Les définitions de l’intelligence artificielle sont très nombreuses. Ce sont des techniques qui visent à imiter ou simuler l’intelligence humaine dans des machines. Dans la pratique, des fonctions très isolées de cette intelligence sont traitées. Elles le sont avec des performances qui vont en deçà ou au-delà des capacités humaines.
Les domaines où les machines nous dépassent sont la mémoire et la capacité de calcul. Cela se retrouve dans les fonctions du machine learning appliquées à de gros volumes de données d’entraînement et qui permettent de faire des prévisions chiffrées ou des classifications d’objets divers. Le traitement des images est un autre domaine où l’IA fonctionne très bien. Le deep learning qui s’est développé depuis 2012 permet de repérer des formes et objets dans les images avec une précision et une vitesse qui dépassent maintenant régulièrement les capacités humaines.
Le traitement du langage est un domaine qui progresse rapidement, que ce soit pour la création d’agents conversationnels ou pour la traduction automatique. Mais il reste très imprécis et sujet à un taux d’erreurs encore assez élevé. Deux domaines de l’IA sont encore très en deçà des capacités humaines : le raisonnement général et la capacité à se mouvoir dans l’espace et à bien interpréter son environnement de manière multisensorielle.
Malgré ces limitations, la boîte à outils de l’IA sait rendre de nombreux services et automatiser des tâches fastidieuses. L’assemblage des briques de l’IA reste une approche très artisanale avec la création de nombreuses solutions ad-hoc en général assez peu flexibles. Les solutions d’IA d’aujourd’hui sont dominées par les techniques de machine learning qui exploitent de gros volumes de données d’entraînement labellisées : textes, images, vidéo, audio. Bref, sans données, pas de deep learning ! D’où le besoin de deux types de compétences pour créer des solutions d’IA : d’un côté pour préparer, nettoyer et labelliser les données, ce qui peut être une tâche fastidieuse, et de l’autre, pour développer les solutions logicielles et les expérimenter.
Le secteur de l’éducation est depuis longtemps un grand champ de promesses pour les usages de l’intelligence artificielle. La panoplie complète des briques de l’IA peut être mise à contribution dans l’éducation : que ce soit pour traiter du langage, des images, des données structurées ou même du raisonnement automatisé simplifié.
Les applications pressenties touchent souvent à la personnalisation de l’enseignement à distance via des agents conversationnels intelligents capables de suivre et accompagner pas à pas les élèves dans leur progression .
On en est encore au stade des expérimentations et la littérature sur le sujet est pour l’instant assez vague .
Quelle place pour les robots dans le tutorat à distance ? publié en octobre 2016, Jacques Rodet pose de bonnes questions sur les usages du numérique et de l’IA dans l’enseignement. Quatre ans après, ces questions sont toujours d’actualité. Le tableau ci-dessous qui en est extrait décrit les tâches dans l’ensei¬gnement qui peuvent être automatisées et celles qui demanderaient encore des enseignants. Plus de la moitié des tâches requièrent ces derniers dans le tableau.
On se retrouve donc dans une situation courante de l’IA : si celle-ci permet d’automatiser certaines tâches isolées, elle ne peut pas le faire sur l’intégralité de métiers. L’IA fournit un outillage complémentaire des tâches humaines.
Malgré leurs limitations, les applications potentielles de l’IA dans la formation sont assez nombreuses . En voici un petit inventaire probablement non exhaustif.
Support des élèves via un agent conversationnel, ce qui suppose un environnement pédagogique bien formalisé dans l’agent . Celui-ci devrait aussi avoir accès à l’historique personnel de l’élève, savoir tout sur lui de sa scolarité et sur ses forces et faiblesses. Sur des tâches élémentaires, ce genre d’outil allégerait la tâche des enseignants, leur permettant de mieux jouer le rôle de mentor. Ces outils permettraient aussi d’accompagner les élèves hors des classes et dans les outils d’enseignement à distance (MOOCs) pour personnaliser l’enseignement, l’assimilation des compétences et la réussite des tests.
Diverses études récentes ont cependant montré que les élèves faisant de l’apprentissage uniquement via des MOOCs obtenaient de moins bons résultats que les élèves passant par des cours en présentiel. L’IA peut-elle arriver à la rescousse ? Certaines sociétés essayent de le faire. Ainsi l’environnement d’apprentissage Acarya de Skillogs (2015, France) permet un apprentissage adapté à la vitesse de chaque élève, selon leur niveau. La solution s’appuie sur les briques logicielles d’IBM Watson. De son côté Domoscio (2013, France, $569K) propose un " outil d’ancrage adaptatif mémoriel " fondé sur l’IA. Il analyse le niveau et la manière d’apprendre des élèves pour leur proposer le contenu adapté et au bon moment, histoire de favoriser la mémorisation. C’est utilisé pour la formation continue et dans l’enseignement supérieur.
Accompagnement d’une classe, permettant aux enseignants d’identifier les forces et faiblesses d’un groupe d’élève, les parties bien assimilées ou pas d’un cours et leur niveau d’attention. Des techniques utilisant des caméras et autres capteurs permettent déjà de capter l’attention générale d’une audience et de segmenter les groupes d’individus par comportement. Cela permet aussi d’ajuster le contenu de cours car l’attention dépend aussi des pratiques de l’enseignant. Cela fait partie du périmètre de sociétés américaines telles que Content Technologies (2005, USA), qui cependant ne cible pas que le secteur de l’éducation, modèle économique oblige et Carnegie Learning (1997, USA, acquis par Apollo Education Group, $14M) qui est focalisé sur l’enseignement des mathématiques dans le secondaire et le supérieur . A partir des résultats de tests, des solutions à base de machine learning permettent une classification automatique des élèves en groupes homogènes.
Analyse de l’attention des élèves et de la performance des enseignants. Là encore, des outils vidéo de détection des émotions et de l’attention pourraient permettre de suivre les élèves inattentifs ainsi qu’évaluer les enseignants qui n’arrivent pas à capter l’attention de leurs élèves. Ce sont cependant des domaines où il faut se méfier du solutionnisme technologique selon lequel on peut résoudre tous les problèmes avec de la technologie. Ici, la méthode est contestable et probablement difficile à justifier économiquement pour l’équipement de toutes les salles de classes. Mais le monde est grand et cela sera sûrement expérimenté quelque part si ce n’est pas déjà fait.
Notation automatique des élèves, qui fonctionne surtout pour la partie simple à analyser de tests sous forme de QCMs. Elle est plus délicate pour leur partie qualitative et la réponse à des questions ouvertes. La notation de copies manuscrites d’élèves est difficile à généraliser du fait des limitations de la reconnaissance d’écriture. Mais cela peut fonctionner dans certains contextes. Ainsi, Gradescope (2014, USA, $5,3M) réduit-il par deux le temps que les enseignants passent à noter les copies des élèves d’examens passés en ligne, avec la reconnaissance d’images appliquée aux exercices dans les sciences " dures " (maths, physique, chimie, biologie, informatique). Le système regroupe les réponses par catégories ce qui permet de noter une seule fois chaque réponse différente.
Apprentissage de l’écriture avec l’analyse de l’écriture manuscrite automatique qui fonctionne de manière limitée, et plus efficacement sur la détection de lettres individuelles. Des outils de ce type sont proposés sur tablettes dotées de stylets.
Accompagnement d’élèves à déficits cognitifs, qui peut exploiter diverses techniques de captation et de suivi de l’attention. Cela comprend l’usage de robots accompagnant les enfants dans certains processus d’apprentissage, notamment à destination d’enfants aspergers ou autistes. C’est l’application du petit robot de Leka ainsi que le Nao de Softbank Robotics, anciennement Aldebaran Robotics.
Outils d’accès à la connaissance. L’éducation, surtout dans le secondaire et le supérieur peut bénéficier de l’usage de moteurs de recherche plus intelligents. Ils peuvent être complétés d’autres outils qui permettront de détecter des fausses nouvelles ou informations (" fake news ") aussi bien sur des aspects qualitatifs que quantitatifs. La détection des fausses nouvelles s’appuie sur deux types d’informations : leur contenu lui-même et la syntaxe et la grammaire utilisée, et les métadonnées associées, à savoir : qui a créé l’information, qui l’a diffusée, propagée et relayée.
Détection de fraude et de plagiat, une application qui n’est pas souvent évoquée et qui porterait sur les épreuves de concours et sur les thèses, en disposant de versions numériques des textes des élèves, la reconnaissance d’écriture à grande échelle n’étant pas suffisamment fiable.
Serious games. Dans certains contextes, les jeux peuvent être mis en place pour certains apprentissages, aussi bien de l’écriture que des mathématiques, de physique ou de sciences de la vie. L’IA peut en théorie aider à les conçevoir et à les rendre personnalisables en fonction de chaque enfant. Se posera cependant à chaque fois la question de l’apprentissage de l’IA elle-même et des données qui l’alimentent. S’il s’agit de règles et de faits, on retombe dans des moteurs de règles traditionnels. S’il s’agit d’exploiter des données de jeux d’autres élèves pour faire de l’apprentissage supervisé ou non d’une IA, alors le volume de données nécessaire pourrait dépasser l’entendement. L’usage d’IA dans ce créneau dépendra de l’équation économique de la formation et donc, de son audience. Ce qui favorisera les langues dominantes dans les pays développés, l’anglais en premier.
Aides sur le développement kinétique avec des solutions divers exploitant plus ou moins d’IA dans les sports, la danse, les apprentissages de mouvements dans l’espace en général. L’analyse visuelle des corps permet de diagnostiquer les points d’amélioration. Nous avons aussi vu qu’il existait déjà des générateurs de mouvements synthétiques exploitant des réseaux génératifs. En pratique, pour créer des vidéos avec les visages et le corps des enfants qui se déplacent sur des mouvements réalisés par d’autres enfants.
Education à l’IA. Tous les outils cités précédemment sont de l’IA appliquée à l’éducation. Reste à s’intéresser à l’enseignement de l’IA elle-même. Il est probable qu’il se positionnera dans la lignée des enseignements du numérique avec d’un côté des enseignements sur les usages des outils exploitant de l’IA, et de l’autre, à la création de ces outils pour les futurs professionnels du secteur. Cela passe par l’explication des concepts de base de l’IA, la description des applications dans le raisonnement automatique, le traitement des données, celui des langages et de la vision, puis des systèmes qui les embarquent (mobiles, robots, véhicules autonomes, chatbots, agents vocaux…). Pour les techniciens et ingénieurs, il faudra passer par des mathématiques, des concepts nombreux autour des réseaux de neurones, des outils de développement, de la data science, de l’architecture de systèmes et de l’intégration.
Recrutement. L’IA est mise en œuvre aux USA dans les universités pour les aider à recruter les meilleurs étudiants comme chez Plexuss (2014, USA, $3,1M) ou, au contraire, pour aider ces derniers à trouver la meilleure université avec Admitster (2014, USA).
Sécurité d’accès. Elle exploite la vidéo surveillance et la détection des visages. C’est une application que l’on ne voit pas encore en France, heureusement, mais qui se développe en Chine .
Toutes ces solutions à base d’IA sont encore faiblement déployées sur le terrain. Elles sont difficiles à mettre au point et à déployer à grande échelle. L’éducation est un de ces secteurs d’activité où la fragmentation est la norme. Et elle ralentit l’automatisation. Ici, il s’agit de la fragmentation des pratiques d’enseignement, des matières, des contenus, des méthodes et typologies d’élèves, multipliée par les variantes linguistiques et culturelles. Comme les logiciels en général, l’IA est pertinente lorsqu’elle génère des économies d’échelle.
Il est possible cependant que le marché de la formation continue dans les entreprises puisse être propice à un déploiement plus rapide de l’IA que dans la formation initiale dans les cycles primaires et secondaires. Il est potentiellement moins fragmenté, notamment pour ce qui est des contenus en anglais. Il est aussi plus solvable et peut s’appuyer plus que dans la formation initiale sur des techniques de formation à distance.
Il restera aux acteurs de ce secteur d’intégrer l’incontournable dimension éthique de l’IA pour créer des solutions qui respectent la vie privée et le RGPD européen, qui évitent de transposer des biais d’origine humaine issus des données d’entraînement et qui ne créent aucune forme de discrimination. Les innovateurs ne vont pas forcément résoudre toutes ces questions d’emblée lors de la conception de leurs solutions. Ils devront cependant conçevoir des solutions qui peuvent être adaptées facilement et corriger les biais identifiés au fil de l’eau. Comme tous les logiciels, les solutions à base d’IA ne sont pas statiques. Ce sont des outils qui doivent évoluer sans cesse et s’adapter à la découverte d’erreurs et à l’évolution des besoins et des contraintes.
Olivier Ezratty
Après avoir créé la Division Développeurs et la Plateforme d’Entreprise en France pour Microsoft, Olivier a quitté le groupe pour lancer son activité de conseil en stratégie et innovation.
Aujourd’hui, il accompagne des grandes entreprises, des startups, des fonds d’investissement, etc. Il est également un blogueur reconnu autour de ses thématiques de prédilections: l’entrepreneuriat, les startups, l’innovation et les métiers de l’image. Son blog "Opinions Libres" compte parmi les plus influents sur le thème des technologies et de leurs impacts. www.oezratty.net