Par Alain TEDALDI, Directeur général Institut Esprit Service
Humain et sens sont au cœur des enjeux de transformation. Le droit à la déconnexion, l’égalité femmes-hommes dans la vie professionnelle, l’intergénérationnel renforcé, les interactions entre vie professionnelle et personnelle, l’ouverture à toutes les diversités, … sont autant de combats riches de sens. Mais l’entreprise doit aller encore plus loin pour attirer et retenir les talents, apporter des solutions conciliant culture du bien-être et performance globale et dans le même temps renforcer son propre positionnement et répondre aux aspirations d’épanouissement des générations au travail.
Au regard des tendances structurelles de transformations du monde du travail et des relations sociales, les dimensions économiques, sociétales, technologiques et environnementales, aujourd’hui étroitement liées, nécessitent de mieux intégrer les questions de qualité de vie au travail en les inscrivant dans les réflexions de long terme des entreprises. Toutes les entreprises sont concernées, de la start-up à la TPE, de l’ETI au groupe côté, même si les contextes internes seront naturellement différents.
Six ans se sont écoulés depuis la signature en juin 2013 de l’Accord National Interprofessionnel sur l’égalité professionnelle et la qualité de vie au travail qui a défini la QVT comme un ensemble de conditions dans lesquelles les salariés exercent leur travail, leur capacité à s’exprimer et agir sur son contenu, et en induit leur perception de leur propre qualité de vie au travail. Au-delà des évolutions du cadre législatif sur la QVT, intégré depuis dans le code du travail, et du caractère obligatoire de négociation induit, s’il n’y avait qu’un élément à retenir, ce serait celui de transformer le management et les modèles organisationnels en profondeur, de faire évoluer les écosystèmes de travail dans une approche moins verticale, de créer les conditions pour engager, manager et prendre des responsabilités, et de détecter pour les traiter ces signaux faibles qui attesteraient d’un climat interne potentiellement annihilateur de performance.
Là est le cœur même d’une politique QVT qui au-delà des considérations juridiques et sociales doit devenir un vrai projet d’entreprise qui facilite l’épanouissement des collaborateurs, lui-même garant de sa pérennité et de celle des emplois qui lui sont associés.
Pour ce faire, une des conditions majeures est de recréer le terreau pouvant générer une culture de la coopération entre les acteurs. Les organisations matricielles, le mode projet et la transversalité obligée ont été à l’origine de lourdeurs et de tensions souvent dénoncés. La voie en croissance est de développer le champ de la responsabilisation et de l’autonomie pour créer de nouveaux espaces et mobilités dans lesquels les collaborateurs puissent trouver leur propre destin et donner leur pleine mesure. Pas de coopération possible sans organisations repensées et simplifiées, et organigrammes allégés. Mais cela ne suffit pas…
Le management en souffrance cause première de la souffrance des collaborateurs ?
Revisiter le management et le contenu du travail semblent essentiels pour ne pas créer de frontières invisibles entre d’un côté la problématique de la performance et de la compétitivité de l’entreprise au cœur des enjeux de création de richesses, et d’un autre côté les préoccupations de bien-être, notion prise ici au sens large, des individus en les séparant des réflexions sur l’avenir à long terme de l’entreprise.
Il est nécessaire de redonner ses lettres de noblesse au management et au leadership. Or, la formation managériale me semble-t-il fait défaut dans la mesure où elle est de moins en moins alignée sur les évolutions de la société, des comportements citoyens, des nouvelles connaissances sur les ressorts psychologiques de chacun. Le management s’est bien souvent appauvri, asséché, aseptisé, est devenu moins attractif auprès des collaborateurs qui ne veulent de fait plus prendre de responsabilités d’encadrement. Les objectifs assignés aux managers devenus des moutons à cinq pattes créent de moins en moins les conditions de sérénité prérequis nécessaire pour gagner en performance individuelle et collective. Ce n’est pas pour rien que la remise en cause de lignes managériales s’est posée dans certaines entreprises.
Force et de constater qu’après une période de mise en cause des managers sur le désengagement avéré des salariés, les dirigeants réinvestissent sur un accompagnement des managers conscients de la difficulté de rôle. Ils doivent se montrer encore plus sélectifs et exigeants à l’égard de ceux qui constituent le corps managérial. La fonction de manager doit également redevenir attractive auprès de nouvelles générations qui ne veulent plus endosser ces responsabilités. Il ne s’agit plus d’essayer de transformer tous les managers, mais de choisir les managers facilitateurs dont l’organisation a besoin, les accompagner et les aider au mieux, et créer les mobilités vertueuses pour celles et ceux qui ne sont plus adaptés pour cela.
QVT, mais comment faire ?
Il est bon de repenser l’agilité et la flexibilité au-delà des slogans, tout en garantissant les capacités managériales qui valorisent le leadership, les valeurs humaines, la prise de décision face à l’incertain et la recherche de coopérations multiples.
Les rôles et missions du manager évoluent structurellement. Les dimensions de pilotage, de facilitation, de détection et rayonnement des talents seront de plus en recherchées et travaillées en interne. Condition sine qua non pour réponse à la nécessité de rendre à nouveau attractif le management.
Insuffler une culture d’intrapreneuriat et encourager les initiatives fondées sur le droit à l’essai dépendent en grande partie du leadership et de l’exemplarité des dirigeants mais aussi des N+1 des collaborateurs, dans la conformité des actes et des prises de parole.
La prise en compte des comportements managériaux dans l’évaluation et la rémunération individualisée des managers est une dimension encore peu systématisée. Mais cette voie constituera aussi un levier utile pour responsabiliser et élever le niveau de jeu des managers.
Bien manager, bien intégrer, bien recruter, les profils, expériences et compétences les plus cohérents au regard de la culture et des modèles économiques sera toujours essentiel… peut-être encore plus critique à un moment où les organisations classiques ne répondent déjà plus aux attentes, en d’autres termes ne donnent plus envie aux nouveaux entrants sur le marché du travail.
Enrichir le contenu même du travail est un défi prioritaire
Réconcilier la finalité de performance économique de l’entreprise avec l’amélioration du bien-être des individus au travail est en soi facile à comprendre lorsque l’on met sur la table les défis posés par la QVT. Et pourtant, nous n’avons jamais autant parlé d’engagement, de construction de liens sociaux, de plaisir au travail ou d’envie entrepreneuriale. Au-delà d’effets de modes conjoncturels, la réflexion sur la nature même du travail dans l’entreprise est une démarche essentielle source de progrès et d’innovations.
De nombreuses enquêtes mettent en évidence la quête de sens des collaborateurs, le besoin d’autonomie et de responsabilité - quitte à y être préparé, formé, accompagné – et la volonté de réaliser un travail intéressant. Derrière cette évidence, il est pertinent dans une approche de compétences de passer en revue l’ensemble des activités des collaborateurs d’une organisation pour en déterminer les tâches substituables et automatisables et celles qui sont à repenser au profit de la qualité intrinsèque du contenu du travail.
Les tendances structurelles d’évolution du monde du travail doivent nous permettre collectivement de repenser les formes de travail, les leviers de l’engagement et des interactions sociales, la porosité entre vie professionnelle et personnelle, l’hybridation entre intelligences artificielles et humaines.
Face à cette perte de repères et de certitudes, le renforcement de l’employabilité grâce à la montée en compétences clefs de chacun est une piste d’avenir pour le collaborateur et pour l’organisation. Et elle est souvent bien perçue comme telle.
Quelques tendances impactant la qualité de vie au travail
1. La mutation sociétale des comportements et modes de vie est rapide, amplifiée par l’essor de l’univers numérique. L’évolution vers une société du sens et de la connaissance remet en question les modèles de fonctionnement et d‘anticipation usuels au sein des organisations. L’instabilité voire l’obsolescence des modèles d’organisation et des pratiques usuelles dans le travail accentue la perception d’appauvrissement du travail, de son travail. Changer cette perception du collaborateur est un défi majeur.
2. Le décloisonnement du travail devrait s’accroître et chahuter le lien entre l’employeur quel qu’il soit et le collaborateur. La recherche de cohérence entre travail individuel et collectif ajoute une dose de complexité pour faciliter l’innovation et l’esprit critique. Un enjeu majeur de l’entreprise est de renforcer la mixité générationnelle, des profils, des horizons de chacun.
3. Les nouveaux espaces et mobilités dans le travail présentiel ou à distance, nomadisme et télétravail, flexibilisation accrue, vont impacter fortement les démarches de QVT dans la quasi-totalité des entreprises et les obliger à élever la performance du management à distance en particulier.
4. La capacité de créer de nouveaux liens sociaux revient au cœur des préoccupations. Ces champs d’investigation sont essentiels pour accompagner les mutations des entreprises et transformer les menaces en opportunités et gisements.
5. Répondre à l’obsolescence des compétences et à l’ingratitude des tâches. La robotisation prise au sens large devrait décharger l’humain d’activités peu valorisantes et lui permettre de mener un travail plus créatif.
Quelques pistes pour appréhender au mieux la mise en œuvre
La démarche de QVT devrait être réellement participative et flexible en associant le collectif au-delà des organigrammes établis des individus de toutes entités et directions, cadres et non cadres, collaborateurs, managers et dirigeants. Mais le sponsoring sera porté au plus niveau de l’organisation par un ou plusieurs membres du comité de direction, et son état d’avancement sera intégré dans le pilotage stratégique de l’entreprise. Si tel n’était pas le cas, nous nous retrouverions dans des cas de figures connus d’opérations à effet placebo ne traitant pas la profondeur des maux.
Sans être révolutionnaire dans l’approche, voici quelques orientations :
Définir un état des lieux de QVT, partagé et accepté par l’ensemble des parties prenantes de l’entreprise, tout en se donnant le temps nécessaire à la concertation et à l’échange ;
Prioriser quelques axes de transformation en initiant des actions bien définies et balisées et qui favoriseront leur généralisation dans un horizon de temps court. Cette feuille de route pourra être actualisée, tout en étant dotée d’un agenda et de ressources dédiées, humaines et budgétaires ;
Être ambitieux sans embrasser trop large. Souvent, des micro-initiatives de ruptures ou incrémentales permettent de créer les conditions du dialogue en instaurer la confiance, préalable indispensable pour lancer des actions de plus grande envergure ;
Les employeurs devront favoriser mixité, pluralité, ouverture et hybridation. Nos organisations se regénèreront par le partage et la transmission intergénérationnels des expertises et des connaissances, que ce soit par du tutorat revisité ou du reverse mentoring qui laisse aux jeunes une liberté d’apporter leurs savoirs aux moins jeunes.
La QVT étant le fruit de perceptions positives ou plus mesurées, bien souvent fondées et argumentées, il ne faudra pas en restreindre le champ d’investigation aux seuls domaines du droit et du social. Certes indispensables, ils devront être nourris d’approches et de disciplines nouvelles dans l’entreprise telles que les convergences entre IA et activité humaine, les impacts des technologies sur le travail et les modes de vie, la recherche de nouvelles expériences collaborateurs, la mise en place de nouvelles démarches collaboratives autour du design d’expérience, et bien d’autres encore.
Ainsi, la corbeille de fruits frais en référence au titre de l’article sera perçue comme un plus contribuant au bien-être et cohérent avec la culture de l’organisation, et non plus comme un substitut artifice de communication interne.