La transformation digitale est d’abord une histoire de femmes et d’hommes ; les projets exclusivement techno centrés sont depuis longtemps synonymes d’échecs. Malgré cela, le mirage technologique continue de séduire pour qui ne veut entrer dans la complexité de ces projets de transformation. C’est l’occasion pour la DRH de se positionner en appui à un projet véritablement stratégique pour l’entreprise. C’est aussi l’occasion de concevoir et animer des projets au long cours versus les projets spot (avec impact limité).
Digital learning, la fin des illusions…retour aux fondamentaux
Cela faisait à peine deux heures que j’étais arrivé au sein de ma nouvelle entreprise et je me retrouvais invité à participer à un brief avec l’équipe en charge de la transformation digitale, la DRH groupe et le Président. Sujet du jour : le projet d’accompagnement de la ligne managériale sur la transformation digitale et l’investissement dans l’une de ces plateformes de contenus type Netflix qui postule que les salariés sont tous des « Serial Learners » (clin d’œil au dernier article du Mag RH) ou devraient l’être. Comme s’il suffisait de mettre à disposition des contenus - ces fameux grains de formation qui parfois sont de vraie-fausses ressources pédagogiques, certes souvent de qualité en termes de conception et de numérisation, bien agencés dans leur environnement digital pour une navigation user centrix,…et surtout bien marketés – pour susciter l’engagement. Le Graal pour tout ingénieur ou Directeur de formation.
Après un rapide tour de table et une présentation de la réponse « magique » et séduisante, je suis questionné sur le bien fondé de cette solution. Ma réponse fut simple : « un environnement digital et des ressources ne constituent pas un dispositif ; par ailleurs, il s’agit de faciliter les ruptures et d’accélérer le changement, ce n’est donc pas une réponse véritablement adaptée… ». En effet, pour répondre aux défis de l’accompagnement des équipes comme acteurs de la transformation digitale, on ne peut se contenter de mettre des contenus sur étagères à disposition. Quels sont ces défis : le changement d’état d’esprit (ce fameux mindset) et donc la transformation culturelle, l’adoption de nouveaux comportements et postures, le développement de l’intelligence collective, la mise en œuvre de nouvelles pratiques professionnelles, la responsabilisation (empowerment) sur la conduite elle-même du projet de transformation digitale et l’accélération des projets. La temporalité dans laquelle s’inscrit un projet de transformation culturelle se compte en années et non en mois ou en sessions et encore moins en capsules de formation consommées.
La décision fut donc prise de changer d’orientation et le pôle L&D de la DRH héritait alors de la responsabilité de concevoir un dispositif apprenant et capacitant pour embarquer nos équipes et leur permettre de relever les nombreux challenges qui allaient se présenter en lien avec la feuille de route de l’équipe Digit-Innovation. En somme, revenir aux fondamentaux de l’ingénierie en se posant les bonnes questions et ne pas tout de suite penser solution.
Un des enjeux majeurs étant d’une part, de garder une grande cohérence entre l’objet lui-même et les modalités d’apprentissage proposées et d’autre part, de convaincre que la transformation digitale ne se résume pas aux chantiers « traditionnels » autour de la Data, de la Technologie, de l’expérience client ou encore des metrics afin de se centrer sur la culture, le leadership, le développement de nouveaux modes d’organisation.
Challenge interne : repositionnement stratégique de la DRH et coopération avec l’équipe Digit-Innovation
Un projet stratégique qui requiert une ingénierie complexe et triangulaire
Penser et concevoir un tel dispositif d’accompagnement c’est d’abord en comprendre sa portée ; nous sommes dans le cadre d’un projet de transformation. Plus précisément, dans un projet qui combine réaménagement (faire autrement), renouvellement (revoir ses valeurs et pratiques) et redéploiement.
Cela requiert de la DRH de questionner son positionnement et la nature de la réponse qu’elle peut apporter. L’axe que j’ai alors choisi est celui de l’apprentissage organisationnel ; l’objectif étant alors de combiner individu apprenants et groupes apprenants au sein d’un triangle d’apprentissage .
Voici les principes d’action sur lesquels nous avons bâti ce triangle :
- Evénementialiser au maximum (onboarding & off-boarding)
- Concevoir un environnement d’apprentissage multimodal
- Privilégier une logique de parcours
- Construire une offre de services qui corresponde à 4 paliers : Sensibilisation ; Apport de méthode et d’outils ; Transfert de compétences ; Changement de pratiques professionnelles
- Associer expertise externe et interne : Contenus sur étagères ; Apports experts externes ; Apports d’expertise et accompagnement de l’équipe transformation
- Articuler apprentissages autodirigés, travail collaboratif, social learning avec le learning by doing
Un voyage apprenant qui s’appuie sur une série d’escales et les principes d’engagement au long cours ; objectif principal, l’acquisition et la rétention des apprenants
Embarquement - La prise de conscience (Awareness)
Pour mobiliser la ligne managériale, nous avons conçu et mis en œuvre avec la coopération d’une start-up un Digidiag, questionnaire auto-administré qui s’appuie sur un référentiel de compétences permettant à chaque manager de faire son autodiagnostic de sa maturité en termes d’usages du numérique. Un score associé à un profil (Influenceur, Enthousiaste,…) et des écarts de compétences ont facilité la cartographie (géographique mais surtout de compétences) de nos managers. Le taux de participation a été de 96% et la machine à café est devenu pendant quelques semaines le lieu où unetelle et untel s’étalonnaient de manière bienveillante, se surprenaient, …et surtout échangeaient sur ce qui pourrait bien en découler. Pour dynamiser cette prise de conscience, un Mooc de sensibilisation a été proposé avec à la clé un certificat « La Société à l’épreuve du digital » . Le propos, centré sur le manager en tant que citoyen, a permis de souligner le principe de réciprocité vécu à l’ère du digital (je vis une expérience en tant que citoyen, consommateur,…et j’ai des attentes identiques en tant que collaborateur ou client).
1ère escale - Intérêt et acquisition d’apprenants (Acquisition)
Quoi de mieux qu’un évènement à NUMA , lieu d’inspiration et d’incubation de la transformation digitale, pour susciter l’intérêt de nos futurs apprenants. Un événement qui s’est articulé autour de keynotes et retour d’expériences, d’apports experts et d’ateliers collectifs avec étude de cas (réelle) afin de donner très vite des clés de lecture et d’analyse sur les déterminants de la transformation digitale, le tout ponctué par challenge et des récompenses pour le meilleur pitch. Cet évènement fut clôturé par une intervention de la DRH qui présenta les étapes/escales associées au service rendu par le pôle L&D (la promesse en termes de valeur) qui allaient se succéder mais aussi la grille d’autopositionnement permettant à chaque manager de déterminer leur futur engagement en fonction de plusieurs critères (son agenda personnel, son projet business, son projet pour son équipe,…).
Il s’agit de préparer les prochaines étapes en toute connaissance de cause et de « contractualiser » avec la DRH sur un engagement au long cours contre la promesse d’une montée en compétences, d’un renforcement de la capacité d’action individuelle, d’un positionnement actif dans le cadre de la transformation digitale, d’une capacité nouvelle à innover. D’autres diraient sortir de la boîte ou encore faire un pas de côté.
Trois parcours distincts ont été proposés : l’Executive Certificate Science Po-Numa « Manager agile » ainsi que deux parcours conçus et distribués par le Hub Institute : Digital Mentor et Digital Ambassador. Comprenez que par-delà l’ingénierie de ces parcours, la dimension symbolique a résonné très fortement chez nombre de nos managers. La double marque Science Po-Numa est « vendeuse » et gage dans une certaine mesure d’employabilité.
2ème escale – Accompagnement et stratégie de rétention des apprenants (Retention)
Une fois engagés dans un de ces 3 parcours, il a fallu accompagner non seulement la motivation des apprenants mais aussi la production des livrables attendus. Le rôle des mentors, tuteurs a été surdéterminant pour accompagner la production de ces livrables (individuels et collectifs) avec une dimension académique loin des écrits professionnels « traditionnels ».
Notre Académie Digitale, simple d’usage pour les « consommateurs », a proposé une logique de parcours construite avec nos partenaires articulant MOOC, journées en présentiel avec apports expert, webinaires, apport de méthodes et co-développement. Deux livrables étaient attendus à l’issue des 8 semaines de navigation sur des mers parfois calmes et souvent agitées tant les contraintes du quotidien sont fortes. L’enjeu alors est de limiter le désengagement et les abandons. Le premier livrable était une production individuelle favorisant une pratique réflexive. Pas facile de s’extraire du quotidien, de ralentir, prendre de la hauteur, s’interroger sur ses pratiques,…pour mieux penser l’avenir. Le second livrable était une production collective sur un sujet choisi et avec un tutorat renforcé (collectif et individuel) pour organiser ces moments de réflexion, de construction et de production en un mot cette intelligence collective que chaque organise tend à faire émerger.
Socialisation, interactions, partage de « croyances »…sont des leviers puissants. Un seul objectif : aller au bout et soutenir le projet devant le jury Science Po. En parallèle, les mentors d’abord et la DRH ensuite ont joué un rôle de régulateur, de facilitateur en soutenant les voyageurs égarés ou épuisés. Au bout ce sont plus d’une centaine de recommandations (aucune n’étant hors sol) produites par les groupes de travail venus soutenir à Science Po. Le tout en endossant le costume.
3ème et avant-dernière escale - Impact et premiers transferts (Impact)
Principe d’utilité oblige, la valeur d’usage de ces apports et autres construction collectives doivent s’incarner et au-delà des écrits (mémoires). Il va donc s’agir d’exploiter le set de recommandations produit par les différents collectifs d’apprenants.
La dimension pratique a ensuite repris le dessus en proposant à nos voyageurs une série de master class sur le thème des méthodes agiles afin de pouvoir les doter de nouveaux cadres d’actions et les outiller pour la suite. Sur la base d’un fil rouge méthodologique qui est le Cadence Canva mais aussi d’un cas fil rouge (l’on-boarding), chaque participant a alterné entre apports de connaissances et de méthode, usage des outils et expérimentation, production.
Enjeu final : se préparer à animer des équipes et concevoir un prototype d’application à usage interne (orienté collaborateurs) ou externe (orienté business).
Ces équipes ont été constituées librement et se sont appuyées sur les collectifs de (nouveaux) managers agiles forgés durant l’escale précédente. S’y sont regroupés les voyageurs des deux autres parcours (les mentors et ambassadors). Doté d’une boussole, d’un kit d’animation, chaque groupe s’est organisé pour dérouler la méthode Cadence, animer les contributeurs, produire des ébauches de prototypes et donc assurer un premier niveau de transfert. En parallèle, afin de poursuivre le travail d’exploration en-dehors de la boîte, nos voyageurs ont été invités à participer à des ateliers sur la Réalité Virtuelle et réalité Augmentée afin de découvrir les principaux usages et application en entreprise. La force et le potentiel de l’immersive learning ont suscité très vite des attentes et des propositions d’application au sein de l’entreprise, favorisant ainsi le ré-engagement via l’intérêt suscité. En effet, un voyage apprenant aussi long (sur plus de 12 mois) requiert de multiplier et renouveler les expériences d’apprentissage.
Fin du voyage - on débarque
Le voyage ne s’arrête pas tout à fait là pour une dizaine de managers qui ont été immergés pendant quelques jours au sein d’une start up afin d’en comprendre le fonctionnement, le business model, …et d’en tirer des enseignements pour nos business. Ces immersions font l’objet de retour d’expérience. Vivre une telle expérience c’est la garantie d’incarner certains changements souhaités, de voir dans la vraie vie certaines postures attendues, certaines méthodes et outils et surtout d’en apprécier la portée et plus stratégique, les limites dans notre propre environnement. Quoi qu’il en soit, c’est aussi le gage d’une valorisation de l’action auprès du plus grand nombre. Il en va de même pour les Trophées de l’innovation qui viendront récompenser les travaux des équipes Sprint, qui ont mobilisé la méthode Cadence pour concevoir des ébauches de prototypes et les valoriser. Comment après un tel voyage apprenant ne pas recommander auprès de l’ensemble des collaborateurs d’y participer. La demande explicite de ces « Digital Champions » d’élargir le dispositif à l’ensemble des équipes illustre deux choses ; la préoccupation des managers de ne laisser personne de côté et leur conviction que rien ne pourra se transformer sans le corps social de l’entreprise.
Il revient à la DRH maintenant d’imaginer une suite à ce voyage…
Arnaud Coulon
Arnaud Coulon est le Digital Learning & Development Manager, groupe SGS France