Entretien avec Philippe Perret Directeur Mobilités & Compétences du groupe ENGIE
Pour le groupe ENGIE, quels sont les principaux enjeux en matière de compétences et de formation professionnelle ?
Un peu plus des deux tiers des 160.000 emplois du groupe ENGIE à travers le monde sont des emplois techniques, et partout, le premier métier est celui des 45.000 techniciens de maintenance qui opèrent chez nos clients (entreprises, collectivités ou particuliers). Ce sont des métiers techniques en tension pour lesquels nous constatons une pénurie de ces compétences dans la plupart des pays. Il s’agit d’un enjeu fort d’attractivité et de rétention pour le groupe ENGIE.
Chez ENGIE, l’écosystème de la formation professionnelle repose sur deux piliers. D’une part, une trentaine d’écoles des métiers réparties sur les différents continents, rattachés aux directions de formation des entités ; ces écoles concernent principalement les métiers techniques - dont celui de technicien de maintenance - et les métiers de la filière commerciale et clientèle. Et d’autre part, ENGIE University, l’université d’entreprise destinée à former les 45.000 managers du groupe dans le monde. Notre stratégie de devenir le leader de la transition Zéro-carbone dans le monde nous a amené à interroger les grandes tendances d’évolution des compétences nécessaires dans les différents métiers du groupe, au regard des enjeux posés par les technologies numériques et avec la perspective de construire les briques d’une école de la transition Zéro-carbone.
En 2016, nous avons mis en place ENGIE Skills, un dispositif qui vise à analyser l’évolution à trois ans des compétences dont nous avons besoin, celles qui sont en voie d’obsolescence comme celles qui vont prendre de l’importance, et de proposer un plan d’action. Nous cherchions à constituer un observatoire des compétences et de l’emploi du groupe avec le souci de développer une approche globale à l’échelle de la planète. Nous avons alors constaté, à la fois un fort enjeu d’évolution des métiers de nos techniciens de maintenance avec leur besoin de monter en compétences dans le domaine numérique, mais également le fait que leur fonction constituait le métier d’avenir de l’entreprise à l’échelle mondiale. Concrètement, leurs emplois sont renforcés par le digital et leur pérennité est acquise à condition de former les collaborateurs concernés. Concrètement, ENGIE Skills est le premier dispositif global que nous avons mis en place pour répondre aux enjeux qui nous sont posés et l’analyse est renouvelée tous les ans.
Quels autres leviers le groupe a-t-il développés ?
Ce travail sur les compétences nous a conduit à mettre en place un deuxième dispositif, ENGIE Schools, dont le but est de fédérer l’action des différentes écoles des métiers d’ENGIE pour partager les contenus de formation, transférer entre les secteurs d’activité du groupe les blocs de compétences clés, là où nous en avons besoin, par exemple au grand international, étant entendu que ces centres d’expertise se situent souvent en Europe.
Dans ce cadre, nous avons mis en place une école " éphémère " au Chili qui a permis de transférer les compétences indispensables au développement de nos activités, dans une démarche construite et pilotée avec les acteurs locaux. Nous avons recherché des experts en France et en Espagne qui maitrisaient l’espagnol et nous les avons envoyés pour former des relais locaux, à travers une démarche d’échanges pas seulement descendants, mais de co-construction qui a permis de transférer les meilleures pratiques tout en s’enrichissant des savoir-faire locaux. L’école " éphémère " permet de former ainsi un nombre de collaborateurs clés dont la mission sera ensuite de continuer à transmettre les compétences localement. Désormais, le premier objectif pour ENGIE Schools est de développer ces écoles " éphémères " dans d’autres continents.
Dans ce cadre, nous avons entrepris de constituer une communauté de formateurs occasionnels. Il s’agit du réseau de techniciens référents qui se transforment en formateurs métier 2 ou 3 fois par an pour partager entre pairs les meilleures pratiques opérationnelles. Il aura vocation à accélérer et à transférer les compétences à l’international et devrait d’être lancé au premier semestre 2020. ENGIE Schools a aussi pour objectif d’accélérer la formation aux nouvelles compétences liées à la transition Zéro-carbone, en faisant produire des modules qui n’existent pas encore sur le marché de la formation, toujours dans cette logique de réunir progressivement les éléments de base d’une école de la transition Zéro-carbone. Des passerelles compétences ont été construites pour former à nos métiers dans des délais de 9 à 12 mois, offrant ainsi la possibilité à nos collaborateurs de changer de filière technique et d’intégrer de nouvelles compétences en matière digitale notamment. Ces passerelles sont également ouvertes aux personnes extérieures pour les former à nos métiers. A ce jour, plus de 220 personnes en ont bénéficié. Dans ce domaine, la Belgique vient de créer son ENGIE Academy pour industrialiser le processus à l’échelle du pays.
Comment ces actions s’articulent-ils avec la priorité sur l’emploi des jeunes ?
ENGIE s’est fortement engagé sur le développement de la formation de ses collaborateurs avec un objectifs de 80% des personnels formés dès 2022 et 100% en 2030. Le groupe a aussi pris des engagements très volontaristes sur le développement de l’alternance et de l’insertion des jeunes : 10% d’alternants parmi les effectifs avec un objectif d’en embaucher la moitié d’ici 2022.
Les passerelles métiers, dont je parlais, font partie des moyens mis en place pour atteindre ces objectifs, former des jeunes très éloignés de l’emploi et favoriser leur insertion professionnelle, tout en comblant un déficit de main d’œuvre dans les compétences qui sont clés sur les emplois techniques. Un dispositif particulier est en cours de finalisation avec Pôle Emploi.
Dans le cadre de la nouvelle loi sur la formation professionnelle, comme d’autres entreprises, nous sommes également en train de travailler à la création d’un Centre de Formation par Apprentissage interne qui vise des formations diplômantes, sur les créneaux de la transition Zéro-carbone. Avec plusieurs partenaires, nous réfléchissons à la mise en place de formations techniques totalement digitalisées, avec la volonté de les déployer à l’échelle internationale.
Comment mobiliser l’ensemble des équipes et des responsables sur ces sujets ?
Nous avons eu immédiatement le souci que cette évaluation des grandes tendances à l’œuvre dans nos métiers soit prise en compte au sein de l’ensemble des entités et des équipes du groupe, tant du côté des managers et des dirigeants que des techniciens eux-mêmes. Et nous avons développé plusieurs projets opérationnels dans cet esprit. Nous avons notamment mis en place à l’échelle du groupe une communauté de techniciens que nous avons appelée " Les Ambassadeurs Techniciens ". Concrètement, il s’agit de techniciens volontaires, une dimension importante de cette initiative, qui décident de consacrer 2 jours par an pour participer à des projets contribuant à l’attractivité des métiers de techniciens. Ils participent à des forums emplois pour dialoguer avec des jeunes, ils sont associés par leurs directions pour réfléchir à l’avenir de leur entreprise ou pour contribuer au développement de l’innovation. Aujourd’hui, 350 techniciens participent à cette communauté, dont 50 à l’international. Cette initiative a créé une dynamique positive autour de la fonction des métiers techniques et de la montée en compétences ; aujourd’hui, elle crédibilise la dynamique portée par les responsables des ressources humaines auprès des dirigeants des entités.
L’appétence des collaborateurs pour la formation s’accroît quand celle-ci débouche sur des évolutions professionnelles. Comment relevez-vous ce défi ?
La transformation de l’entreprise pour devenir le leader de la transition Zéro-carbone et la nécessité de faire évoluer les compétences de nos techniciens, nous a conduit à étudier les facteurs déclencheurs de la mobilité professionnelle. L’intérêt de dispositifs physico-digitaux s’est imposé : les personnes ont besoin de se rencontrer et de parler à des personnes qui font le métier auquel elles se destinent par des rencontres physiques qui améliorent l’efficacité des outils digitaux qui organisent à distance la mobilité. Nous avons ainsi déployé une plateforme digitale, ENGIE Mobility, qui prend en compte les facteurs favorables à la mobilité en ménageant quatre étape, sur la base de la métaphore du voyage : je découvre / je questionne / je me prépare / je réussis la mobilité. Déjà dix mille collaborateurs sur les 75.000 en France ont consulté la plateforme se sont inscrits sur la plateforme, induisant des demandes de formation pour évoluer ou changer de métier. Pour aller plus loin, nous travaillons avec une startup spécialisée en Intelligence Artificielle sur un pilote pour mettre en correspondance les compétences, les offres d’emploi et les besoins de formation. Nous avons acquis une forte expérience sur ce sujet et nous savons que ces technologies sont l’avenir de la gestion des compétences et de la personnalisation de la formation au service du développement des collaborateurs.
ENGIE Skills, ENGIE Schools et ENGIE Mobility constituent un ensemble qui contribue à l’écosystème de la formation professionnelle du groupe ENGIE. En particulier, orienté à l’échelle mondiale vers le développement de cette fonction d’avenir qu’est le technicien de maintenance, il pose les jalons et définit le socle de la future école de la transition Zéro-carbone.
Propos recueillis par Marc Deluzet