture de Marque.