Si dans le milieu des ressources humaines les compétences requises se polarisent fortement aujourd’hui entre des « hard » et « soft skills », notamment avec l’arrivée de l’intelligence artificielle, cette polarité implique surtout un développement d’excellence du capital humain au sein des entreprises. Pour ce faire, le secteur de la formation est invité à se transformer et à embarquer la technologie au centre de l’expérience de l’apprenant. L’enjeu : stimuler nos compétences cognitives, nous confronter aux meilleurs scenarios d’apprentissage, séduire les talents. Parler ainsi de la formation de demain, c’est savoir créer les environnements homme-machine (ou « IHM » pour Interfaces Homme-Machine, voire « ICM » pour Interfaces Cerveau-Machine) capables de préparer les salariés aux avancées technologiques et au virage X.0 pris par les entreprises. Nouvelles compétences, « growth mindset » et agilité vis-à-vis des environnements de travail toujours plus complexes : autant de gages pour booster la performance et soutenir la transformation des entités. Retour sur les transformations qui s’opèrent dans le monde de la formation.
Le virage X.0 impose une formation augmentée
L’enquête annuelle du Forum économique mondial, - Technology, Skills and the Future of Work - concernant l’approche des jeunes de 18 à 35 ans des Etats de l’Asie du Sud-Est à l’égard des emplois et des compétences et l’impact de la technologie sur l’avenir du travail, vient tout juste d’être publiée. Le constat est net : « les jeunes sont tout à fait conscients des perturbations et des risques potentiels que la quatrième Révolution industrielle peut causer à l’économie mondiale ». Ainsi, 52,4% des jeunes croient, par exemple, qu’ils vont devoir améliorer constamment leurs compétences, d’autres que leurs compétences actuelles sont déjà obsolètes. Un sentiment commun à vouloir être formé tout au long de leur vie est donc prégnant afin d’être confronté aux multiples environnements de travail qui les attendent.
Cette préoccupation concerne aussi les leaders dans leur lutte pour la recherche, la captation et la rétention des meilleurs des talents. En effet, la principale raison pour laquelle un jeune explique vouloir changer de travail est dans l’acquisition de nouvelles compétences.
On l’aura compris, l’investissement dans la formation, et notamment dans la formation professionnelle, devient pour les entreprises mondiales un enjeu stratégique. En France, le dernier rapport d’EduCapital rappelle ainsi qu’en cinq ans, les investissements dans les EdTechs (contraction de « Educational Technology ») ont dépassé les 200 millions l’an dernier.
Gamification, réalité électronique, et commande vocale : en route vers la multimodalité
Amy Webb, « futurologue quantitative », fondatrice de l’Institut Future Today et professeure à la New York University Stern School of Business, l’a d’ailleurs prédit dans son dernier « Tech Trend 2019 » présenté au festival SXSW : l’apprentissage adaptatif sera davantage intégré dans la formation du personnel et dans les programmes de développement des talents. La raison ? « Les applications de réalité augmenté en milieu professionnel augmentent la productivité et réduisent les coûts de formation », explique cette même étude. Pour autant, le succès dépend largement de l’interface utilisateur proposée. Si nous avons connu la période des MOOC (Massive Open Online Courses) au début des années 2010 dans les entreprises, la tendance va aujourd’hui davantage à la gamification et à l’immersif (ou immersive learning) où il est possible d’intégrer des scénarios de plus en plus complexes en termes d’ingénierie pédagogique mais aussi plus de réalisme. En effet, le taux d’abandon des formations en ligne (l’e-learning) étant important, c’est l’ergonomie, le game play, le design de l’attention, - autrement dit l’expérience utilisateur - qui se jouent désormais à plus d’un titre.
Et ça tombe bien puisque de nettes avancées existent aujourd’hui en matière d’interfaces Homme-Machine (IHM). Ces dernières sont plus « naturelles », fluides, mixant ainsi « voice » et « gesture », et demain, peut-être, « touch » et « speech ». Plus précisément, cela revient à l’intégration d’applications multimodales, autrement dit la combinaison de plusieurs modes expressifs via des systèmes de reconnaissance (technologies de la reconnaissance de la parole, du langage naturel, des gestes, des émotions, de la personnalité..), et d’augmentation de certaines « réalités électroniques », comme le décrivait récemment Luc Julia dans un entretien Linkedin. Nous serions ainsi sur le point d’arriver au « Zéro User-interface », des interfaces dites frictionless. Et, l’ensemble de la récupération de signaux (émotions dans la voix, par exemple) permet ainsi de créer des environnements d’apprentissage hyper-réalistes.
Par ailleurs, l’arrivée de Siri (Apple 2011), de Microsoft Cortana, d’Alexa, de Google Assistant mais aussi de tout un marché de la voix (estimé à 49 milliards de dollars selon les données récentes de Cb Insights de févier 2019) rappelle que la voix sera à court terme la prochaine grande plate-forme pour les consommateurs et les entreprises. La conception des interfaces vocales (les « Voice User Interfaces » - VUIs) s’inspire ainsi des jeux vidéo (dans son rapport à la narration) et vient se mêler à des environnements immersifs, comme la réalité virtuelle, augmentée ou mixte pour impliquer davantage l’utilisateur.
Des sujets clés et de premiers business cases
Dans la formation professionnelle plusieurs grandes entreprises expérimentent déjà des programmes immersifs autour du développement des « soft skills », à l’instar d’Orange Belgique, Bouygues, Sixt grâce à la solution de réalité virtuelle PitchBoy qui permet de former les employés. Un des récents exemples emblématiques est celui de Walmart, le géant américain de la distribution, qui a annoncé en septembre dernier à former un million d’employés avec 17 000 casques Oculus Go. Ainsi, chaque supermarché sera doté de 2 à 4 casques pour des formations aux nouvelles technologies, à la sécurité ou encore au bon relationnel client.
Des sujets clés - comme ceux de l’empowerment des femmes, le développement de l’empathie dans le management – trouvent également leurs premières solutions technologiques pour davantage engager et sensibiliser les salariés. C’est le cas de la société Vantage Point (basée à Los Angeles) qui propose des programmes de formation en réalité virtuelle sur le harcèlement sexuel en rendez-vous.
Les universités s’y mettent aussi, à l’instar de la Singularity University (SU) avec l’acquisition de la société de conseil et de formation Uncommon Partners (UP) qui a, par exemple, proposé à une équipe d’Airbus de prototyper une solution impliquant une accélération exponentielle des technologies qui réponde à un besoin réel de formation des employés afin de former leurs équipes.
Enfin des dispositifs plus poussés proposent une expérience autour du « clic cérébral », autrement dit l’accomplissement de tâches en réalité augmentée en utilisant notre esprit. C’est le cas de la société Neurable qui parie sur la reconnaissance des émotions et s’est inspirée de la série américaine Stranger Things pour son jeu en réalité virtuelle, Awakening, réalisé en partenariat avec eStudiofuture. L’Interface Homme-Cerveau pourrait être ainsi un des champs d’expérimentation pour immersive learning de demain.
Entre échec des grandes écoles sur la formation continue, enjeux autour du change management et nécessaire qualité des formations, les entreprises du CAC 40 en France, ont tout intérêt de s’intéresser au phénomène des EdTech, et notamment celui de l’immersive learning. Deux chiffres à avoir ainsi en tête qui annonce un bel avenir pour ce secteur : 79% de ceux qui ont essayé la Réalité Virtuelle ou Augmentée veulent réitérer l’expérience, et 81% disent en avoir parlé à leurs amis après avoir essayé (étude réalisée par YUME en 2017).